Un jeune chômeur
avait pris l'habitude, comme des milliers de ses semblables à travers le monde,
de squatter un bout de trottoir avec son étal ambulant pour gagner sa croûte en
vendant quelques fruits aux passants. Les commerçants du voisinage ne pouvaient
supporter plus longtemps la concurrence déloyale qu'il pratiquait mais surtout
cette occupation de l'espace qui rendait leurs mouvements difficiles et
obstruait les devantures de leurs magasins. Excédés par cette gène permanente
ils se sont plaint à la police pour les débarrasser de cette présence
encombrante. Par pur hasard cette mission incomba ce jour là à une femme
policière qui intervint pour remettre de l'ordre et dut devant le comportement
irrespectueux du fauteur lui infliger une contravention. Jusque là il s'agit
d'un simple fait divers des plus ordinaires qu'on peut rencontrer sous
n'importe quelle latitude mais un étrange concours de circonstances a agit de
telle sorte que cet incident, au delà du drame humain, frappe les consciences
de par sa particularité et sa gravité dans un pays connu pour sa quiétude et le
respect presque religieux de la discipline générale. En plus de la précarité de
sa situation et des harcèlements quotidiens qui on finit par le fragiliser
psychologiquement, il n'a pu supporter l'humiliation de se faire verbaliser par
une femme devant ses camarades de fortune. C'était la goutte qui a fait
déborder le vase ! Dans un moment de folie, il ne trouva rien de mieux que de
s'asperger d'essence et de s'allumer en pleine place publique.
L'opinion
nationale qui a suivi les séquences de l'horrible suicide par le feu fut
soumise à un bombardement intensif par les images choc de cette torchère
vivante au point de devenir très réceptive aux mots d'ordre de l'insurrection.
C'est le moment qu'attendaient les professionnels de l'agit-prop pour
enfourcher la vague de réprobation et l'exploiter à fonds en lui donnant un
écho planétaire que les plus grands networks, passeront en boucle pour
mobiliser la rue. A la pauvre et innocente victime dont les soucis étaient
certainement à cent lieues de toute considération politicienne, on accolera cyniquement
tous les attributs du combat pour la démocratie. La révolution avait besoin
d'une icône : ce sera BOUAZIZI ! Ainsi est née la légende d'un pauvre quidam
que le hasard a transformé en héros-martyr pour
battre le rappel de tous les apprentis démocrates et attiser le vent de folie
qui s'était alors emparée du pays. Du premier coup on converge curieusement et
sans aucune hésitation vers la même explication des origines du drame : tous
les malheurs viennent du pouvoir ! Un seul slogan doit être sur toutes les
lèvres et les écriteaux de la foule en furie : «DEGAGE !» à l'endroit du
président et tout l'encadrement du pays.
Dans l'esprit de
la masse chauffée à blanc on a finit par faire admettre combien le peuple était
brimé et exploité et qu'il faut juste faire partir ce régime honni pour
rencontrer la félicitée de la citée idéale : plus d'injustice et plus de
misère. Dans celui des meneurs chacun se promettait en secret de rafler la mise
exclusivement pour lui tout en exhibant ostensiblement l'image du plus grand
pourfendeur de la dictature pour l'opinion publique. La consécration n'est plus
qu'à quelques encablures ;il suffit de s'armer d'une
bonne cargaison de peaux de bananes à semer sur la route des rivaux si on veut
accéder à la plus haute marche du podium… ! Chez le groupe des manipulateurs
c'est le pragmatisme de rigueur : comment récupérer discrètement et sans se
tremper ouvertement les dividendes du mouvement c'est-à-dire les charges et les
honneurs du clan déchu .La rue est investie par une faune pas très rassurante
et parmi les derniers étrangers qui s'y aventuraient encore quelques touristes
venant du Nord de la planète ont eu la malchance de tâter du bâton des
Tunisiens en rut : C'est à partir de ce haut fait révolutionnaire qu'on nomma
«jasmin» ces évènements pour la postérité.
La Tunisie venait de faire sa cuti et leur
président prit la clé des champs en abandonnant sans beaucoup de gloire le
pays.
Le premier moment
de stupeur passé, on réalisa sans trop y croire que «Ben Ali Ah Rab !»
Ayant éprouvé les
techniques de la déstabilisation programmée sur le maillon le plus faible en
apparence mais le plus monolithique on déplaça l'expérimentation de cette
méthode au pays des pharaons. Là, le champ était plus hétérogène et la menace
sismique dans le tissu social relativement présente à cause des éruptions de
conflits sporadiques entre groupes ethniques et religieux qui ont toujours
grevé toute tentative de rapprochement entre les factions rivales.
