Algérie

Les gaz de schiste, c’est maintenant ou jamais (5e partie)


Les gaz de schiste, c’est maintenant ou jamais (5e partie)
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Publié le 28.08.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Saïd Kloul(*)

Pour donner une idée de l’ampleur de la tâche et des efforts à consentir pour le développement de nos schistes, nous prendrons l’exemple du périmètre de Berkine/Ghadames dont les ressources sont les plus importantes.
Dans ce qui suit, nous nous référons à l’expérience américaine sur les schistes qui a commencé au début des années 2000 et qui est largement documentée : rapports des compagnies pétrolières et de services, études d’universitaires, celles publiées par des agences spécialisées et des organisations professionnelles.

A- Le gaz et la transition énergétique
Pour développer nos périmètres de schistes à gaz, de sérieuses difficultés vont se présenter à nous.
Avant de décider du développement de ces gigantesques ressources (20 000 milliards de m3 de gaz), la stratégie doit commencer par des accords avec les consommateurs, pour se protéger au mieux des aléas du marché de plus en plus concurrentiel à cause de la montée en puissance des énergies renouvelables et la ruée vers les réserves de gaz provoquée par la guerre en Ukraine.
Signalons d’abord qu’en plus des résultats de forages d’évaluation sur chaque périmètre pour évaluer la productivité des zones et des gisements ayant les plus hauts potentiels, c’est le prix de vente du gaz, plus précisément le prix de «break even» (seuil de rentabilité), qui va déterminer l’économie de leur exploitation qui justifiera ou non les FID des différentes étapes du développement. Appuyé à des études de prospective permanente du marché, le développement devra être modulaire autant que possible pour minimiser l’exposition au risque prix. Rappelons que les sociétés américaines avaient recouru avec frénésie à l’endettement pour investir lourdement dans les schistes, ce qui a causé les nombreuses faillites des années 2016 et 2020. C’est la raison pour laquelle lucidité et beaucoup de courage sont nécessaires pour ne pas rater une nouvelle fois le train ! Mais, nous ne le dirons pas assez, il faut commencer à développer ces schistes sans attendre.
Nous avons souligné précédemment l’incertitude qui pèse sur le marché du gaz du fait de la volatilité légendaire de ce dernier, aggravée par la guerre d’Ukraine qui a bouleversé les stratégies de mix énergétique remettant à l’honneur la sécurité énergétique. États et compagnies sont lancés dans une course effrénée aux réserves de gaz mais conservent le pied sur l’accélérateur dans la course aux énergies renouvelables. La situation promet donc des marchés très tendus.

B- Problématique de l’eau
Dans la 1re partie de cette contribution, nous avons traité de la consommation d’eau par puits fracturé ; pour la fracturation de nos puits, nous optons pour 60 000 m3 par puits, chiffre volontairement élevé comparé aux 51 000 m3 de l’année 2019 aux États-Unis ; un calcul arithmétique strict pour l’ensemble des schistes donnerait alors un peu plus de 2,5 milliards de m3 d’eau. Pour tenir compte des cas éventuels de refracturation de certains puits, des besoins du forage lui-même et des aléas, nous ajoutons 20%. Les besoins pourraient avoisiner 2,9 à 3 milliards de m3. Les besoins ont toutefois beaucoup de chances d’être plus faibles.
Ce volume ne pourrait être fourni que par la nappe Albienne. L’Algérie souffre d’un stress hydrique aigu surtout dans les zones où sont situés les gisements de schistes ; mais les schistes sont situés pour la plupart à proximité de la nappe d’eau Albienne. Un tel soutirage va-t-il mettre l’Albien en danger ?
Citons l’étude «Système aquifère du Sahara septentrional (SASS), rapport de synthèse, de l’Observatoire du Sahara et du Sahel, janvier 2003» : «...il existe une possibilité de porter l’exploitation par forages du SASS, estimée à 2.2 milliards de m3 en l’an 2000, jusqu’à un niveau de 7.8 milliards de m3/an à l’horizon 2050, et ce, en respectant dans une certaine mesure les contraintes relatives aux risques de dégradation de la ressource. L’atteinte d’un tel niveau de développement de la ressource ne peut se faire qu’au prix d’une rupture totale avec les régions traditionnelles d’exploitation intensive. En effet, 80% des prélèvements additionnels devront se faire dans des régions ‘’nouvelles’’ et éloignées : 3,5 milliards dans le bassin occidental du CI, 0,6 milliard aux confins sud du CT… Par pays, cette exploitation se décompose comme suit : 6.1 milliards m3/an en Algérie, 0.72 milliard m3/an en Tunisie, 0.95 milliard m3/an en Libye. Une telle éventualité ferait passer le régime d’exploitation du SASS à un niveau représentant huit fois ses ressources renouvelables.» Notons que l’Algérie est représentée à cet observatoire.
Par ailleurs, bien que l’apport des nappes phréatiques soit marginal, il pourrait couvrir par endroits les besoins de la partie forage proprement dite. Le Turonien, lui, en fonction de la composition de son eau, pourrait peut-être participer aussi à la fracturation.

