Algérie

Les jeunes et la politique : une force démographique gagnée par le fatalisme



Les jeunes et la politique : une force démographique gagnée par le fatalisme
En Algérie, quel rapport ont les moins de 30 ans à la politique ? En la matière, il y a autant d’exemples que de contre-exemples. A quelques encablures des élections législatives, un rendez-vous que certains attendent avec espoir ou qui laisse indifférents d’autres, El Watan donne la parole à la «génération Y» algérienne. Cette «génération Y» est la tranche d’âge née entre 1980 et 1995. Ces jeunes, qui ont grandi dans un monde où l’ordinateur personnel, l’internet et les multimédias sont de plus en plus importants et accessibles, ont bouleversé les codes et les modes de communication des générations précédentes. Et s’il est un domaine où ils se différencient de leurs pères, c’est bien la politique. A l’âge où leurs aînés ont fait la révolution, comment les jeunes d’aujourd’hui se positionnent-ils ? Entre engagement quotidien, démission totale ou désillusion, la rupture est-elle consommée entre les jeunes Algériens et la chose politique ?


Ils le disent sans ambages. «Khatini el politique… je ne m’intéresse pas à la politique», leitmotiv du jeune Algérien lambda. «Je ne me fais pas d’illusions, tout est à chaque fois prévisible, ceux qui la font sont les mêmes depuis... depuis que je suis né», s’amuse Tarek, 20 ans. Et dommage, serait-on tenté de dire, car, pour paraphraser les slogans et autres discours de nos politiques, les jeunes sont une force. Et une force démographique avant tout.


«Khatini el politique !... La politique ne m’intéresse pas !»


Selon les données de l’Office national des statistiques (ONS), ils étaient, lors du dernier recensement de 2010, quelque 7,5 millions d’Algériens âgés entre 20 et 29 ans. Ils sont donc approximativement quelque 8, 5 millions d’Algériens âgés de 18 à 30 ans, soit environ 23% de la population globale. Ainsi, près du quart des Algériens ne s’impliquent que vaguement dans la chose publique. Il serait toutefois faux de décréter qu’ils ne s’y intéressent pas du tout.
D’ailleurs, les formations politiques ainsi que leurs leaders sont connus de la majorité. Et leurs programmes ? «Je n’ai pas vraiment d’idées précises parce qu’il n’y a pas un parti qui ait un projet politique clair et précis», estime Tarek. «Comment savoir ce qu’ils proposent s’ils ne le communiquent pas ?», s’interroge Salem, qui ajoute : «Mais j’avoue qu’ils sont marrants, parce que, justement, ils passent leur temps à discourir et à gesticuler pour ne rien dire.»


«écart de langage» entre eux et les «dinosaures»


Tout le monde en prend pour son grade, président de parti au pouvoir ou dans l’opposition, gouvernement, élus, etc. Florilège ? «Ils vivent tous sur une autre planète.» «Opportunistes, suiveurs, ils ne pensent qu’à leurs intérêts, pas à ceux du pays.» «Ils n’ont aucune conviction si ce n’est d’œuvrer pour leurs privilèges. La preuve ? Ils passent leur temps à changer de parti.» «Ils ne vont vers les citoyens que lorsqu’il y a élection en vue.» «Langue de bois et populisme, dinosaures.» «Il est évident qu’ils n’ont aucune crédibilité auprès de ces jeunes. Les discours n’intéressent pas ces derniers», analyse Nacer Djabi, sociologue, spécialisé dans les relations de la société à la politique. «Il y a là un problème de fond, de contenu. Pour eux, c’est de la comédie. Ils estiment qu’il y a un double discours répandu chez les responsables et les politiciens», poursuit le sociologue, qui affirme que la communication est coupée. Le décalage est aussi dû à une question de forme. Les Algériens ne s’identifient plus à la classe dirigeante, à plus forte raison ceux qui sont âgés de moins de 30 ans. Et pour cause.

La moyenne d’âge des membres de l’actuel gouvernement est de plus de 60 ans. Les présidents de parti ont tous plus de 50 ans. Les «anciens» ne prennent pas la peine de «parler jeune». «C’est comme pour cette histoire de réformes politiques. Est-ce qu’ils pensent vraiment que les jeunes ‘’ordinaires’’ savent ce qui s’est fait ? C’est du chinois», juge Salem. «Tout cela concourt à l’exclusion de cette génération, ipso facto ou par la force des choses, de la vie publique, de tout processus, dialogue ou investissement du soi dans la politique», estime M. Djabi, et ce, contrairement à leurs aînés.


