« Quand Hannibal fut arrivé non loin de là, il envoya en avant-garde une troupe de Gétules sous le commandement d'un officier nommé Isalca, pour essayer de parlementer avec les habitants et les persuader, par de beaux discours, d'ouvrir les portes de la cité et de laisser un détachement de Carthaginois investir la ville. » Tite-Live (XXIII, 18, 1) Ce texte de Tite-Live (59 av. J.-C.-17 ap. J.-C.) est le premier qui mentionne des Gétules, utilisés comme contingent auxiliaire par Hannibal au cours de la seconde guerre punique, à la fin du IIIe siècle avant J.-C. Gabriel Camps nous présente ces tribus de pasteurs nomades de l'Afrique du Nord, dont les cavaliers se firent connaître en menaçant les villes et leurs terres agricoles. Certains Gétules, enrôlés comme auxiliaires par Marius dans la guerre contre Jugurtha, en reçurent la citoyenneté romaine et s'implantèrent comme colons, alors que d'autres perpétuaient le nomadisme dans les steppes présahariennes.
Qui sont les Gétules ?
Des différents peuples qui habitaient l'Afrique mineure aux temps antiques, Maures, Numides, Gétules, ces derniers sont les moins bien connus bien qu'ils fussent nombreux et répartis sur de vastes espaces. Ce qui fait dire à Strabon (XVII, 3,2) qu'ils constituent « le plus grand des peuples libyques ».
Les Gétules sont présents durant toute la période de la domination romaine sur l'Afrique, ce territoire que les Romains nommaient la province d'Africa ne recouvrait bien entendu que l'Afrique du Nord. Certaines de leurs tribus entraient fréquemment en contact avec les cités romaines, mais avec des intentions bien plus souvent guerrières que pacifiques. Parmi les villes où leur présence est largement attestée, on peut citer en particulier Sala en Maurétanie Tingitane – aujourd'hui Le Chella, non loin de Rabat au Maroc – et Madaure en Numidie – Mdaourouch, près d'Annaba en Algérie, ville natale d'Apulée, où saint Augustin étudia.
Mais les Gétules ne sont pas des citadins : ils sont avant tout des pasteurs nomades. Dès l'époque protohistorique, bien avant la grande extension de l'agriculture céréalière en Numidie que Polybe attribue au règne de Massinissa, ils n'hésitaient pas à faire des razzias dans les régions agricoles.
L'étude soigneuse des textes anciens permet de mettre en évidence la mention de la présence de Gétules dans une zone continue qui va de la Petite Syrte jusqu'aux rivages de l'Atlantique.
Les Gétules occidentaux
Le long de l'océan, les Gétules occupent un vaste territoire. On peut suivre leur progression vers le nord de la Maurétanie Tingitane, aux dépens des Maures qui avaient donné leur nom à la province. Dans sa description de la Maurétanie Tingitane, Pline (V, 5 et V, 9) insiste sur la puissance de deux tribus gétules : les Baniurae et les Autololes.
Les Baniurae, établis dans la vallée du Sebou, occupent donc un territoire très septentrional et menacent la colonie romaine de Banasa – au Maroc, non loin de Sidi Kassem.
Les Gétules Autololes – dits aussi Autolotes et Autolotae – plus puissants, sont un danger permanent pour la ville de Sala. Tous les auteurs s'accordent à situer leur origine dans les confins méridionaux de la province romaine au voisinage du fleuve Salathos, aujourd'hui l'oued Bou Regreg au Maroc. Pline l'Ancien les dépeint comme des Barbares, particulièrement dangereux et toujours prêts à piller et à massacrer, mais aussi recherchant l'alliance de tribus moins puissantes, les Darae et Daratitae de la vallée du Dra, les Pharusi sur le versant occidental du Haut Atlas, les Masathi, sur les bords du fleuve Masath, aujourd'hui oued Massa. La localisation de ces différentes peuplades permet de circonscrire le territoire propre des Gétules Autololes autour de la région de Rhysadir (Agadir) mais il est difficile de préciser l'étendue des terres de parcours de ces nomades. Vers le nord, l'oued Bou Regreg peut être considéré comme une frontière naturelle – on a vu que la menace gétule pesait sur Sala et ses environs – ce qui n'empêchait nullement les Autololes d'envoyer des rezzous au-delà du fleuve, de préférence au moment qui suit les moissons. La limite sud, en Maurétanie Tingitane, doit être recherchée dans les régions présahariennes au-delà du Sous, tandis que dans la vallée du Dra cohabitaient Berbères et « Éthiopiens », le nom de Mélanogétules employé pour désigner ces populations faisant sans doute allusion à un important métissage.