C- Développement de Berkine-Ghadames
Compte tenu de la dimension de Berkine/Ghadames, de nombreux forages d’exploration et d’extension sont nécessaires pour faire des études suffisamment fiables pour reconnaître la part de ces ressources économiquement récupérable dans les conditions du marché.
Pour faire une esquisse de développement, nous estimerons les coûts de 4 volets principaux ainsi que la consommation d’eau : Les forages, les installations de production, de liquéfaction et les pipes de transport.
Pour illustrer cet effort de développement, nous utiliserons le périmètre de Berkine/Ghadames. Nous opterons pour deux étapes évidentes : 1re étape : utiliser les capacités de liquéfaction et de transport disponibles et augmenter la part du marché intérieur. La deuxième étape : augmenter les capacités de liquéfaction et de transport. Cette étape commence dès la fin de la 1re.
Nous utiliserons les données disponibles prises dans la littérature, américaine notamment : analyses de différentes agences spécialisées, rapports de compagnies pétrolières, Sonatrach incluse.

C1- Hypothèses de calculs
C11- Les forages
- TRR de Berkine/Ghadames : environ
8 000 milliards de m3.
- Production moyenne par puits : 100 000 m3/j, hypothèse un peu forte mais réaliste car le premier forage des schistes au Sahara central aurait produit 250 000 m3/j le premier mois (chiffres obtenus de bouche à oreille et à prendre avec les réserves d’usage) ; par ailleurs, l’amélioration des courbes d’apprentissage des géologues, des géophysiciens, des ingénieurs de réservoir, des producteurs et des foreurs permettra de mettre à jour des zones de plus en plus prolifiques et des puits de plus grands potentiels de production, qui coûteront de moins en moins cher de surcroît. À titre d’exemple, durant leur première année de production les puits de Marcellus, schistes des Appalaches, USA (EIA, Natural Gas Weekly Update du 26/1/2022), sont passés de 5,6MM ft3/j en 2014 à 15,8MMft3/j en 2020 (3 fois plus), soit près de 450 000 m3/j grâce à l’allongement de la portion horizontale des puits et au plus grand nombre de sections fracturées.
- Consommation d’eau : 60 000 m3 par puits de gaz (voir plus haut).
Hypothèses :
- Pads de 200 mx80 m de 12 puits chacun (le nombre de puits peut être plus faible). L’éloignement entre les pads dépend de la géologie, de l’étendue des parcelles prolifiques et de la configuration du terrain notamment l’existence éventuelle de dunes.
En nous basant sur des pads de cette taille, nous supposerons qu’un puits d’Albien alimentera une zone de 340 puits de gaz, supposition sujette à des aléas car les zones de bonne production peuvent être éloignées les unes des autres.
- Rythme de forage : 400 puits/an (voir paragraphe E1).
- Coûts d’un puits de gaz : 15 MM dollars. Le 1er puits d’exploration dans la région d’Adrar était, semble-t-il, d’environ 25 MM de dollars. Ce coût normal pour un premier puits baissera au cours du développement.
- Coûts d’un puits d’Albien : $5 MM. (estimation personnelle).