Ruptures générationnelles


Car, de tout temps, ce sont les jeunes qui ont pris les initiatives et les commandes, à commencer par la guerre de Libération nationale. La plupart des combattants avaient moins de la trentaine. L’actuel président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a été ministre de la Jeunesse et des Sports à l’âge de… 25 ans. L’Algérie était alors un tout jeune pays, dirigé par un non moins jeune président, Houari Boumediène, qui avait moins de 40 ans lors de son accession au pouvoir. «L’histoire de la politique et l’expérience algérienne en la matière montrent qu’il y a une réelle cassure entre ces générations», affirme Nacer Djabi. «Il y a une génération qui a découvert la politique avec des moments forts de l’histoire contemporaine du pays. Et ils en ont été les principaux acteurs», explique-t-il. Et ce dernier d’énumérer les «événements rassembleurs». Le Printemps berbère d’avril 1980 a été fait par des étudiants. De même, durant les années 1990, la vague de l’islamisme politique a été portée par des jeunes. Et il y avait, de l’autre côté, un autre front de jeunes qui s’est élevé contre ce «péril» à l’égard de la République. Un peu plus tard, il y a eu les événements de 2001 en Kabylie qui ont vu la jeunesse se rebeller. Mais alors, qu’est-ce qui a changé ? «La perte totale de confiance», répond Djabi.


Une carte de vote pour les papiers…


La crise entre gouvernants et gouvernés est donc profonde. Elle l’est dans l’absolu, mais elle s’exprime tout de même de manière plus criante chez les jeunes. «Cette frange, que j’ai appelée la génération des mouvements sociaux, est très différente des tranches d’âge antérieures. De par le vécu, et le non vécu, mais aussi de par ses modes d’expression qui vont dans la contestation et la violence, les jeunes préfèrent s’investir dans le social et la société civile», explique Nacer Djabi. Selon lui, la rupture est bel et bien tangible entre cette génération et les politiques (lire encadré). Entre le militantisme encadré et l’émeute, il y a un éventail d’attitudes. Et la plus généralement adoptée est la démission. Est-ce grave ? «C’est même très grave. La politique ne se reproduit plus, et les anciens n’ont pas su attirer la relève. Il y a un véritable échec des partis», déplore M. Djabi.

«Aujourd’hui, très peu de jeunes sont dans les partis politiques, très peu adhèrent à des structures organisées. Quant aux élections, la plupart d’entre eux n’ont jamais voté», constate le sociologue. Lors du renouvellement du fichier électoral, en 2009, les 18-30 ans étaient 4 913 712 à être inscrits sur les listes. Seule la moitié de cette population faisait partie de la «génération Y». Et il semblerait que même titulaire de la carte orange, le jeune préfère s’abstenir. Pas Amel, 28 ans, qui dit avoir déjà voté. «Mais c’était un bulletin nul, pour avoir le cachet sur ma carte, afin de ne pas avoir de problèmes quand je retire des papiers à la mairie»…

La «génération Y» et les législatives

L’agitation qui s’empare de la scène politico-médiatique à l’orée des élections législatives n’échappe pas à l’œil acerbe et amusé de nombreux jeunes. «A chaque échéance électorale, c’est la même mascarade. Ça me rappelle l’ambiance que l’on a vécue quelques jours avant les matches de qualification pour la Coupe du monde de football», commente, dans un rire, Salim.

«Tous les jours, l’on voit apparaître de nouveaux partis, inconnus au bataillon ou l’on assiste à la réapparition miraculeuse de personnalités qui se terraient Dieu seul sait où», poursuit-il. Votera, votera pas ? Les réponses sont aussi variées que l’est cette génération. Il y a les «non» assurés. «Ma voix ne changera absolument rien aux résultats. Tout est joué d’avance !», critique Chanez.

D’autant plus qu’ils estiment que le pouvoir n’a pas donné assez de garanties quant à la transparence du scrutin à venir. «Les urnes en plexiglas, les observateurs internationaux et autres vœux pieux… Ils ont d’autres moyens de frauder», accuse Samir. Mais il y a aussi des indécis. Car, en dépit de leur scepticisme, ils ne sont pas «abstentionnistes ipso facto». Si certains votent par «acquis de conscience», d’autres scrutent la scène politique avec attention.

«J’attends de voir si l’agrément est bel est bien donné aux nouveaux partis. L’un d’eux m’inspire confiance et j’aimerais le voir siéger au prochain Parlement», espère Younes. «Je voterais dans le cas où un voisin, un copain ‘’w’lid houma’’ se présente et qu’il demande notre aide», prévoit, mi-blagueur, mi-sérieux, Sofiane. Et s’ils devaient faire des pronostics ? «Ce sont toujours les mêmes qui gagnent. FLN et consorts», prédit Naïla.

D’ailleurs, ils ne croient pas du tout à la «vague verte» annoncée. C’est tout du moins l’analyse, optimiste, de Salem. «Je ne pense pas que les islamistes puissent obtenir la majorité. Les Algériens sont encore traumatisés par la décennie noire. Une fois devant les bulletins, ils verront des barbes.Et tous les tragiques événements des années 1990 remonteront à la surface.»


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