Algérie

Les Ksour



Les ksour, aujourd’hui, ont ceci de commun : un avenir incertain en tant
qu’anciennes structures urbaines. Face à rurbanisation effrénée qui se fait sans référence aucune au mode d’opérer en territoire saharien, ces structures
paraissent asphyxiées, marginalisées, désuètes.
Pourtant, les espaces nouvellement construits,, qui leur font concurrence,
sont autant de périphéries à L’aspect précaire, anonymes, sans âme ni ancrage, loin d’offrir une possibilité d’identification ou d’orientation dans l’immensité
écrasante du Sahara. Mais, semblables à toutes les autres périphéries des centres urbains à travers le pays, elles accaparent l’intérêt et l’affluence de
l’activité en matière d’urbanisation et d’investissement. Est-ce parce que ces dernières se dotent d’infrastructures urbaines que le ksar, trop compact, ne permet pas d’installer facilement réseaux divers, voies mécaniques... ? Est- ce parce que faites en béton et parpaings en brique, matériaux « durs et modernes », que ces périphéries garantissent un accès à la manière moderne de consommer l’espace construit?
Le ksar ne se meurt pas parce qu’il est ancien. Il tombe en désuétude parce que c’est une structure qui ne possède plus les capacités d’adaptation ou d’intégration aux nouvelles pratiques de l’habiter. Il reste en marne, subissant la croissance des agglomérations au lieu dy participer.

1) LE KSAR DANS LE TERRITOIRE

Resitué à l’échelle du territoire, le ksar fonctionnait dans une structure basée sur le travail des jardins en palmeraie et sur les grandes voies d’échange commercial entre l’Afrique subsaharienne et la Méditerranée. En plus des activités de commerce interne, le territoire ksourien avait pour fonction l’acheminement des échanges intercontinentaux.
Vers une époque plus récente (les zaouias), la notion d’hiérarchie dans le territoire, et donc de centralité inter-ksour, avait une connotation particulière.
Ainsi, on peut trouver un groupement de ksour ayant comme centre organisateur un simple édifice (en fait un lieu de pèlerinage : la zaouia). Celui-ci peut évoluer et devenir ksar, agglomération-centre (exemple de Kenadsa), comme il peut rester lieu de pèlerinage, d’afflux, donc sans pour autant accéder à un rang centralisateur du point de vue urbanisation.
Aujourd’hui, cette logique de structuration du territoire ne dispose plus de toutes ses composantes et n’est pas d’usage. Elle a été remplacée par une structure d’administration du territoire à partir d’un centre. Le modèle administratif consiste à inscrire la multitude de ksour dans une hiérarchie qui passe par les niveaux suivants : centre chef-lieu de wilaya, daïra, puis commune.
Jusque-là, ce modèle ne fonctionne pas encore : tous les ksour, qu’ils soient chef-lieu de daïra ou chef-lieu de commune, dépendent totalement du chef-lieu Bechar, que ce Soit en matière d’emploi, d’équipement ou d’habitat. Ce qui en résulte actuellement est une monocéphalie entourée d’une périphérie très larOe.
Béchar n’est pas un centre organisateur au sein d’une hiérarchie, c’est une agglomération qui absorbe la majeure partie de l’investissement dans le territoire, sans pour autant accumuler pour apparaître en tant que “centre urbain créateur de richesses”.
Nous pouvons observer la manifestation de cette situation à travers la précarité et la dispersion de ce qui s’y construit. Car un centre urbain organisateur, avec ses activités, dispose d’une fonction qu’a tend à matérialiser, chose que Béchar ne permet pas de relever.
Nous sommes donc non pas face à une anarchie indéchiffrable mais face à un territoire où se juxtaposent sans fusionner les manifestations construites de deux logiques territoriales : une structure ksourienne basée sur l’activité agricole et le négoce et une administration du territoire qui ne s’est pas encore affirmée en tant que structure et où prévaut le secteur tertiaire, bien que les infrastructures (routes nationales, voie ferrée) existent.
Par conséquent, nous ne pouvons plus parler d’une logique ksourienne commune à un territoire homogène dans toute la wilaya de Béchar.
Aujourd’hui, il nous faut distinguer entre les différents cas d’évolution des ksour. Nous procéderons donc par identification des catégories de problème:
li y a le ksar qui a été contenu, en tant qu’entité exclue, dans une trame en damier du tissu de la ville coloniale : le cas du ksar de Béchar. Il participe à la composition de la ville par un long mur percé d’une porte qu’il présente comme “devanture”. Face à une expansion de la ville, avec une nouvelle logique d’urbanisation qui devient le centre, le ksar voit son activité contenue dans une maille de la trame. Cette situation est reconduite par Béchar-waya, qui, à travers ses programmes d’équipement et d’habitat, s’étend en gardant les mêmes relations entre tissu colonial et tissu ksourien. Ceci finit de marginaliser le ksar en tant que forme d’habitat. Et, non entretenu ou reconstruit partiellement en parpaings de ciment, il affiche un état de précarité rebutant qui fait appel aux solutions de table rase qui ne laisseraient alors du ksar que la trace au sol (parcellaire)...

