Algérie

Les inspecteurs d'hygiène sur le pied de guerre



Huile de friture usagée, des sachets poubelles en guise de film transparent, ou encore des chaussures entreposées au milieu de la matière première, c'est ce qui se cache derrière les cuisines de «certains» fast-foods et boulangers de nos quartiers. Entre l'inconscience des commerçants et les inspecteurs d'hygiène, c'est un combat sans fin. Enquête.Il est 11h30. L'heure du déjeuner approche. Les gens cherchent un lieu pour se restaurer. Une fois sur place et que la commande est passée, chacun attend pour déguster son plat ou son sandwich. Tout d'un coup, le repas est perturbé et l'appétit coupé. La cause : les services d'inspection d'hygiène sont là. Les commerçants n'ont qu'à bien se tenir.
La pression monte et l'inquiétude des restaurateurs se ressent. Sur place, trois inspecteurs d'hygiène ont fait le déplacement comme à leur habitude. Premier arrêt dans un fast-food. L'état de ces lieux est scruté avec soin. Direction la cuisine, chaque recoin est inspecté, rien n'est laissé au hasard.
On constate les premières anomalies, des plateaux de fours collants de graisse, des raclettes à peinture pour remplacer les spatules et des sachets poubelles de couleur noire en guise de film transparent. Mais ce n'est pas tout, la matière première telle que la farine est entreposée sur le sol près des chaussures.
Cependant, les toilettes sont irréprochables. A la fin de l'inspection, un PV et une mise en demeure de 15 jours sont établis. «Dans ce cas, le gérant a un délai de 15 jours pour procéder aux réaménagements de son local, notamment dans le nettoyage et la réorganisation de l'espace alimentaire et du lieu dépôt de la matière première», explique Bahar Iachi, représentant de la Direction du commerce de la wilaya d'Alger. 11h50, un second fast-food est la prochaine cible des inspecteurs. L'huile de friture est dans leur ligne de mire.
Elle est contrôlée à l'aide d'un appareil ultra sophistiqué, le «fritest». Son utilité est simple, il révèle l'état de dégradation de l'huile uniquement en y plongeant sa sonde. L'appareil affiche 27,7%. «Pour vérifier l'état de dégradation de l'huile, on doit mesurer le taux de peroxyde. Entre 0 et 20%, l'appareil signale la couleur verte, preuve que l'huile est bonne. Lorsque c'est orange, les valeurs se situent entre 20 et 24%.
L'huile est à changer de préférence, mais elle reste dans les normes. Toutefois, lorsque l'écran de l'appareil vire au rouge et affiche un chiffre supérieur à 24%, l'état de dégradation de l'huile est total», précise Hocine Chtaïbi, représentant de la Direction du commerce de la wilaya d'Alger. A la demande de l'inspecteur, l'huile doit être changée, car elle ne respecte pas la norme.
Elle l'a dépassée de plus de 3%. Il semblerait que certains gérants d'établissement ne sont pas conscients du réel danger de la consommation d'une huile dégradée, et surtout le moment précis où elle doit être changée. Hocine Chtaïbi explique que plusieurs signes indiquent l'altération de l'huile de friture. Il appartient donc aux opérateurs économiques d'être attentifs à ces signes. «Dès que l'huile devient plus sombre, nous sommes en présence d'une huile à jeter. Elle présente un réel danger pour la santé humaine.»
L'un des restaurateurs qui a été questionné au sujet de l'huile de friture, nous a dit qu'il se «fiait à sa coloration. Dès que l'huile vire à la couleur rouille foncée, je la jette.» C'est en effet la bonne réponse, pourtant elle n'est pas appliquée dans tous les cas et par tous les restaurateurs. Cependant, l'huile n'est pas la seule chose qui préoccupe les services d'hygiène. La date de péremption des matières premières est également surveillée et aussi tout ce qui est préparé sur place, tel que la mayonnaise.
Est-elle correctement conservée au rayon frais ' Est-elle recouverte d'un film de protection pour ne pas être au contact de l'air ' Tout est passé au peigne fin. En fait, les inspecteurs se donnent le droit de jeter ou détruire les aliments qu'ils jugent impropres ou dangereux pour la consommation humaine. Il arrive quelquefois qu'un mouchard est déposé discrètement sans que les propriétaires s'en aperçoivent. Il est récupéré à la fin de l'expérience, il contient tous les détails relatifs à la température dans le cas où il y a des coupures de courant volontaires ou involontaires.
