Algérie

Les huit chouhada de Ksar El-Boukhari



Les huit chouhada de Ksar El-Boukhari
,La Révolution algérienne restera toujours une histoire à la richesse infinie et aux péripéties insoupçonnables dont les acteurs connus et le plus souventméconnus, voire inconnus, auront été les véritables artisans de sa portée, de ses succès, de son retentissement, jusqu'à la libération finale du pays. Le cas des huit chouhada de Ksar-El-Boukhari, dont nous allons essayer de reconstituer le parcours, constitue dans ce cadre une illustration et un exemple édifiant de ces innombrables héros de l'ombre qui ont sacrifié leur vie pour la patrie,mais qui,malheureusement, ont été quelque peu oubliés, voire occultés.Durant l'année 1957,Roger Fleury, le simple adjudant de la gendarmerie, tortionnaire et sanguinaire, avait ses informateurs, sa propre armée parallèle qui frappait de nuit. Les ultrasd'Alger, les colons venaient le voir tous les jours, dans son fief. La Main Rouge sévissait grâce à lui d'une manière impitoyable. Il estdescendu avec les légionnaires pour participer dès le début à « la bataille d'Alger ». En guise d'idéologie, son racisme, sa haine de l'Arabe et des moudjahidine s'est trouvée confortée. Il prêtemain-forte aux gendarmes des autres brigades et intervient directement dans « les grandes affaires ». C'est le cas pour les huit chouhada (Trabelsi Mohamed, Benameur Yagoub, Benyelles Mohamed Ali, Ould-TurkiBenyoucef,Benameur Ahmed, Benkara Djillali, Benameur Yagoub Seghir et Yahiaoui Mokhtar)deKsar-El-Boukhari.Au début de la grève, il procède à un véritable détournement de ces huitmilitants qui étaient transférés à Médéa pour être pris en charge par la justice. Il les a tués avantd'arriver àBerrouaghia, fait exposer leur corps près deMongorno (Zoubiria). Ils reposent actuellement dans une tombe commune dans le cimetière de Berrouaghia. Nous avons collecté beaucoup de témoignages les concernant. Nous rapportons le plus fidèlement possible leur témoignagemaisnous avonsunevision de l'intérieur puisqu'un ancien gendarme musulman qui a beaucoupaidé le FLNnousdonne une première version des faits, tels que vécus dans la gendarmerie deBerrouaghia durant le jour et la nuit où ils ont été tués par Roger Fleury.Ace propos, le gendarmemilitant dira : «ABerrouaghia, Roger Fleury procédera en collaborationavec lesmilitaires et les officiers des renseignements, au détournement et à l'arrestation d'un convoi militaire transportant un groupe d'intellectuels deKsar El-Boukhari qui devaient être transférés au campde Lodi à Médéa etont été enfermés à laprison de la brigade. Mon épouse m'enfitpart après les avoir entendus et les avoir reconnus dans la cave ». Ce témoin dira encore : « J'ai réussi à les contacter. Je les ai reconnuet leur aidonné àmanger à travers la lucarnede la geôle laissée ouverte. Le lendemain, vers cinq heures du matin et à travers mes persiennes, j'ai vu qu'ils étaient transportés enchaînés par les militaires, Roger Fleury en tête, en direction de Mongorno. A son retour, vers 8 heures, Roger Fleury, tout content, parlait dans la cour à haute voix avec les gendarmes français. Il disait que les prisonniers ont été tués, tirés comme des lapins ».De retour au bureau, il remarquera sur la table de Roger Fleurydespiècesd'identité etdespapiersdivers. « Il n'y avait personne.Une femme voilée s'est présentée à moi et m'a déclaré qu'elle était l'époused'undesprisonniersdeKsar El-Boukhari. J'ai pris les papiers tachés de sang du chahid et les lui ai remis. Elle estpartie sans rienmedire.Nous parlerons assez longuement du massacredeshuitdeKsar-El-Boukhariparcequ'il a fait grandbruit, parcequ'il concernaitdes intellectuels, la manière et la puissance de Roger Fleury qui a procédé à cedétournementqui était aussi la force face au judiciaire de l'illégalité raciste. Il fautpeut-êtreparler brièvement du contexte de lutte qui prévalait à Ksar-El-Boukhari. Les huit tués constituaient la première cellule politico-militaire du FLN. Elle a été découverte après lamort de Bekbachi, un officier de la Wilaya VI, mort près deKsar El-Boukhari. Son secrétaire n'a pu brûler tous les documents. Sur une feuille découverte figurait encore la liste des huit militants. Il était facile de venir les arrêter ».Unmois après, un gendarme au nom de Ficher, ami de Roger Fleury, a été exécuté en plein centre-ville de Ksar El-Boukhari, ce qui a accru la répression dans cette ville, la gendarmerie eut recours auconcours de Roger Fleury pour contrer, ici et là, l'action militaire et patriotique. Roger Fleury venait d'Alger où il avait participé à la bataille de lamanière que l'on sait. Le peuple algérien a fait certes une démonstration de la force de son engagement etde ses convictions lors de cette grève des 8 jours en janvier 1957. Un mois plus tard, les huit militants de Ksar El-Boukhari étaient arrêtés, exactement le 