Algérie

Les jasmins ne fleurissent jamais en automne…



Un jeune chômeur avait pris l'habitude, comme des milliers de ses semblables à travers le monde, de squatter un bout de trottoir avec son étal ambulant pour gagner sa croûte en vendant quelques fruits aux passants. Les commerçants du voisinage ne pouvaient supporter plus longtemps la concurrence déloyale qu'il pratiquait mais surtout cette occupation de l'espace qui rendait leurs mouvements difficiles et obstruait les devantures de leurs magasins. Excédés par cette gène permanente ils se sont plaint à la police pour les débarrasser de cette présence encombrante. Par pur hasard cette mission incomba ce jour là à une femme policière qui intervint pour remettre de l'ordre et dut devant le comportement irrespectueux du fauteur lui infliger une contravention. Jusque là il s'agit d'un simple fait divers des plus ordinaires qu'on peut rencontrer sous n'importe quelle latitude mais un étrange concours de circonstances a agit de telle sorte que cet incident, au delà du drame humain, frappe les consciences de par sa particularité et sa gravité dans un pays connu pour sa quiétude et le respect presque religieux de la discipline générale. En plus de la précarité de sa situation et des harcèlements quotidiens qui on finit par le fragiliser psychologiquement, il n'a pu supporter l'humiliation de se faire verbaliser par une femme devant ses camarades de fortune. C'était la goutte qui a fait déborder le vase ! Dans un moment de folie, il ne trouva rien de mieux que de s'asperger d'essence et de s'allumer en pleine place publique.

L'opinion nationale qui a suivi les séquences de l'horrible suicide par le feu fut soumise à un bombardement intensif par les images choc de cette torchère vivante au point de devenir très réceptive aux mots d'ordre de l'insurrection. C'est le moment qu'attendaient les professionnels de l'agit-prop pour enfourcher la vague de réprobation et l'exploiter à fonds en lui donnant un écho planétaire que les plus grands networks, passeront en boucle pour mobiliser la rue. A la pauvre et innocente victime dont les soucis étaient certainement à cent lieues de toute considération politicienne, on accolera cyniquement tous les attributs du combat pour la démocratie. La révolution avait besoin d'une icône : ce sera BOUAZIZI ! Ainsi est née la légende d'un pauvre quidam que le hasard a transformé en héros-martyr pour battre le rappel de tous les apprentis démocrates et attiser le vent de folie qui s'était alors emparée du pays. Du premier coup on converge curieusement et sans aucune hésitation vers la même explication des origines du drame : tous les malheurs viennent du pouvoir ! Un seul slogan doit être sur toutes les lèvres et les écriteaux de la foule en furie : «DEGAGE !» à l'endroit du président et tout l'encadrement du pays.

Dans l'esprit de la masse chauffée à blanc on a finit par faire admettre combien le peuple était brimé et exploité et qu'il faut juste faire partir ce régime honni pour rencontrer la félicitée de la citée idéale : plus d'injustice et plus de misère. Dans celui des meneurs chacun se promettait en secret de rafler la mise exclusivement pour lui tout en exhibant ostensiblement l'image du plus grand pourfendeur de la dictature pour l'opinion publique. La consécration n'est plus qu'à quelques encablures ;il suffit de s'armer d'une bonne cargaison de peaux de bananes à semer sur la route des rivaux si on veut accéder à la plus haute marche du podium… ! Chez le groupe des manipulateurs c'est le pragmatisme de rigueur : comment récupérer discrètement et sans se tremper ouvertement les dividendes du mouvement c'est-à-dire les charges et les honneurs du clan déchu .La rue est investie par une faune pas très rassurante et parmi les derniers étrangers qui s'y aventuraient encore quelques touristes venant du Nord de la planète ont eu la malchance de tâter du bâton des Tunisiens en rut : C'est à partir de ce haut fait révolutionnaire qu'on nomma «jasmin» ces évènements pour la postérité.

La Tunisie venait de faire sa cuti et leur président prit la clé des champs en abandonnant sans beaucoup de gloire le pays.

Le premier moment de stupeur passé, on réalisa sans trop y croire que «Ben Ali Ah Rab !»