Anomalies
Les prochains locaux à inspecter sont dans une situation tout aussi alarmante. Le fromage est exposé à l'air libre sans aucune protection, la salade non couverte baigne dans une eau dont la couleur ne peut être identifiée.
En ce qui concerne la sauce tomate utilisée pour la pizza, elle est disposée dans des bidons non adaptés. Du côté des pommes de terre, elles macèrent dans une eau suspecte elles aussi. La température des réfrigérateurs est également testée. A l'aide d'un thermomètre à frigo, l'agent mesure avec précision la température du réfrigérateur en le plaçant juste à l'intérieur.
«Pour conserver les aliments au frais, le réfrigérateur se règle entre 4 et 6 degrés Celsius. Une température qui doit être absolument respectée pour ne pas altérer les aliments entreposés à l'intérieur», déclare Bahar Iachi, représentant de la Direction du commerce de la wilaya d'Alger. Tous les commerçants qui ont été contrôlés ce jour-là ont respecté avec succès la norme de température idéale. Durant cette journée d'inspection plus que productive, on a constaté que la plupart des restaurateurs présentent des analogies.
En effet, le manque de rangement est incontestable. La matière première, autrement dit la farine, la semoule, l'huile ? sont entreposées à même le sol pour la majorité d'entre eux. La cuisine, l'espace de rangement et les sanitaires sont tous situés dans la même salle. Bien qu'il existe une porte pour séparer les toilettes, l'espace réduit et exigu rend le déplacement des responsables assez difficile. Le côté cuisine est, selon Bahar Iachi, à revoir complètement pour une meilleure fonctionnalité.
Rideau baissé
Les exemples cités ne reflètent pas forcément l'état des lieux et l'organisation de tous les restaurateurs. Beaucoup ne remplissent pas les critères d'hygiène et d'inspection à la lettre, mais beaucoup d'autres sont irréprochables.
Il est important de préciser que certains restaurants et fast-foods ont «baissé le rideau de leur local» à une heure où la rentabilité de la restauration est à son optimum. Ils ont été alertés par leurs confrères en signe de solidarité, à la surprise des inspecteurs. La raison : éviter l'inspection et les possibles représailles des inspecteurs. Ce genre de comportement n'est pas anodin.
«Ce n'est pas la première fois qu'ils ferment leurs locaux à des heures où l'activité commerciale est la plus rentable. Cependant, cela ne nous affecte pas, nous reviendrons un autre jour directement chez les personnes qui ont volontairement fermé leurs locaux, et nous ne serons pas indulgents avec eux», déclare Khadidja Deramchia, chef de brigade de la répression des fraudes au niveau de l'inspection de la circonscription de Bouzaréah.
Il faut savoir que plus de 840 agents de contrôle sont sur le terrain dans la wilaya d'Alger uniquement ? entre des agents qui se chargent de qualité, des agents de la répression des fraudes et de ceux qui se chargent des prix et des enquêtes économiques.
Ils sont dispatchés sur 13 inspections territoriales d'Alger, selon le nombre de commerces et de la superficie de la circonscription a à laquelle ils appartiennent. Ils suivent un plan d'action, un programme élaboré par la direction du commerce de la wilaya d'Alger approuvé et envoyé à la direction régionale du même ministère.
On y retrouve toutes les activités commerciales des commerçants, des usines, des fabricants, des grossistes et des détaillants répartis par objectif. A titre d'exemple : dans la réduction des risques alimentaires, la maîtrise de la sécurité des produits, l'obligation de l'information du consommateur, l'assainissement du commerce extérieur importateur et le respect des prix et tarifs réglementés.
En plus de tout cela, des enquêtes spécifiques sont menées soit par le ministère, soit par les inspections régionales, ou encore par d'autres wilayas. «Nous recevons tout le travail des inspections et tous les résultats effectués par les inspecteurs dans le but de faire sortir un bilan soit mensuel soit trimestriel», explique Bahar Iachi, représentant de la Direction du commerce de la wilaya d'Alger.
Sanctions
Toutes les dispositions et sanctions sont promulguées par la loi 09 03 du 25 février 2009 relative à la protection du consommateur. Les propriétaires de restaurant ou fast-food qui ont été verbalisés et qui ont reçu des PV seront convoqués. Une audition sera organisée afin qu'ils s'expliquent sur les manquements qui ont été relevées dans leurs locaux. Par la suite, ils devront soit payer une amende, soit aller en justice. Une amende qui commence à
20 000 Da et qui peut aller jusqu'à 500 000 Da en fonction de la nature de l'infraction.