Jusqu'à une époque tardive, le souvenir des Gétules Autololes fut entretenu par les géographes, les historiens ou même les poètes. Au Ve siècle encore, Paul Orose, écrivain chrétien auteur de l'« Adversus paganos », nous informe que de son temps les Autololes sont nommés Galaules. Aucun autre texte ne vient confirmer cette assertion, alors que le nom collectif des Gétules, à peine déformé, s'est maintenu au sud de l'Atlas jusqu'en Mauritanie. Il semble bien que les descendants des Gétules se retrouvent dans les Guedala – appelés aussi Godula et Guezzala – grande confédération sanhadja au sein de laquelle prit naissance le mouvement réformiste des Almoravides qui devaient conquérir le Maroc et créer un empire s'étendant du Sénégal à l'Ebre.
Les Gétules de Berbérie orientale
Nos connaissances des Gétules situés à l'est des pays de l'Atlas sont à peine meilleures que celles qui traitent des Gétules occidentaux. Cependant les Gétules qui parcouraient les steppes de la Tunisie centrale et méridionale, d'Algérie orientale et de Tripolitaine entraient en contact avec des populations libyennes qui furent en relation avec les Phéniciens, les Grecs et plus tard les Romains. En bref, les Gétules orientaux entrèrent dans l'histoire avant les autres. Il s'agit vraisemblablement de contingents de Gétules orientaux qui figuraient dans l'armée d'Hannibal. Cependant, quand Hérodote décrit et nomme les peuples libyens nomades, il ne cite à aucun moment les Gétules. Faut-il penser que ce nom ne s'imposa qu'entre le Ve et le IIIe siècle avant J.-C. ? Les spécialistes d'aujourd'hui ont tendance à considérer que le terme de Gétule désignait en fait tout Libyen menant une vie nomade et certains historiens rangent même les Garamantes parmi les Gétules.
Un peuple nomade qui s'intègre difficilement dans l'empire
Les premiers contacts entre les tribus gétules et des États organisés les amenèrent à pénétrer dans le tell de Numidie que les rois massyles, surtout Massinissa et Micipsa, avaient commencé à mettre en valeur. Salluste nous raconte ensuite comment Jugurtha, après ses premiers échecs et la prise de Thala par Metellus, fit appel aux Gétules. En 107 avant J.-C., Marius, nommé consul d'Afrique, reprit la guerre entamée contre Jugurtha par Metellus. Il fit lui aussi appel aux Gétules. Auréolé de son succès, il s'attacha les faveurs de l'armée en améliorant considérablement les conditions de vie du légionnaire, mais il n'oublia pas non plus ceux de ses auxiliaires gétules qui s'étaient distingués au combat : il leur fit conférer la citoyenneté et attribuer des lots de terres, sans doute arrachées aux partisans de Jugurtha. Ce n'est pas ailleurs qu'il faut chercher la fidélité sans faille dont les Gétules firent dès lors preuve envers « leur consul » et le parti populaire.
Mais l'implantation de colons gétules ne se fit pas sans heurts. Même si, comme le montre bien une carte dressée par Jean Gascou en 1964, le cognomen Gaetulus ou ses dérivés est largement répandu, attestant une implantation non négligeable de Gétules dans les cités romaines, il ne faut pas croire que la Gétulie tomba dans les mains de Rome comme un fruit bien mûr. Pendant la plus longue partie du principat d'Auguste, les armées romaines durent lutter aussi bien contre les Libyens des montagnes que les nomades des steppes. Les uns et les autres s'opposaient autant à l'implantation de colons gétules qu'à la venue d'agriculteurs italiens ruinés par la guerre civile. Tous étaient inquiets des projets de cadastre et du tracé de la grande voie stratégique qui devait relier Ammaedara (Haydra) à Tacapes (Gabès).