C12- Traitement transport et liquéfaction
- Coût des installations de traitement de gaz brut sur champ dont l’infrastructure de traitement, réseaux de collectes, de dessertes et infrastructures de gestion : 187 MM$/millions de m3/jour de gaz naturel produit.
-Coût des unités de liquéfaction 1,5 milliard $/MM de tonnes de GNL de capacité annuelle.
La référence pour les hypothèses ci-dessous est l’année 2021. Pour le GNL, les unités du North Field East du Qatar de capacité 32 MM T/an ont coûté 30 milliards de dollars soit près de 1 milliard $/million de T/an (Simon Flowers, The Edge, Wood McKenzie, 13/6/2022).
- Coût des gazoducs : $ 1,636 MM/km, extrapolé à partir de celui de Medgaz long de 2200 km auquel on a ajouté 10% (Banque européenne d’investissement, 25 mars 2017).
Pour l’étape 2 ci-dessous, nous avons supposé que les champs conventionnels du sud-est du Sahara, en déclin depuis plusieurs années, auront libéré des capacités de transport pour acheminer ce gaz, moyennant la construction de bretelles peu coûteuses.
- Nous n’avons pas évalué le volet captage et enfouissement ou utilisation de CO2. Coût selon Rystad Energy (OGJ, Daily letter, 26/4/2022) : 75 à 100$/T d’ici 2030. Autre souci important, les émanations de méthane tout le long des installations qu’il faudra réduire sinon éliminer.
- Prévoir des méthaniers aux 1re et 2e étapes : Qatar a payé 1 milliard de dollars pour 4 navires de 174 000 m3 chacun.
Formules de conversion utilisées :
1 m3 GNL=0,450T de GNL
1 m3 GNL=619 m3 gaz.
1 000 ft3=28,3m3

C2- Première étape
Hypothèses :
- Marché local : +50%
- Capacités disponibles des gazoducs existants (7,1 milliards de m3), et des unités de GNL (18,38 milliards m3 gaz). Résultat : un surcroît d’exportation de 23,65 milliards m3 et de production de 49,49 milliards m3.
À cet effet, nous devons forer 5 puits d’Albien et forer et fracturer environ 1 477 puits de gaz (y compris 10% de sécurité) en 3,7 ans avec un budget de 47, 525 milliards de $ dont 22,15 milliards pour les puits de gaz, 25 335 pour le traitement sur champ et 25MM pour les puits d’Albien.
La consommation d’eau sera d’environ : 88,6 MM m3.

C3- Deuxième étape
Hypothèse : augmenter les capacités de transport de 20 milliards de m3/an et de liquéfaction de 20 MM m3/an de GNL (11,421 milliards de m3/an de gaz). Ces hypothèses sont arbitraires. C’est la rentabilité des projets qui doit guider le décideur. Le transport par gazoducs est avantageux car il peut facilement desservir l’Europe ; les gazoducs posent par ailleurs moins de problèmes d’exploitation. Comme la tendance est d’exporter des hydrocarbures aussi longtemps que possible, les équipementiers devant se désengager avant les producteurs du fait de l’avancée des énergies renouvelables, ceci posera des difficultés de maintenance des GNL. Cependant, la production de GNL doit augmenter car le marché le plus porteur est le marché asiatique, Inde et Chine notamment (voir partie 1), qui ne peuvent être livrés que par méthaniers. Gazoduc/GNL est une équation qui devra être résolue par les services de prospective de la Sonatrach.
Ainsi nous augmenterons nos capacités d’exportation de 31,142 milliards de m3/an et nos capacités de production de 32,38 milliards de m3/an.
Nous devons pour cela forer 3 puits d’Albien et forer et fracturer 976 puits de gaz (10% de sécurité inclus) sur une période de temps de 2,5 ans environ. Le volume d’eau qui sera consommé est de 58,56 MM m3. La construction des GNL et gazoducs devra être entamée durant la 1re étape pour être au rendez-vous avec les forages. Sinon il faut étaler le forage sur une plus longue période. Les GNL et les gazoducs devront être mis en service avant la fin des 6,3 ans.
Budget pour le forage et la fracturation, 14,64 milliards de dollars et pour les puits d’Albien 15 MM dollars.
Coût des gazoducs de capacité 10 milliards m3 de gaz chacun, 7,92 milliards dollars.
Pour le GNL 20 MM m3/an, c’est-à-dire 9 MMT/an : 13,5 milliards dollars et le traitement sur champ 16,6 milliards dollars.
Investissement total : environ 52, 68 milliards de dollars.

C4- Coûts d’exploitation
Estimation des coûts opératoires, des amortissements, des revenus et projection de cash flows libres.

