Algérie - Gourara

Les ksour captifs des dunes



Les ksour captifs des dunes
Une cinquantaine de ksour gravitent autour des quatre chefs-lieux de daïra du Gourara. La moitié n’a pas encore tout à fait réussi à s’affranchir de la captivité des dunes. Les habitants de ces hameaux vivent en marge de la modernité.
lundi 27 décembre 2004.
Au contournement d’une dune, le ksar de Talah apparaît comme un mirage. Malgré l’existence d’une piste tracée aléatoirement sur le sable, il est peu évident, pour un étranger à la région, de soupçonner l’existence de l’oasis au milieu de nulle part. Talah est enfouie derrière les dunes bordant la sebkha (surface de remontée d’eau salée). Elle est distante du chef-lieu de la commune de Timimoun, par le chemin des dunes, à peine de 12 kilomètres. néanmoins, il est impossible de suivre cet itinéraire, confortablement installés dans des véhicules, y compris les mieux adaptés à la topologie de l’erg occidental, les 4X4. L’existence de très hautes dunes, s’étendant sur environ 3 kilomètres, et la friabilité du sol sur un tronçon assez important, s’opposent à l’usage de moyens de transport motorisés.

Il faudra donc faire un long détour par les localités d’Ighzer et de Ouled Saïd, en roulant sur 40 kilomètres de route goudronnée, puis sur 10 kilomètres de piste, pour rallier la belle Talah. Pour le voyageur qui vient le visiter pour la première fois, ce ksar, aux couleurs locales, semble surgir du passé dans l’aspect que lui ont donné ses premiers habitants. Le temps a dû cesser d’égrener les minutes et les heures dans cette contrée du globe, tant la patine des années écoulées n’a laissé que peu d’empreintes sur les murs érigés en toub rouge. à notre arrivée au ksar, Chergui Mohamed Abdallah et son voisin Lekbir Mohamed s’attelaient à extraire de la terre la matière qui servira à fabriquer des briques. Après les intempéries du mois d’avril 2004, qui ont détruit 1 500 maisonnettes, les autorités locales ont exhorté la population à ne plus utiliser, dans la construction, la brique en toub mais du parpaing. Un matériau qui se particularise par sa propriété à préserver la fraîcheur des intérieurs, par temps de grandes chaleurs. Pourtant, les autochtones n’ont pas pris en compte cette recommandation. “Nous n’avons pas les moyens financiers de construire autrement qu’avec du toub”, explique M. Chergui. L’on reste alors fidèle à la brique traditionnelle, qui a donné à Timimoun le sobriquet d’oasis rouge.

Les deux hommes se proposent allègrement à nous servir de guides dans le dédale des ruelles extrêmement étroites du ksar. Le conglomérat de constructions, imbriquées les unes dans les autres, est entouré d’afrag (haies de palmes) afin de stopper l’avancée des dunes. Quelques ménages s’éclairent, depuis 5 ans, à l’énergie solaire, produite par 2 imposants capteurs photovoltaïques, qu’on dit installés par des Américains. Les pas de nos hôtes nous entraînent d’abords vers le vieux ksar, montrant au passage l’orpheline source de laquelle est puisée l’eau potable consommée par toute la population de Talah (l’eau courante est un luxe inaccessible).

Plusieurs fois centenaire, le fort fait corps avec les quartiers relativement plus contemporains. Si ce n’est son aspect inhabité, il aurait été impossible de distinguer la partie ancienne de Talah de celle plus récente.

Prière
Une halte devant le mausolée de La Rahma, la sainte de Talah, donne à nos guides l’occasion de parler longuement de leur foi en les marabouts. Au fur et à mesure de sa progression, le groupe croise tantôt des hommes à dos de mulets, transportant du sable fin, tantôt des silhouettes féminines. Des femmes, aux robes colorées, parfois un bébé arrimé au dos, portent toutes sur la tête des touffes de paille destinées à la nourriture des bêtes, qu’elles vont ramasser dans le désert, à plusieurs kilomètres du ksar. Au coin d’une venelle, une sexagénaire nous interpelle : “Venez voir ce que la pluie a fait de ma maison.”

Elle monte péniblement un escalier étroit menant au premier étage, en regardant de temps à autre derrière elle pour s’assurer que ses invités la suivent. Son mari est étendu sur une couverture légère déposée à même le sol. “C’est ba Salem, le doyen du ksar (85 ans, ndlr). Il n’a quitté Talah qu’une seule fois pour se rendre à Adrar”, présente Mohamed Chergui. La toiture, faite de troncs de palmiers coupés, couverts de palmes enduites de terre, de l’unique pièce où vit ba Salem et son épouse, âgée de 65 ans, a été entièrement emportée par les violentes pluies d’avril dernier. “Les autorités nous ont promis une aide financière pour rénover la maison. Mais nous n’avons rien reçu”, rapporte la vieille dame.

