Algérie

Les interrogations que soulève le rapport Stora



Après avoir exposé « ce que nous dit le rapport Stora », dans la précédente édition (la contribution est disponible sur le site du journal : https://www.lexpression.dz/nationale/ce-que-nous-dit-le-rapport-stora 346044) , l'universitaire Mouloud Heddir poursuit sa critique constructive sur le rapport de Benjamin Stora remis, en janvier dernier, au président français Emmanuel Macron. Heddir consigne dans cette partie les interrogations que soulève le document de l'historien. En premier lieu, le lien surprenant entre le terrorisme islamiste et la colonisation. Aussi, note-t-il la référence explicite que le rapport fait au terrorisme islamiste un de ses aspects surprenants. A deux reprises, il y est ainsi noté que « au moment où la rédaction de ce rapport touchait à sa fin, des attentats meurtriers ont frappé la France, la décapitation du professeur d'histoire Samuel Paty, et l'assassinat à Nice de trois fidèles dans une église, victimes du terrorisme islamiste. Après ces actes meurtriers, se sont posés le rapport entre la religion musulmane et l'instrumentalisation de cette religion à des fins politiques ».L'islamisme politique violent constitue un défi de taille pour les pays qui en sont victimes, mais le lien que M. Stora établit implicitement entre ces meurtres ignobles et la colonisation de l'Algérie, est aussi surprenant que difficile à saisir.
À l'évidence, les cicatrices de la colonisation et de la guerre d'Algérie sont encore vivaces en France comme en Algérie, et pour des raisons souvent diamétralement opposées. Cela se lit à travers la rédaction malaisée du rapport et son souci de ne froisser les susceptibilités d'aucune des parties, pour éviter de les braquer et, bien sûr, sans trop transiger avec la vérité historique. S'il faut donc l'aborder au départ avec un a priori favorable, on y relève toutefois un certain nombre d'aspects dérangeants ou d'interrogations que l'on ne peut manquer de soulever.
Le lien surprenant entre colonisation et terrorisme islamiste
La référence explicite que le rapport fait au terrorisme islamiste est un de ses aspects surprenants. À deux reprises, il y est ainsi noté que «au moment où la rédaction de ce rapport touchait à sa fin, des attentats meurtriers ont frappé la France, la décapitation du professeur d'histoire Samuel Paty, et l'assassinat à Nice de trois fidèles dans une église, victimes du terrorisme islamiste. Après ces actes meurtriers, se sont posés le rapport entre la religion musulmane et l'instrumentalisation de cette religion à des fins politiques».
L'islamisme politique violent constitue un défi de taille pour les pays qui en sont victimes, mais le lien que M. Stora établit implicitement entre ces meurtres ignobles et la colonisation de l'Algérie, est aussi surprenant que difficile à saisir. La crainte des «incendies de mémoires enflammées, surtout dans la jeunesse» n'est pas vraiment l'argument pertinent pour justifier la nécessité d'un nouveau discours sur la colonisation. Chacun sait que cette forme de terrorisme, dont l'Algérie a elle-même lourdement pâti, infeste quasiment la planète entière. Outre qu'il trouve son origine dans des pays du Moyen-Orient avec lesquels la France entretient, par ailleurs, d'étroites relations, c'est un relent des guerres modernes de la fin du XXe siècle et des réseaux sociaux mondialisés, sans lien vraiment établi avec les expériences coloniales. Surtout, loin de rapprocher les points de vue sur cette colonisation, l'argument contribue plutôt à alimenter cette «mémoire de la bonne conscience qui s'enracine en France» et qui prend prétexte du fanatisme religieux et de «la certitude d'avoir eu raison à l'époque coloniale».
La partie consacrée au dossier des archives coloniales et à la nécessité de leur ouverture complète est certainement une des plus riches et des plus instructives de ce rapport Stora. Outre l'état général des lieux qui y est présenté, on y distingue une ligne de travail d'autant plus simple et explicite que, dans le principe, la partie française admet elle-même la nécessité d'une ouverture systématique des archives, soixante années après l'indépendance algérienne.
Les retards inexpliqués de l'ouverture des archives
En l'occurrence, ce principe est celui qui est posé dans le droit commun français et qui est censé s'appliquer à toutes les catégories d'archives publiques, après une période maximale de cinquante (50) années. Le rapport Stora pointe toute une série d'obstacles qui ont été opposés et qui restent encore inexplicablement dressés devant l'accès aux archives algériennes, en dépit des prescriptions de la loi française.