C41- Coûts opératoires
Ils dépendent fortement de la productivité des puits ; à fin 2015, sur Marcellus, ils ont varié entre 1,05 et 2,16$/1000ft3. L’article «Shale Gas Production Cost» de ScienceDirect estime que, d’ici à 2040, les coûts vont varier entre 2,5 et 6$/1 000ft3. Ces coûts incluent les amortissements, les royalties, les coûts de transport … ; ce n’est pas notre cas. Par précaution, nous avons opté pour un coût de 2,5$/1 000ft3.
Soit en milliards dollars :
1re étape : production 1747,37 milliards ft3 ; coût opératoire : 4,368/an.
2e étape : production 2891 milliards ft3/an ; coût opératoire : 7,23/an.

C42- Amortissements
Le JORA n°35 du 12/5/2021 accorde 5 années pour les forages dans les schistes et 10 ans pour le reste des investissements. Pour faciliter les calculs, nous retenons 8 ans pour l’ensemble et des amortissements linéaires sans intérêts bancaires qui commencent dès le début des investissements.
Nous avons défini 3 sous-étapes pour les amortissements : la 1re de 3,7 ans (période d’investissements de la 1re étape), la 2e de 4,3 ans et la 3e de 3,7 ans (les amortissements de la première étape auront cessé). On aura en milliards de dollars :
1re sous-étape : 47,535/8=5,94.
2e sous-étape : 52,68/8=6,59 ; on y ajoute les 5,94 on obtient 12,525.
(Les investissements de la 1re étape continuent à produire leurs effets.)
3e sous-étape : 6,59.

C43- Coûts d’exploitation annuels (milliards dollars)
1re sous-étape : 4,368+5,94=10,308.
2e sous-étape : 7,23+12,53=19,755.
3e sous-étape : 7,23+6,59=13,82.

D- Rentabilité du projet
Le but de cette partie est de faire une esquisse de la rentabilité du projet. Celle-ci dépend des coûts d’investissement et d’exploitation dont l’estimation est peu précise. Elle est aussi liée au marché du gaz qui, malgré certains indices, n’offre pas de garantie de tenue surtout à long terme ; mais pour les calculs, nous tablons au moins sur une stabilité des prix.

Hypothèses :
- Marché ciblé : l’Europe.
- Références du tarif du gaz : prix des contrats à venir de Selectra en dollars/1000ft3 :
Contrats futurs : 2024 : 15,4 ; 2025 : 12,68 ; 2026 : 12.
Nous avons retenu 12$/1000ft3 ; ce tarif est conservatif. Nous comptons sur l’ascension des pays du tiers-monde pour compenser le désengagement des pays de l’OCDE des énergies carbonées sous la pression des énergies renouvelables.
- La production moyenne des puits est considérée constante sur toute la période considérée (voir infra). Noter que cette production peut varier en fonction du potentiel des puits neufs par rapport à celui des puits anciens.
- Comme les coûts opératoires, pour le calcul des revenus, nous avons supposé que les puits sont forés et fracturés au début des étapes respectives.
- Les amortissements de la 2e étape continueront d’affecter les cash flows 3,7 ans après la 8e année ; ceux de la 1re étape auront cessé leurs effets. Les cash flows augmenteront alors.

D1- Les revenus (milliards dollars)
- 1er Cas : valorisation de la consommation locale au prix du gaz à l’export.
Sous-étape 1 : 20,968/an ; total : 77,58.
Sous-étape 2 et 3 : 34,69/an ; total : 277,54.
- 2e cas : revenus de l’exportation seulement.
Sous-étape 1 : 10,02/an ; total ; 37,07.
Sous-étapes 2 et 3 : 23,742/an ; total : 189,94.
- Revenus totaux du projet sur la période de 11,6 ans :
Cas1 : 355.
Cas 2 : 227,014.
D2- Les cash flows libres (milliards dollars)
Cas1
1re sous-étape : 20,968-10,368=10,6/an ; total : 39,22.
2e sous-étape : 34,69-19,76=14,93/an ; total : 119,44.
3e sous-étape : 34,69-13,82 = 22,51/an ; total : 83,29.
Cash flow total sur la période de 11,7 ans environ : 241,95.
Cas2
1re sous-étape : 10,02-10,368= -0.348 ; total : -1,288.
2e sous-étape : 23,742-19,76=3,982; total :31,856.
3e sous-étape : 23,742-13,82= 9,922; total sous-étape: 79,376.
Cash flow total sur la période de 11,7 ans : 109,944.
N.B. : Dans le cas 2 la consommation locale est dans le coût d’exploitation alors qu’elle ne figure pas dans le calcul des revenus. C’est la raison pour laquelle le cash flow libre est faible et même négatif pour la 1re sous-étape.