On eut droit à
une séquence mémorable dans la bataille pour l'occupation de la fameuse place «tahrir» : une charge de la cavalerie cameline digne des
grands plateaux cinématographiques hollywoodiens.
Après plusieurs
péripéties et négociations avec la grande muette qu'on pria de donner de la
voix en fin de compte, la proie est finalement terrassée au milieu d'un fatras
de prédateurs qui guettaient du haut de leur perchoir le moment de fondre sur
le meilleur morceau à arracher
Passée l'euphorie
d'une victoire, somme toute facile, la première impression, après la
décantation des vapeurs de la cuite révolutionnaire, laisse présager les
difficultés de concrétiser sur le terrain les espérances et les attentes du
début. La déception ira crescendo dés que l'on prend un peu de recul par
rapport à l'évènement et qu'on commence à déceler l'existence de buts non
avoués de ces révoltes trop vite et trop facilement qualifiées de
«révolutionnaires». Pour le citoyen lambda, un phénomène insolite est venu
bousculer les certitudes habituelles qui avaient au moins le mérite d'être
confortées par la stabilité et la sécurité. A la place d'un environnement
familier et rassurant on découvre un bouleversement des valeurs et des
comportements dont le moindre des effets directs est l'apparition d'un climat
de suspicion et d'inquiétude.
Première
conséquence : le ratage de la saison touristique pour un pays dont la majorité
des revenus provient essentiellement de ce secteur.
A Tripoli l'un
des gladiateurs qui aimait se faire appeler SAM et ses desperados frimant la
dégaine de redoutables guérilleros, tout juste revenus victorieux d'une grande
bataille, voulaient nous rejouer l'héroïque prise d'Iwo Jim en exhibant
fièrement devant des caméras trop complaisantes des armes qu'ils savaient
visiblement à peine manÅ“uvrerais oublient que toute cette pitoyable
bouffonnerie ne pourrait cacher qu'en réalité ils n'étaient là que dans le rôle
peu avouable d'une vulgaire serpillière pour essuyer les débris de leur propre
pays après que les frappes massives du Nato auront fait tout le travail en
détruisant la moitié de la ville. L'essentiel de la guerre était assuré par les
chercheurs de pétrole !
De l'autre coté
en Syrie, les inévitables embusqués de la politique, aiguillonnés comme leurs
congénères par les véritables tireurs de ficelles se sont réveillés de leur
léthargie pour lancer, en un combat douteux, une jeunesse travaillée au corps
contre les balles assassines d'un pouvoir autiste. Ne fallait-il pas profiter
de cette profusion de bravoure insoupçonnée et cette prédisposition au combat
pour aller libérer le Golan occupé et oublié depuis plus d'un demi siècle au
lieu de dilapider stupidement ces torrents de sang pour des chimères auxquelles
ne croient que les indécrottables gogos et les gens payés pour les cautionner.
Comme on n'aura
plus d'ennemi commun pour focaliser toutes les revendications on se rappellera
soudain que tous les autres ex-compagnons sont en réalité de féroces
adversaires qu'il faut affaiblir progressivement à l'aide d'une batterie de
coups bas. Chacun essaiera
d'imposer sa propre
perception de la société et la confusion des tractations et des fausses
alliances s'installera dans la durée au grand dam de la population qui misait
beaucoup sur les nouvelles stars de la politique nationale.
Hormis le
foisonnement d'ouvrages sur les frasques truculentes des ex-dirigeants et de
leurs proches qu'y a t-il de changé en mieux après tout ce temps d'attente et
qu'a-t-on gagné en plus de la logorrhée orale ?
On se rend compte
plutôt avec amertume du développement des signes d'incivilité, d'insécurité et
de cherté de la vie dans des pays qui nous avaient habitué à leur ambiance
industrieuse dans un climat d'une remarquable convivialité. La déstructuration
aveugle de l'état et de ses démembrements a eu pour conséquence immédiate
l'absence manifeste de toute autorité et chacun peut ainsi imposer sa loi
impunément sous la menace du recours à l'émeute.
