L'exercice des
libertés n'est pas une affaire de récépissé, mais une pratique politique.
C'est une avancée
démocratique remarquable, dit-on. La nouvelle loi sur les partis contraint
l'administration à délivrer sur le champ un récépissé de dépôt à toute personne
qui dépose un dossier en ce sens. Dans la même logique, toute personne qui veut
lancer un journal recevra un récépissé, en attendant un agrément officiel.
La loi ne précise
pas ce que vaut un récépissé, ce que peut en faire un journaliste, ni ce que
peut faire un politicien détenteur d'un même document. Mais peu importe : cette
procédure est d'ores et déjà considérée comme un important signe d'ouverture,
dans le cadre des réformes engagées par le président Abdelaziz Bouteflika.
Cette tendance à
l'ouverture est confirmée, en outre, par la prochaine ouverture de
l'audiovisuel. Le ministre de la communication, Nacer
Mehal, l'a promis pour 2012, peut-être. Mais d'ores
et déjà, la course est lancée pour l'obtention des licences nécessaires. Les
premiers candidats susceptibles de se lancer dans la télévision privée ont
affiché leurs intentions et leurs ambitions, avant même que la loi ne soit
votée.
Cet enthousiasme
qui précède les lois de la nouvelle réforme devrait cependant être quelque peu
tempéré. Pour plusieurs raisons. En premier lieu, l'exercice des libertés n'est
pas une affaire de récépissé ou d'agrément.
C'est un choix
philosophique et civilisationnel, ensuite un choix
politique, que les dirigeants d'un moment traduisent en loi et en arrêtés
d'application.
Pendant tout son
parcours, le pouvoir en place en Algérie n'a pas fait preuve d'un attachement
particulier aux libertés. Bien au contraire. Il suffit de rappeler que la loi
sur l'information, encore en vigueur, contraint le procureur de la république à
délivrer un récépissé à toute personne qui veut créer un journal. Mais voilà :
cela fait plus de quinze ans que le procureur ne le fait plus, car ce n'est pas
lui qui décide. Il attend l'avis de qui de droit avant de délivrer le
récépissé, ou de le refuser, ce qui a transformé le fameux récépissé en un
agrément de fait.
Il en est de même
pour les partis. La loi Zeroual, encore en vigueur, permet, en théorie, de
créer des partis, malgré les restrictions qu'elle a imposées. Mais aucun parti
n'a été agréé depuis l'accès de M. Bouteflika au
pouvoir, il y plus de douze ans.
Pourquoi, malgré
ce bilan, trouve-t-on autant de commentaires flatteurs sur les nouvelles lois ?
Pourquoi tant d'optimisme, alors que rien de concret n'est acquis ? Et pourquoi
insister sur des aspects secondaires, comme la délivrance d'un récépissé, alors
que rien n'indique un changement de fond ? Autant de questions intrigantes que
les seules largesses du pouvoir ne suffisent pas à expliquer.
Car s'il cède sur
certains points de détail, le pouvoir garde en réalité l'essentiel de ses
moyens de pression sur les médias, en agissant par trois leviers différents :
il garde la maitrise du calendrier, il choisit qui va
créer un journal, une chaine de télévision ou un
parti, et il conserve le contrôle de la manne financière.
Pour l'heure, les
lois sont encore à l'état de projet. Et rien n'indique une ouverture prochaine
de l'audiovisuel. Celle-ci n'est en effet pas prévue dans la loi sur l'information,
mais une autre loi lui sera consacrée. Quand sera-t-elle adoptée ? Nul ne le
sait. Cela dépendra en fait de l'évolution de la situation politique. Un rappel
tout de même : la loi de 1990 prévoyait déjà l'ouverture de l'audiovisuel, mais
les textes d'application n'ont pas vu le jour vingt ans plus tard. C'est dire
que si le pouvoir décide de temporiser, il en maitrise
la technique.
Le projet de loi
sur l'information prévoit aussi la création d'une institution de régulation,
qui sera chargée de délivrer les agréments. Cette institution a déjà existé,
sous l'appellation de Conseil supérieur de l'Information. Il a suffi d'un
arrêté pour transférer ses prérogatives au ministère. Et il a suffi de ne pas
en nommer les membres pour qu'elle disparaisse de fait. Ce qui montre avec
quelle facilité une loi peut être détournée, ou vidée de son contenu, et avec
quelle facilité une institution peut être détruite.
Pour l'avenir, il
faudra être dans les bonnes grâces de l'institution de régulation, c'est-à-dire
du pouvoir, pour lancer un journal ou une chaine de
télévision. Une fois ce pas franchi, il faudra affronter l'écueil le plus
difficile: trouver des recettes publicitaires. Et là, rien à faire. Impossible
d'échapper au contrôle politique. Car la situation du pays est telle qu'aucun
annonceur, public ou privé, ne peut aller contre les directives du
gouvernement.
Les gros
annonceurs le savent très bien. Ils n'iront jamais chez un journal ou une chaine de télévision qui ne soit pas dans les bonnes grâces
du pouvoir. Aucune entreprise privée n'est en mesure
d'affronter la colère du gouvernement. Quand aux entreprises publiques, elles
restent d'une docilité totale : leurs patrons doivent montrer leur aptitude à
l'obéissance avant même d'être nommés. Face à ces contraintes financières, la
loi devient secondaire. Ce qui montre que la réforme envisagée restera sans
effet, tant que la vraie réforme politique ne sera pas lancée : celle qui
consiste à changer le rapport du pouvoir à la loi, à contraindre le pouvoir à
respecter la loi, et à l'appliquer.
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Posté Le : 06/10/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com