Toutefois, cette solution n'est pas proposée dans tous les cas. Parmi les mesures administratives, il y a une proposition de fermeture d'un minimum de 15 jours et/ou jusqu'à régularisation de la situation du commerçant. «On établit une mise en demeure pour obliger le commerçant à faire les travaux et les arrangements nécessaires afin de répondre au respect d'hygiène et de sécurité alimentaires», atteste Bahar Iachi, représentant de la Direction du commerce de la wilaya d'Alger. Il est vrai que la Direction du commerce «propose» la fermeture, mais la décision finale revient au wali. Une décision qui sera notifiée par les services de sécurité (police ou gendarmerie).
Un scellé sera apposé sur la devanture et ne peut être enlevé sans la présence d'un huissier de justice. Mis à part les sanctions, les inspecteurs sensibilisent les commerçants sur les techniques de propreté, les méthodes de rangement, l'importance d'assurer ses employés. Ils donnent également des conseils et des leçons de morale pour une meilleure gestion.
Coupable, mais non responsable
Les risques encourus sont malheureusement l'élément déclencheur de tout un processus de la part du commerçant. Il faut savoir que certains commerçants agissent de façon scrupuleuse, notamment lorsqu'il s'agit de leur portefeuille, et ce, au détriment de la santé des consommateurs. En effet, il arrive par exemple que plusieurs commerçants débranchent leurs frigos tard le soir par souci d'économie d'électricité. D'ailleurs, les citoyens sont souvent confrontés à cette situation et ne manquent de le remarquer.
Pourtant, le commerçant se doit de vendre un produit frais et de bonne qualité à ses clients. Toutefois, ce comportement immoral ne vient peut-être pas des restaurateurs eux-mêmes. A vrai dire, avant la création de leur commerce, beaucoup n'étaient pas dans le domaine de la restauration et n'en connaissaient pas les rudiments. Ils ignoraient tout de ce vrai métier qui demande certaines bases qu'ils n'avaient pas forcément. Mais la solution pour remédier à cet état de fait existe.
Le représentant de la Direction du commerce de la wilaya d'Alger, Bahar Iachi, l'a bien compris. Selon lui, «la présence de tous ces défauts est due à un manque de personnel qualifié et essentiellement du fait de l'absence de formation dans ce sens.» Si nous suivons ses conseils, nous aurons un personnel qualifié et responsable avec des restaurants ou fast-foods qui fonctionnent dans le respect des normes. Amina Semmar
? Ce que dit la loi
La loi 0903 du 25 février 2009 relative à la protection du consommateur.
Art. 4. Tout intervenant dans le processus de mise à la consommation des denrées alimentaires est tenu au respect de l'obligation de l'innocuité de ces denrées et de veiller à ce que celles-ci ne portent pas atteinte à la santé du consommateur.
Art. 7. Les équipements, matériels, outillages, emballages et autres instruments destinés à être mis en contact avec les denrées alimentaires doivent être composés exclusivement de matériaux ne pouvant pas altérer ces denrées.
Art. 10. Tout intervenant est tenu au respect de l'obligation de sécurité du produit qu'il met à la consommation.
Art. 68. Est puni des peines prévues à l'article 429 du code pénal quiconque tente de tromper le consommateur par quelque moyen ou procédé.
Art. 71. Est puni d'une amende de deux cent mille dinars
(200 000 DA) à cinq cent mille dinars (500 000 DA), quiconque enfreint l'obligation d'innocuité des denrées alimentaires prévues aux articles 4 et 5 de la présente loi.
Art. 73. Est puni d'une amende de deux cent mille dinars
(200 000 DA) à cinq cent mille dinars (500 000 DA) quiconque enfreint l'obligation du contrôle préalable de conformité à l'article 10 de la présente loi.
? Point de Vue
Mustapha Zebdi. Président de l'Association et protection du consommateur de la wilaya d'Alger (APOCE)
«On doit pouvoir, du moins essayer, d'organiser pour ces artisans et commerçants une formation de base dans le métier de la restauration. Particulièrement par rapport à la chaîne de froid pour une conservation optimale des denrées alimentaires.
Mais aussi, il faut savoir leur expliquer la signification et les causes qui peuvent amener à une intoxication alimentaire. Mais encore, les commerçants doivent être en mesure de repérer et gérer les produits altérables et la durée de leur conservation.
De plus, tout risque majeur pour l'homme doit être pris en considération et nécessite le suivi de la part des inspecteurs d'hygiène communaux, car ils sont les premiers responsables de la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts du consommateur dans leur circonscription.


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