On observera, à ce sujet, que les autorités algériennes ne semblent pas avoir jamais protesté devant ces blocages. L'accès aux archives de la colonisation n'a jamais figuré au rang des priorités des autorités algériennes. Il est vrai que le problème n'est pas seulement d'ordre politique, il est à la base d'ordre technique et pratique. Benjamin Stora signale très justement un ensemble de questions pertinentes soulevées par l'historien algérien Hosni Kitouni: quelles catégories d'archives récupérer' Sous quelle forme, originaux ou copies' Et sur quels supports' Comment s'organiser pour les exploiter utilement' Comment en organiser l'accessibilité' Qui doit financer le rapatriement de ces archives' Etc. Implicitement, ces interrogations suggèrent que notre pays a besoin encore de mieux s'organiser pour prendre réellement possession de la masse imposante des archives coloniales. Le préalable de l'accord politique, du côté français, n'est donc pas le principal obstacle.
Cela étant, Benjamin Stora nous rappelle qu'en dépit du temps écoulé, ces archives présentent toujours une sensibilité extrême pour la France, au vu de toutes les précautions qu'elle prend à les divulguer, y compris pour les chercheurs français. Même s'il ne le dit pas, on y décèle les traces de vieilles rancoeurs.
Ainsi, du caractère emblématique de ces archives touchant aux plans de dissémination des mines antipersonnel posées aux frontières algériennes avec le Maroc et la Tunisie et qui n'ont été restituées qu'en octobre 2007.
L'armée algérienne avait dû s'employer d'elle-même après 1962 pour rechercher et détruire une partie de ces mines. Quand on sait que des dizaines d'enfants ont été estropiés à vie faute d'un déminage méthodique et systématique, on se demande s'il faut saluer le courage du président Sarkozy qui a ordonné de enfin remettre ces plans ou dénoncer l'inertie coupable de tous ceux qui, avant lui, les ont dissimulés maladivement pendant 45 années.
Coopération économique et mémoire coloniale
Bizarrement, le rapport Stora met en avant un thème sur lequel il n'était pas vraiment attendu, celui de la coopération économique. Il aborde ainsi la tenue en décembre 2017 d'une session du «Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien», comme le souhait d'instaurer un climat de détente de la part du gouvernement français. Ainsi, est-il noté que «cette session, à laquelle ont pris part plusieurs membres des gouvernements algérien et français, a été l'occasion pour les deux parties de réaffirmer leur volonté de hisser le partenariat économique et industriel entre l'Algérie et la France au niveau d'excellence de leurs relations politiques et se sont félicitées de (...) la signature de trois accords de partenariat dans les domaines de l'automobile, l'énergie et l'agroalimentaire».
Cette incursion dans le domaine de la relation économique entre les deux pays est pour le moins curieuse. Loin de contribuer à créer un climat détendu et serein, la coopération économique bilatérale depuis 1962 à ce jour aura été plutôt une source de tensions et de malentendus.
L'objectif inscrit dans les accords d'Evian, d'une «indépendance algérienne dans la coopération avec la France» avait volé en éclats avec le départ massif de la population européenne et fut définitivement enterré avec la nationalisation des intérêts pétroliers français en 1971. Depuis cette date et en dépit du fait que la France reste toujours un des tout premiers partenaires commerciaux de l'Algérie, il est difficile de citer un projet de coopération bilatérale que l'on puisse considérer aujourd'hui comme exemplaire.
Il est vrai qu'on ne peut pas imputer un tel échec à la France seule, les autorités algériennes en assumant elles-mêmes une grande responsabilité.
Au surplus, pour toutes les questions économiques essentielles, celles se rapportant à l'investissement et au commerce, c'est l'instance européenne qui, depuis l'avènement du marché unique européen, en est comptable et est l'interlocuteur de l'Algérie comme de tous les autres pays du monde.
Quant à ce Comité intergouvernemental, il n'a servi en aucune façon les intérêts de l'économie algérienne, comme en témoigne le blocage actuel de ce projet censé être l'annonce d'une industrie automobile algérienne.
Si l'on ajoute que les ministres qui animaient cette session d'octobre 2017 que mentionne le rapport Stora, sont quasiment tous soit en fuite, soit emprisonnés pour des faits graves de corruption, on comprend que la voie de la coopération économique empruntée jusqu'ici n'apporte rien à la volonté affichée d'apaisement. On attend vainement un projet significatif comme celui d'un hôpital français, d'une université française, etc., qui soit porté par la coopération française en Algérie. à défaut d'une ambition effective de coopération économique durable, on pourrait demander à la France de simplement se désolidariser de ces pratiques généralisées de corruption au sein de notre économie, et de cesser d'accueillir toute cette faune de dirigeants prédateurs qui, après avoir pillé leur pays, vont s'y soigner, s'y réfugier ou vivre de leurs prébendes.





Universitaire, membre du think thank Care
Mouloud Heddir


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