Cependant, du point de vue fonctionnement par rapport à rensentie de la ville de Béchar, il garde un rôle très actif du fait qu’il représente une solution provisoire économique pour le problème de logement qui se pose à la population affluant des autres ksour et des régions du nord du pays vers Béchar.
Il y a le ksar qui fait toujours face au centre nouveau, ou dit moderne, et qui est déserté de plus en plus, mais dont la qualité architecturale et urbanistique est telle qu’il arrive à gaitler sa qualité de centre historique de référence : le cas de Kenadsa est éloquent. En effet, ce ksar, et notamment « l’ensemble résidentiel du cheikh » formé de petits palais précieux face au dépouillement saharien ambiant, reste4e centre malgré son état de ruine et d’abandon.
Il y a le ksar enclavé à des degrés divers, qui fonctionne toujours comme système d’habitat et mode d’appropriation spécifique du territoire. En cela, l’exemple des ksour de la Saoura permet d’illustrer au mieux cette situation.
Il y a le ksar abandonné en ruine, qui fait le “monument témoin” face à l’érosion du vent et à l’absence d’entretien.
En somme, les ksour agonisent tous, mais pour des raisons différentes:
— les uns, à cause d’un rythme de croissance effréné, se dénaturent et disparaissent en devenant des lieux périphériques;
— les autres se meurent de décroissance car, abandonnés, laissés en ruine pour de meilleures offres en matière d’équipement, de techniques urbaines, d’emploi et de niveau de vie en agglomération chef-lieu.
A partir de cette vision, il ne s’agit pas d’avoir une même attitude globale envers tous les ksour parce qu’ils sont anciens, mais il s’agit plutôt de les replacer dans leur contexte actuel, voir ce qu’ils ont à offrir pour le développement de la wilaya, quelles sont leurs carences, où se situe leur incapacité à activer dans l’organisation du territoire... Le ksar n’est pas uniquement une structure urbaine historique à conserver quel que soit le cas, mais une structure qui subit la croissance urbaine au lieu d’y prendre part.
Quelles que soient nos options d’aménagement, l’objectif n’est pas de les reconstruire en les reproduisant fidèlement au nom de la sauvegarde du patrimoine ni de les laisser pour compte parce qu’ils agonisent. Il s’agit surtout de comprendre que notre lecture s’intéresse au cours d’évolution de leur logique de structuration et que le but est de les amener à s’intégrer à l’effort de structuration du territoire en leur faisant intégrer les techniques nouvelles de la vie en agglomération et en démontrant qu’ils sont particulièrement intéressants, une fois placés dâns une logique de rentabilité pour le territoire.

2)
QU’EST-CE QU’UN KSAR ?

Le ksar est le mode d’implantation agglomérée, spécifique à la population en milieu saharien. C’est également la forme urbaine traditionnelle, dans ces régions, des cités fortifiées
Son installation dépend directement de la disponibilité des ressources en eau, condition qui assure la culture du palmier et la création de vastes jardins:
palmeraies. Celles-ci fonctionnent tels des microclimats, indispensables à l’installation humaine. Ainsi, le couple ksar / palmeraie se présente tel un système qui permet à la population d’occuper le territoire.
Du point de vue morphologique, le ksar se présente ainsi c’est une forme compacte, de couleur terre, horizontale, directement en relation avec un espace vert, la palmeraie. La forme s’organise selon un principe d’organicité où l’on distingue différentes échelles d’appropriation de renvironnement:
— l’échelle de l’édifice : habitation ou édifice public
— l’échelle de l’unité urbaine : association de plusieurs édifices organisés le long d’un axe (zkak) ou autour d’une place (rahba), définissant une unité autonome appropriable par le groupe
— l’échelle de la cité (ksar) : l’ensemble des entités en articulations structurées, hiérarchisées, faisant émerger un centre identifie l’échelle habitée par la communauté
— l’échelle du territoire : l’ensemble des ksour implantés (généralement) selon des principes morphologiques communs, partageant une succession d’évènements signifiants (histoire), définissent, une fois en relation d’échange, un champ d’appropriation pour la population de la région.