Le fils du couple tente tant bien que mal de réparer ce qui a été détruit par la catastrophe naturelle, à chaque fois que son labeur à la palmeraie lui laisse un peu de répit. L’indigence ne lui permet pas d’avancer dans les travaux et de mettre ainsi ses parents à l’abri des affres d’un hiver connu pour être rude dans la région. Tout comme lui et ses parents, les 400 habitants de Talah sont pauvres. La municipalité emploie uniquement 10 hommes du ksar. Les autres, quant à eux, travaillent la terre, de laquelle ils tirent les produits de leur subsistance (dattes, fruits et légumes de potager). “Nous vendons l’excédent de la culture de nos jardins au marché de Timimoun, d’où nous nous approvisionnons en denrées et autres articles de première nécessité. Le pain est préparé par nos femmes”, indique Mohamed Lekbir. Les commerces n’existent pas à Talah, qui ne possède, par ailleurs, que 2 infrastructures : une minuscule infirmerie visitée, une fois par mois, par un médecin (les urgences médicales sont systématiquement évacuées vers Timimoun), et une école primaire.

L’école
Les garçons du village poursuivent leur cursus fondamental (paliers moyen et secondaire) à Timimoun. Ils sont hébergés dans un internat. Les filles arrêtent généralement leur scolarité à la fin du cycle primaire. “Les familles, qui ont des proches habitant à Timimoun, laissent leurs filles poursuivre leurs études”, explique Mohamed Abdallah Chergui, dont les 3 filles, âgées de 12 à 15 ans, ne vont plus à l’école. Elles occupent la journée à devenir femmes et à s’initier à la fabrication de paniers en brins de palmes, qu’elles vendent aux hypothétiques touristes. Une directrice d’école affirme que l’absence d’internat pour filles compromet la scolarité de celles qui habitent des ksour éloignés des grands chefs-lieux des 10 communes recensées dans le Gourara. Pourtant, le vice président de l’APC de Timimoun, dont dépend administrativement Talah, affirme que le taux de scolarité, dans la commune, bat tous les records.

Au-delà des confessions de foi, les statistiques avancées ça et là ne sont pas réellement fiables. Quelque peu acculé, notre interlocuteur reconnaît que, depuis quelques années, les instituteurs exerçant dans des ksour relativement enclavés ne signalent pas automatiquement les cas d’abandon des classes. Les jeunes adolescentes sont, évidemment, les victimes majoritaires de la déperdition scolaire. La réalité de Talah se répercute dans chacun des ksour, qui ne parviennent pas encore à s’affranchir de la captivité des dunes. Ces oasis, aux noms enchanteurs, gravitent autour des 4 daïras, disséminées dans le vaste territoire du Gourara. Charouine, 220 km de Timimoun, en compte Guellou, Bahamou, Seguia, Naâma, Takielt et Guettouf. La daïra de Ouled Aïssa, distante de 52 kilomètres de l’oasis rouge, administre 6 ksour semi-enclavés, à savoir Bourkort, Yakou, Haïha, Taounza et Semdjan.

Quelques privilèges et une misère
Dans la pittoresque localité de Tinerkouk (70 kilomètres au nord de Timimoun), la route s’arrête loin de 6 autres (Timezlane, Tilermine, Sidi Mansour, Anguellou, Baba Aïssi et Tgant), tandis que la coquette Timimoun peut s’enorgueillir de n’avoir plus que 2 oasis demeurées prisonnières des dunes : Tmana et Talah. “La majorité de ces ksour sont alimentés en électricité”, nous dit-on. Hormis ce “privilège”, qui ne profite pas au demeurant à l’ensemble des localités isolées, ces dernières ne sont accessibles que par des pistes, qui deviennent totalement impraticables les jours de vents de sable. Ces pistes raccourcissent, par ailleurs, quelque peu les distances sans rapprocher pour autant les oasis de la modernité.

Il y a 2 ans, l’aménagement d’une nouvelle piste a permis de réduire l’écart entre Taghouzi et Timimoun de 200 km (par le contournement des dunes) à 90 km. “Tmana et Talah seront joignables par route dans une année”, promet un membre de l’exécutif communal. Il révèle, à l’occasion, qu’une étude est en cours sur l’ouverture d’une route entre Zaouiet Debagh et El-Bayadh. “Grâce à cette route, nous ramènerons la distance en Timimoun et Oran de 1 300 à 700 km”, indique notre interlocuteur. Les menus projets inscrits ne suffiront, toutefois, pas à sortir la région de l’ornière de la misère et de ses corollaires : le chômage (plus de 50% de la population en âge de travailler est sans emploi, selon les indications des élus locaux), une délinquance juvénile naissante, une mauvaise couverture sanitaire...

L’un des plus beaux sites de la planète, parfaitement préservé des altérations du temps, est paradoxalement complètement boudé par le développement. Depuis la désertion des touristes internationaux, juste après la première guerre du Golfe, la région a perdu sa principale source nourricière. Elle a amorcé alors sa descente en enfer, sans que les autorités nationales réagissent autrement que par des amphigouris ou des velléités très rarement transcendées. La population se résigne à vivre sans les attributs indispensables de la contemporanéité.




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