Bien sûr les légions romaines remportèrent de nombreuses victoires et leurs chefs eurent plus d'un triomphe. De ces triomphes ex Africa, retenons ceux de L. Autronius Paetus, en 28 avant J.-C., de L. Sempronius Atratinus en 21 avant J.-C., de L. Cornelius Balbus en 19 avant J.-C. contre les Garamantes et les Maures, de L. Pasienus Rufus en 3 après J.-C. ainsi que celui de Cn. Cornelius Lentulus en 6 après J.-C., qui avait dû faire face à une coalition qui s'étendit jusqu'aux Marmarides, à l'est de la Cyrénaïque. Malgré ces victoires, les heurts avec les populations riveraines de la petite Syrte étaient incessants. La révolte la plus virulente fut celle qui fut menée par la grande tribu – ou confédération – des Musulames, sous la conduite de Tacfarinas. En effet, une partie de la Gétulie avait été concédée au roi de Maurétanie Juba II. Or les Gétules acceptèrent mal l'idée d'être soumis à un roi vassal de Rome. La victoire des Romains, en 24 après J.-C., fut acquise en partie grâce à l'appui de l'armée de Juba, commandée par son fils Ptolémée. À partir de ce moment, les Gétules de l'Est furent rapidement intégrés dans l'Empire. Quelques années après la mort de Tacfarinas, il existait en Numidie six tribus gétules administrées par un préfet romain.
Le mode de vie des Gétules
Il semble bien que seul le genre de vie ait permis aux Anciens de distinguer Numides, Maures, Gétules et Garamantes. Les deux premiers peuples habitaient certainement le tell, où l'agriculture était possible. Les deux autres parcouraient les steppes et les régions prédésertiques où la vie se concentrait dans les oasis. Les Gétules, s'ils ne formèrent jamais de véritable État, entraient cependant pour une large part dans la composition des royaumes maures et numides. Si Massinissa était maître à la fois des régions de Cirta et de Leptis, il devait nécessairement dominer ou du moins contrôler les Gétules qui occupaient le sud de la Berbérie orientale. L'étendue du royaume maure de Baga nous est inconnue, de même celui de Bocchus, mais on sait que le roi des Maures allait combattre les Éthiopiens au-delà de l'Atlas.
Les Gétules, en contact à la fois avec les Garamantes dont il est difficile de les distinguer, avec les Éthiopiens des oasis et du Soudan et avec leurs frères de race, Numides et Maures des pays heureux du Nord, occupaient donc les immenses steppes de la Berbérie présaharienne depuis l'océan jusqu'au voisinage du Nil. Les cultivateurs que signalent ça et là Hérodote et ses successeurs, en bordure du désert ou dans les vallées arrosées de l'Atlas, subissaient la domination de ces cavaliers gétules, pasteurs et nomades. Héritiers des éleveurs de bovins du Néolithique final et prédécesseurs des chameliers, ces cavaliers nomades avaient déjà appris à remonter tous les étés vers les pâturages septentrionaux. Chemin faisant, ils construisaient et offraient à leurs défunts des sépultures originales : autels, déambulatoires, niches et chapelles qui révèlent des pratiques funéraires inconnues de leurs voisins du Nord. Quelques siècles plus tard, les Gétules avaient perdu leur identité spécifique mais leur culture et leur mode de vie perduraient dans toutes les incontrôlables populations nomades des marges sahariennes.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 16/04/2021
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : Gabriel Camps († septembre 2002) Ancien directeur du Musée national d’ethnographie et de préhistoire du Bardo à Alger Ancien directeur de l’Institut de recherches sahariennes Professeur émérite de l’université de Provence
Source : clio.fr