E- Les difficultés du développement
En plus de l’incertitude géologique (réserves récupérables et productivité des puits), des challenges de la fracturation hydraulique et du financement du colossal budget, le plan fera face à la rareté des équipements et des moyens humains qualifiés.

E1- Les appareils de forage
Nous avons suggéré plus haut le forage des puits à partir de pads ; espérons que la majorité des puits le seront !
En effet, ce procédé ne peut être utilisé que si de larges zones de bonne production sont identifiées car il faut être sûr que les puits du pad vont bien produire, les forages et le génie civil étant coûteux.
Programme préliminaire étapes 1 et 2 : 2453 puits à forer sur une période de 6 ans à 6 ans et demi à raison de 400 puits par an.
En 2021, Sonatrach a livré 94 puits (Sonatrach, rapport 2021). Le parc d’appareils utile était d’environ 60 ; ils ont donc foré en moyenne 1,9 puits chacun.
Un effort vigoureux sera nécessaire pour réaliser les 2453 puits dans les délais prévus. Tout d’abord, retrouver les performances de 2017 qui ont permis de livrer 272 puits, ceci, entre autres, en mettant la pression sur tous les acteurs afin de réduire les attentes qui obèrent les performances sur tous les segments d’activité.
Supposons un rythme de forage de 4 puits par appareil et par an. Ceux parmi nos appareils qui conviennent pour forer sur Berkine/Ghadames seraient actuellement de l’ordre de 40. Avec le rythme de forage conventionnel obtenu en 2021 et en lui réservant 28 appareils de ce parc, Sonatrach arriverait à forer 100 puits par an pour son programme conventionnel.
Il lui resterait alors 12 appareils pour les puits de Berkine/Ghadames. À raison de 4 puits par appareil et par an, pour forer 400 puits, il faudrait 100 appareils et par conséquent un apport extérieur de 88. C’est un calcul très théorique qui sert seulement à donner une vue sur le programme de forage et de fracturation. Il est certain que nous ne pourrons pas identifier de nombreux pads la 1re année ; nous tâtonnerons avant de tracer un programme. Ceci se répercutera sur les fracturations et sur la durée de la 1re étape ; mais pour la 2e nous devons y arriver.
Il faudra construire une stratégie offensive pour développer très vite ce gisement et utiliser ses ressources avant qu’elles ne deviennent obsolètes.
Rappelons que d’autres sociétés pétrolières seront nécessaires pour venir à bout de cette tâche en des temps raisonnables ; ceci sera d’autant vrai si nous envisageons d’attaquer le développement de plusieurs périmètres à la fois. Pour toutes les sociétés qui vont contribuer au programme, la tâche sera rude ; il faudra un vrai chef d’orchestre pour harmoniser leurs actions et être attentif au fait que chaque société sera indépendante et pourra refuser de partager ses résultats. Leur imposer la transparence les poussera à bouder les appels d’offres.
Le programme que nous venons d’esquisser permettra d’extraire de Berkine/Ghadames 22% des ressources techniquement récupérables en 20 ans environ (1791 milliards de m3). Pourrions-nous en extraire plus ? Nous ne le saurons qu’après le forage de plusieurs centaines de puits, soutenues par des études géologiques, des études de caractérisation des réservoirs, de bonnes campagnes de sismique 3D et 4D…
Il est impératif toutefois que nos ingénieurs dans leurs différentes spécialités conjuguent leurs efforts pour en produire le maximum possible ! Si le gisement peut fournir plus de gaz alors le nombre d’appareils nécessaires pourrait être plus important et la période de développement plus longue et l’investissement plus conséquent.
La disponibilité des appareils de forage représente un énorme challenge, au départ nous pourrions trouver sur le marché 20, peut-être 40 ; seront-ils en parfait état de marche, condition non négociable ? Si nous intéressons plusieurs compagnies, le problème sera moindre sinon nous devrons sans doute faire construire le reste, ce qui demandera plusieurs mois en faisant appel à plusieurs constructeurs.