Du point de vue fonctionnement, le. ksar, en relation avec la palmeraie (oasis), reste la forme construite la mieux adaptée aux conditions climatiques du Sahara, vu ses principes de conception. Les autres modes de construction nécessitent beaucoup de solutions techniques autres qu’architecturales ou urbanistiques, telles que climatisation, ventilation et chauffage artificiels. De plus, les nouveaux modes d’extension ne permettent pas de répondre efficacement aux problèmes d’habitat, ce qui laisse les bénéficiaires des programmes de logement, ou même les autoconstructeurs, demandeurs potentiels de logement.

2) LE KSAR, STRUCTURE SOUS-ÉQUIPÉE
Les programmes d’urbanisation et d’équipement qui se font, en général, en dehors du ksar, considéré souvent comme habitat précaire, accentuent sa marginalisation en tant qu’ancienne structure vétuste et, de surcroît, sous- équipée. Cependant, cette situation de sous-équipement, surtout en matière de réseaux, n’est pas tributaire uniquement du choix de l’implantation décidée hors-ksar, il y a réellement des obstacles objectifs que pose le ksar en tant qu’installation : les sites sont en général rocheux et se prêtent de manière coûteuse à des fouilles (néanmoins, on peut assainir par quartier ou par groupement d’habitation).
Quant aux équipements scolaires, sanitaires... (édifices publics), ils ne peuvent être localisés à l’intérieur du ksar du fait de la saturation “apparente” en matière de réserves foncières.
Cependant, le problème reste le même, puisque l’aspect précaire se reprodif.



Ainsi, le mode d’extension, îu lieu de se faire en continuité, ne serait-ce qu’en prolongeant les élément de structuration déjà existants (parcellaire, axes hiérarchisés...), crée une rupture en installant, d’un côté, des “zones nouvelles” sans ancrage, sans aptitude à la centralité et, de l’autre, “un noyau ancien” comme périphérie.

3) LE KSAR, STRUCTURE VÉTUSTE

Si l’aspect général des ksour reste globalement attrayant pour le visiteur, il l’est beaucoup moins en réalité pour le ksourien qui l’habite. En effet, en dehors du fait que celui-ci aspire à une habitation “en dur’, selon le modèle du “Nord”, le procédé constructif présente des limites objectives qui entravent la promotion du savoir-faire constructif ksourien : la torba est à améliorer en tant que matériau produit localement à base de terre, la technique de mise en oeuvre est à corriger (surtout pour les problèmes d’étanchéité), l’entretien du cadre bâti est à programmer en tant qu’opération de gestion d’un patrimoine à promouvoir pour le tourisme.

3)
QUE FAIRE DE CES KSOUR?

Par rapport à cette problématique, il s’agit de prendre une attitude claire envers ces ksour : là où ils sont quartiers marginalisés, il faut les considérer comme tous les autres tissus à restructurer en vue de transformer une situation qui pose problème en situation qui profite à l’ensemble de l’agglomération, et ce surtout en matière de réserves foncières... On pourrait penser qu’au Sahara le foncier n’est pas une denrée rare et, par conséquent, on peut disposer de tout l’espace souhaité. Néanmoins, il faut savoir que si le ksar reste la forme la mieux adaptée au climat saharien, c’est pârce qu’il est d’abord compact et ramassé, en terre, en relation directe avec un microclimat (la palmeraie) et parce qu’il réagit à l’hostilité du désert comme structure unifiée dans une logique de complémentarité allant du choix du matériau au mode d’implantation sur le territoire, sous une forme contenue. Dans ce sens, le modèle du ksar présente un exemple de consommation rationnelle du sol à urbaniser, qui peut participer à résoudre le problème du foncier de l’agglomération. Il peut également porter la solution à la précarité du “centre moderne”, s’il devient l’objet d’une réhabilitation ou d’une valorisation.
Quant au problème de ruine du cadre bâti, il faut voir en cela la perte .d’un capital “fixe” en matière de tourisme. Car si le résident aspire à habiter dans des maisons “en dur’, le touriste, lui, cherche le dépaysement dans le mode de vie spécifique au territoire qu’il visite t Béchar attire les résidents mais repousse les touristes.
Par conséquent, l’option pour le tourisme dépend totalement de l’entretien du cadre bâti et de l’environnement.




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