Ayant éprouvé les techniques de la déstabilisation programmée sur le maillon le plus faible en apparence mais le plus monolithique on déplaça l'expérimentation de cette méthode au pays des pharaons. Là, le champ était plus hétérogène et la menace sismique dans le tissu social relativement présente à cause des éruptions de conflits sporadiques entre groupes ethniques et religieux qui ont toujours grevé toute tentative de rapprochement entre les factions rivales.

On eut droit à une séquence mémorable dans la bataille pour l'occupation de la fameuse place «tahrir» : une charge de la cavalerie cameline digne des grands plateaux cinématographiques hollywoodiens.

Après plusieurs péripéties et négociations avec la grande muette qu'on pria de donner de la voix en fin de compte, la proie est finalement terrassée au milieu d'un fatras de prédateurs qui guettaient du haut de leur perchoir le moment de fondre sur le meilleur morceau à arracher

Passée l'euphorie d'une victoire, somme toute facile, la première impression, après la décantation des vapeurs de la cuite révolutionnaire, laisse présager les difficultés de concrétiser sur le terrain les espérances et les attentes du début. La déception ira crescendo dés que l'on prend un peu de recul par rapport à l'évènement et qu'on commence à déceler l'existence de buts non avoués de ces révoltes trop vite et trop facilement qualifiées de «révolutionnaires». Pour le citoyen lambda, un phénomène insolite est venu bousculer les certitudes habituelles qui avaient au moins le mérite d'être confortées par la stabilité et la sécurité. A la place d'un environnement familier et rassurant on découvre un bouleversement des valeurs et des comportements dont le moindre des effets directs est l'apparition d'un climat de suspicion et d'inquiétude.

Première conséquence : le ratage de la saison touristique pour un pays dont la majorité des revenus provient essentiellement de ce secteur.

A Tripoli l'un des gladiateurs qui aimait se faire appeler SAM et ses desperados frimant la dégaine de redoutables guérilleros, tout juste revenus victorieux d'une grande bataille, voulaient nous rejouer l'héroïque prise d'Iwo Jim en exhibant fièrement devant des caméras trop complaisantes des armes qu'ils savaient visiblement à peine manÅ“uvrerais oublient que toute cette pitoyable bouffonnerie ne pourrait cacher qu'en réalité ils n'étaient là que dans le rôle peu avouable d'une vulgaire serpillière pour essuyer les débris de leur propre pays après que les frappes massives du Nato auront fait tout le travail en détruisant la moitié de la ville. L'essentiel de la guerre était assuré par les chercheurs de pétrole !

De l'autre coté en Syrie, les inévitables embusqués de la politique, aiguillonnés comme leurs congénères par les véritables tireurs de ficelles se sont réveillés de leur léthargie pour lancer, en un combat douteux, une jeunesse travaillée au corps contre les balles assassines d'un pouvoir autiste. Ne fallait-il pas profiter de cette profusion de bravoure insoupçonnée et cette prédisposition au combat pour aller libérer le Golan occupé et oublié depuis plus d'un demi siècle au lieu de dilapider stupidement ces torrents de sang pour des chimères auxquelles ne croient que les indécrottables gogos et les gens payés pour les cautionner.

Comme on n'aura plus d'ennemi commun pour focaliser toutes les revendications on se rappellera soudain que tous les autres ex-compagnons sont en réalité de féroces adversaires qu'il faut affaiblir progressivement à l'aide d'une batterie de coups bas. Chacun essaiera

d'imposer sa propre perception de la société et la confusion des tractations et des fausses alliances s'installera dans la durée au grand dam de la population qui misait beaucoup sur les nouvelles stars de la politique nationale.

Hormis le foisonnement d'ouvrages sur les frasques truculentes des ex-dirigeants et de leurs proches qu'y a t-il de changé en mieux après tout ce temps d'attente et qu'a-t-on gagné en plus de la logorrhée orale ?

On se rend compte plutôt avec amertume du développement des signes d'incivilité, d'insécurité et de cherté de la vie dans des pays qui nous avaient habitué à leur ambiance industrieuse dans un climat d'une remarquable convivialité. La déstructuration aveugle de l'état et de ses démembrements a eu pour conséquence immédiate l'absence manifeste de toute autorité et chacun peut ainsi imposer sa loi impunément sous la menace du recours à l'émeute.