E2- la flotte de pompes
Les pompes, leurs équipements et engins auxiliaires seront nombreux. Le nombre de sociétés de services capables de réaliser ces opérations a rétréci depuis le début de la crise de Covid-19. Schlumberger a vendu son parc américain ; j’ignore si les acquéreurs ont pris son relais. J’espère que celui qu’elle et Haliburton détenaient en Algérie est toujours chez nous. Il sera difficile de mobiliser le colossal nombre de chevaux nécessaires (voir 1re partie). Pour réaliser une opération un groupe de 20 à 25 pompes de haut débit haute pression avec stockage, camions et citernes de transport seront nécessaires. La puissance requise pour fracturer un puits devrait avoisiner les 45 000 chevaux.
À quel rythme pourrons-nous fracturer nos puits ? Avec les hypothèses de 12 puits par pad et 36 étages à fracturer par puits, projections hautes sans doute, nous devrons fracturer 432 étages par pad. Avec le volume de fluide à pomper, l’expérience de Schlumberger permet d’envisager un rythme de 10 étages par jour. On en conclut que pour chaque pad de 12 puits, il nous faudrait environ 44 jours+2 jours (?) pour les déplacements des équipements. Chaque groupe pourra donc fracturer environ 95 puits par an. Pour le seul programme des 2 étapes décrites plus haut, il nous faudra en permanence 4 à 5 groupes de 20 à 25 pompes environ.

E3- Personnel technique
Réunir ces équipes n’est pas simple, toutes nationalités confondues. À l’étranger, par crainte de subir des déconvenues de carrière, les étudiants sont beaucoup moins attirés par l’industrie pétrolière que naguère ; les chercheurs d’emploi ne s’y aventurent plus en masse, l’industrie étant menacée par les énergies renouvelables, à moins qu’on leur offre des salaires alléchants. Selon la FED, Dallas (Slide Show, 2 juin 2022), le nombre de postes de travail dans l’amont pétrolier aux États-Unis, tiré des statistiques du Bureau du travail US, qui était de 200 000 en 2015 est passé à environ 140 000 en 2018-2020 pour tomber à 136 200 en avril 2022. Un tel rétrécissement du marché du travail confirme le désintérêt pour ces métiers. Ceux qui sont encore sur le marché deviennent bien plus exigeants que par le passé. N’oublions pas que ce personnel devra être compétent, méticuleux et discipliné, ce qui est une gageure.

E4- Approvisionnement en eau
Si nous ne pouvons pas approvisionner les pads en eau avec des conduites, il faudra disposer de toute la logistique de transport. Le nombre de puits à forer est très important. Pour disposer de 60 000 m3 d’eau par forage, il faudra transporter 666 m3 par jour par puits pendant 90 jours et des stockages conséquents. À raison de 20 m3 par citerne il faudrait 34 voyages par jour ; le nombre de citernes dépendra de la distance à laquelle se trouvera la source. Le nombre de chauffeurs et de mécaniciens se déduira aisément. Tout ce personnel supplémentaire, plus celui de soutien, doit être pris en charge transporté, logé, nourri…

F- Pragmatisme et souplesse
Le défi du développement des schistes sera énorme, mais il faudra l’affronter de manière résolue. En cas de difficultés accrues, nous pouvons éventuellement rallonger les périodes de développement.
On peut aussi opter pour développer certains schistes et oublier d’autres. Cela se décidera après une période expérimentale sur chaque gisement, la décision sera basée sur la rentabilité de chaque projet.
Il est important de démarrer vite et de maintenir un rythme de forage en adéquation avec l’économie du projet.
La tâche ne doit pas nous faire peur : sur Marcellus, entre 2007 et 2014, on a foré plus de 8300 puits (Marcellus Shale - Appalachian Basin Natural Gas Play, Hobart M. King, PhD, RPG- Geologie.com).
Rappelons-nous : le temps nous est plus que jamais compté !
S. K.
(À suivre)

(*) Ancien directeur de la division forage de Sonatrach. Ancien conseiller pour l’amont du PDG de Sonatrach.

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