7 février 1957, et exécutés le 9 février 1957. Parmi euxdeux enseignants :Benameur Yagoub et Yahiaoui Mokhtar. Parmi les huit chouhada figurent trois Benameur. Un de leurs frères,Kouider, nous rappelle les conditions de l'arrestation. « Le soir où il a été arrêté, je soupais chez lui (ndlr,BenameurYagoub). Nous avions discuté un peu et il m'a dit : C'est peut-être la dernière fois que nous sommes ensemble. C'est ce qui s'est passé. Je suis parti à lamaison et le lendemain, j'ai appris son arrestation, il a été pris à l'école où il enseignait ». Si Yahiaoui Mohamed nous retrace l'itinéraire de son frère, le chahid Yahiaoui Mokhtar. En 1955-56, les deux chouhada (Benameur Yagoub et Yahiaoui Mokhtar) étaient en contact permanent et se rencontraient à la ferme Benameur. Benameur Kouider précise qu'à l'école, le jour de son arrestation, son frèreYagoub était en compagnie de Yahiaoui Mokhtar et de TrabelsiMohamed et lui avait dit d'attendre. Il a bourré le châssis dema voitured'armes. «Encours de route, avant d'arriver à la ferme, il me montra ce que je transportais. Ilm'a dit : « Je craignaisque lapeur te gagne ». Je lui ai dit : « Espèce de traître, il fallait me le dire ! ». A la ferme, nous avionsbu un café et eux ont commencé leur réunion. Bakbachi avait sa liste sur lui. Si cette liste était restée chez son secrétaire, il n'y aurait pas eu d'arrestation ». Ils les ontmontés à la gendarmerie où ils sont restés deux jours à Ksar El-Boukhari puis ils les ont transférés sur Berrouaghia. Je connaissais un gendarme à Ksar El-Boukhari, il me permettait de leur donner des oranges épluchées. Ils lesont tués àMongorno. C'est Roger Fleury qui est à l'origine de ce crime. C'est le gendarme de Ksar-El-Boukhari qui nous informait. C'est à Berrouaghiaque j'ai appris la nouvelle. Je suis allé pour reconnaître les morts.On avait jeté sur eux de la terre. L'un de mes frères portait des lunettes (il s'agit deYagoub). El-Hadj Yahiaoui, un vieux militant, se souvient de la grève des huit jours, aucoursde laquelle est mortBekbachi. Leshuitmilitants informaient les uns les autres, dont un répondant au nom de Benyelles Mohamed Ali avant qu'il n'intègre l'organisationmilitaire (il était dans l'organisation politique). Le jour de la grève, MohamedAli apris les vêtements de sa femme et estmonté. Il était espionnépar lesdeux instituteurs français, faisant partie de laMain Rouge ou qui étaient des indicateurs : Giamartini Jean et Francastel. Il faut ajouter un autre raciste, de poids, le juge Lafarge. El-Hadj Yahiaoui précisera que lesmilitants avaient reçu l'ordre de ne pas bouger. Il dira : « Si tout lemonde avait pris lemaquis, la Révolution n'aurait pas réussi ». Trabelsi Abdelmalek précisera que « les huit » constituaient une organisation politico-militaire, la première de Ksar El-Boukhari, la première liaison dans la région a été établie au début 1956. Il indique que lors de la grève, la gendarmerie, les indicateurs, la police, Roger Fleury et ses acolytes s'activaient beaucoup. Le chahid TrabelsiMohamed était fort et à sa mort il avait le coeur arraché. Ould-TurkiMohamed, filsdu chahidBenyoucef, apporte untémoignage émouvant. L'amour filial est toujours bouleversant : « Ce qui est gravé enmoi, c'est la sortie de mon père, impossible de la décrire. J'étais l'aîné de mes frères et soeurs. J'avais onze ans. Ils nous ont shootés comme un ballon. Ils sont venus à l'improviste alors que nous dormions. Mon père a été arraché à son fil ». Les huit chouhada ont été tués sur le territoirede la communede Zoubiria,plusprécisément àMongorno. Il y est indiqué sur leur acte de décès « tué pour avoir tenté de s'enfuir ». L'habituelle technique de Roger Fleury. Le deuil a été suivi à Berrouaghia et Ksar El-Boukhari. Le chahid Trabelsi Mohamed avait tué sur le coup un tortionnaire. Entraîné, il lui avait fracassé le crâne d'un coupde tête.MadameBenameur, l'épouse deYagoub, parle de l'assassinat des huit de Ksar El-Boukhari par Roger Fleury. «Nous étions à la ferme de Oum-el-djellil. Des réunions s'y tenaient. Après ces réunions nous retournionsdiscrètement ».Elle rappelle comment sonmari et elle ont pu traverser un barrage de gendarmerie après la grève des 8 jours et surtout après lamort d'un brigadier gendarme. J'avais unbébé de 9mois dans les bras et je portais un revolver caché dans les langes de ce dernier.Nous avons été arrêtés en cours de route par les gendarmes.Monmari, instituteur, parlait au gendarme de son filsqui était son élève. «Berthold, ton fils a-t-il bien révisé les compositions ' » LeditBertholdlaissa passer le couple. Mme Yahiaoui (l'épousedu chahidYahiaouiMokhtar), nous adresse un témoignage fort émouvant.Al'annonce de lamort de sonmari,Mme Benameur a crié sahaine et sadouleur à la terrasse de l'école : « Ils seront vengés ! Assassins ! ».




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)