Chaque partie tentera de se forger une certaine légitimité historique en arborant bien en évidence le nombre des gamins poussés dans la rue, la surface ou la couleur de la banderole déployée au vent de l'insurrection ou des pierres lancées en cachette contre des policiers ahuris. Cette participation à la révolution sera bien sûr judicieusement valorisée pour l'avenir. Ils auront leurs anciens Moudjahidines. Ils ont déjà leurs martyrs !

Et encore on n'a rien vu, le meilleur reste à venir après les élections et l'inévitable plongeon dans la zone des tempêtes avec en prime time l'avalanche des remises en cause des résultats obtenus qui va s'en suivre automatiquement. Chaque partie se sentira flouée par les scores réalisés et tout le monde hurlera à la fraude pour dénoncer les multiples magouilles qui vont jalonner la campagne électorale.

Ce n'est que la veillée d'une interminable bataille qui s'annonce ! Une longue transition consacrée à l'exploration de l'arène et au fourbissement des meilleures stratégies de la lutte pas toujours propre qui a déjà donné un avant goût malheureusement sanglant.

Pourquoi ces troubles sont-ils localisés principalement dans le monde Arabe en général et touchent principalement ceux qui étaient qualifiés de républicains. Paradoxalement, les régimes monarchiques, d'essence notoirement féodale, nous sont plutôt présentés par leurs protecteurs comme des modèles de bonne gouvernance et sont chargés de ce fait, du moins pour certains d'entre eux, d'assister les autres à goûter aux délices de la démocratie. L'un d'eux, sous le regard approbateur de ses gourous, n'a pas trouvé mieux pour réaffirmer sa gratitude que de larguer copieusement des tonnes de bombes sur les petits libyens alors que les enfants de Somalie terrassés par la famine et la maladie scrutaient en vain l'horizon d'où allaient affluer les convois de nourriture et de médicaments promis par leurs frères de sang et de religion.

Que nous vaut cet honneur d'avoir l'exclusivité mondiale des régimes dictatoriaux à déboulonner parmi tous les peuples de la terre pour nous vanter l'utilité et même l'obligation vitale de ces soulèvements violents ? Dans ce cas pourquoi ne pas étendre les bienfaits de ce fameux printemps Arabe tant admiré et encouragé par la communauté occidentale à la Palestine ? Ce problème est iniquement condamné à rester hors des préoccupations des grands de ce monde, surtout que ce pauvre pays ne dispose d'aucune ressource naturelle à convoiter. Pourtant même s'il constitue la forfaiture la plus abjecte de l'humanité depuis plus d'un demi-siècle, les champions des droits de l'homme et autres valeurs universelles n'éprouvent aucun scrupule pour fermer lâchement les yeux et se boucher cyniquement les oreilles devant l'arbitraire qui s'y déroule quotidiennement. Les petits enfants de Gaza brûlés au phosphore n'avaient eux aucun droit à la fameuse «protection des populations» brandie en Libye.

On fait semblant d'oublier que la démocratie est une culture qui se construit et s'accumule sur plusieurs générations et non le simple remplacement d'une équipe par une autre animée le plus souvent par la soif de se venger et d'accaparer à son tour.

Jusqu'à quand vont-ils nous raconter qu'on peut l'instaurer par décret ou l'imposer par la force des armes, alors qu'il suffit d'observer les résultats calamiteux des aventures Irakienne et Afghane pour se convaincre de l'inanité de ces méthodes. Après tant de destructions et de tueries les «démocratiser» se sont embourbés jusqu'au menton sans démocratiser personne. Avec le dos au mur l'heure n'est plus à la fanfaronnade mais à la recherche de la meilleure formule de s'en sortir avec le moins de dégâts possible surtout pour l'honneur passablement écorché d'une super armée incapable de tenir tête à un ennemi dont les actions spectaculaires ne font qu'exacerber l'humiliation d'avoir tout raté lamentablement.

D'aucuns reconnaîtront par dépit que personne n'a affirmé jusque là que leur expédition ne visait au départ que l'instauration d'un régime démocratique dans ces contrées barbares. Un de ces jours proches, les maîtres d'Å“uvres de ces bouleversements finiront par reconnaître qu'ils s'en foutent royalement de la nature de nos régimes, ce qui les intéresse en réalité c'est la docilité des marionnettes installées à leur tête et la facilité d'accès aux matières premières nécessaires au fonctionnement de leurs économies. Le reste !




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