Chaque partie
tentera de se forger une certaine légitimité historique en arborant bien en
évidence le nombre des gamins poussés dans la rue, la surface ou la couleur de
la banderole déployée au vent de l'insurrection ou des pierres lancées en
cachette contre des policiers ahuris. Cette participation à la révolution sera
bien sûr judicieusement valorisée pour l'avenir. Ils auront leurs anciens Moudjahidines. Ils ont déjà leurs martyrs !
Et encore on n'a
rien vu, le meilleur reste à venir après les élections et l'inévitable plongeon
dans la zone des tempêtes avec en prime time l'avalanche des remises en cause
des résultats obtenus qui va s'en suivre automatiquement. Chaque partie se
sentira flouée par les scores réalisés et tout le monde hurlera à la fraude
pour dénoncer les multiples magouilles qui vont jalonner la campagne
électorale.
Ce n'est que la
veillée d'une interminable bataille qui s'annonce ! Une longue transition
consacrée à l'exploration de l'arène et au fourbissement des meilleures
stratégies de la lutte pas toujours propre qui a déjà donné un avant goût
malheureusement sanglant.
Pourquoi ces
troubles sont-ils localisés principalement dans le monde Arabe en général et
touchent principalement ceux qui étaient qualifiés de républicains.
Paradoxalement, les régimes monarchiques, d'essence notoirement féodale, nous
sont plutôt présentés par leurs protecteurs comme des modèles de bonne
gouvernance et sont chargés de ce fait, du moins pour certains d'entre eux,
d'assister les autres à goûter aux délices de la démocratie. L'un d'eux, sous
le regard approbateur de ses gourous, n'a pas trouvé mieux pour réaffirmer sa
gratitude que de larguer copieusement des tonnes de bombes sur les petits
libyens alors que les enfants de Somalie terrassés par la famine et la maladie
scrutaient en vain l'horizon d'où allaient affluer les convois de nourriture et
de médicaments promis par leurs frères de sang et de religion.
Que nous vaut cet
honneur d'avoir l'exclusivité mondiale des régimes dictatoriaux à déboulonner
parmi tous les peuples de la terre pour nous vanter l'utilité et même
l'obligation vitale de ces soulèvements violents ? Dans ce cas pourquoi ne pas
étendre les bienfaits de ce fameux printemps Arabe tant admiré et encouragé par
la communauté occidentale à la
Palestine ? Ce problème est iniquement condamné à rester hors
des préoccupations des grands de ce monde, surtout que ce pauvre pays ne
dispose d'aucune ressource naturelle à convoiter. Pourtant même s'il constitue
la forfaiture la plus abjecte de l'humanité depuis plus d'un demi-siècle, les
champions des droits de l'homme et autres valeurs universelles n'éprouvent aucun
scrupule pour fermer lâchement les yeux et se boucher cyniquement les oreilles
devant l'arbitraire qui s'y déroule quotidiennement. Les petits enfants de Gaza
brûlés au phosphore n'avaient eux aucun droit à la fameuse «protection des
populations» brandie en Libye.
On fait semblant
d'oublier que la démocratie est une culture qui se construit et s'accumule sur
plusieurs générations et non le simple remplacement d'une équipe par une autre
animée le plus souvent par la soif de se venger et d'accaparer à son tour.
Jusqu'à quand
vont-ils nous raconter qu'on peut l'instaurer par décret ou l'imposer par la
force des armes, alors qu'il suffit d'observer les résultats calamiteux des
aventures Irakienne et Afghane pour se convaincre de l'inanité de ces méthodes.
Après tant de destructions et de tueries les «démocratiser» se sont embourbés
jusqu'au menton sans démocratiser personne. Avec le dos au mur l'heure n'est
plus à la fanfaronnade mais à la recherche de la meilleure formule de s'en
sortir avec le moins de dégâts possible surtout pour l'honneur passablement
écorché d'une super armée incapable de tenir tête à un ennemi dont les actions
spectaculaires ne font qu'exacerber l'humiliation d'avoir tout raté
lamentablement.
D'aucuns
reconnaîtront par dépit que personne n'a affirmé jusque là que leur expédition
ne visait au départ que l'instauration d'un régime démocratique dans ces
contrées barbares. Un de ces jours proches, les maîtres d'Å“uvres de ces
bouleversements finiront par reconnaître qu'ils s'en foutent royalement de la
nature de nos régimes, ce qui les intéresse en réalité c'est la docilité des
marionnettes installées à leur tête et la facilité d'accès aux matières
premières nécessaires au fonctionnement de leurs économies. Le reste !
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Posté Le : 13/10/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Amara KHALDI
Source : www.lequotidien-oran.com