Algérie

Les Gardes marchent pour que ça marche !



Les Gardes marchent pour que ça marche !
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers, mais ils n'étaient pas nus maigres et tremblants, comme chantait naguère l'inoubliable Jean Ferrat. Les 9 et 19 juillet 2012 et en mars 2011, les gardes communaux algériens, les autres hommes en bleu de la sécurité publique, vaillants gaillards, avaient marché sur Alger et dans Alger. A chaque fois, avec des fortunes ou des infortunes diverses. En toutes circonstances, la même constance, la même détermination, le même courage pour faire aboutir une plateforme de 14 revendications sociales. Dans la capitale, où ils furent quelques dizaines de milliers à avoir drapé de bleu le bitume, sans jeter le moindre pavé sur les hommes en bleu de la police nationale, on n'a pas pu les empêcher de marcher. Et ça a un peu marché pour eux : nombre de leurs revendications ont été acceptées. Plus d'un an après, les gardes communaux décident de bouger encore sur le front social, de faire leur longue marche à eux. 50 kilomètres d'autoroute, à partir de Blida pour faire entendre leur voix au chef de l'Etat, sous les fenêtres du palais présidentiel. Et là, ça n'a pas marché. On leur dresse une ligne Maginot là où il faut, comme il faut, avec juste ce qu'il faut comme dispositif de dissuasion. Du côté de Birkhadem, avant l'entrée d'Alger, une task force policière les attendait, avec instruction d'éviter un affrontement qui aurait transformé Birkhadem en Bir Hakeim ! Il y a eu de l'électricité dans l'air, des jets d'eau, des coups de matraque, un peu de molestage et une quarantaine d'arrestations. Un garde communal est certes décédé dans des conditions controversées. Mais, dans l'ensemble, les policiers ont appliqué avec beaucoup de zèle ce que leur grand patron appelle la «gestion démocratique des foules». Effet dissuasif maximal et minimum de dégâts, mêmes collatéraux. La grande marche freinée aux portes de la capitale, le DOK, alias le ministre de l'Intérieur, a manié la vieille technique de la carotte et du bâton : lâchage de lest et menaces fermes. Les gardes ont donc marché pour que ça marche encore mieux par rapport à la marche de 2011. Il y eut alors des avancées comme l'amélioration des taux de deux primes, dont une relative au couffin de la ménagère. Mais comme ça ne mange pas beaucoup de pain, les gardes décident de se faire voir et entendre de nouveau sur l'autoroute Blida-Alger. Et là, ce n'est plus le ministère de l'Intérieur qui s'en mêle sur le terrain des opérations mais celui de la Défense qui déploie ses gendarmes mobiles. Ce coup-ci, les gendarmes se comportent comme des militaires. C'est-à-dire qu'ils se déploient dans la profondeur, dans une attitude offensive qui leur a permis de bloquer les gardes communaux, loin d'Alger. Comme ça, même les murmures des gardes ne parviendront pas à la fenêtre du président de la République. Et là, rien ne va plus pour les gardes même si certaines exigences ont été acceptées. Du moins sur le papier, car l'administration algérienne est aussi rapide dans l'exécution qu'un singe paresseux grimpant un arbre par temps caniculaire ! Mais enfin, qu'est-ce qui fait courir un garde communal et le pousse à jouer les jusqu'auboutistes sur voie bitumée ' Au-delà les détails techniques des conditions de rémunération, les gardes communaux, corps de sécurité à part entière, mais supplétif de la police et auxiliaire de la gendarmerie, revendique un statut à part entière. Un peu de considération et beaucoup de dignité, surtout. Du respect pour des hommes qui ont joué un rôle efficace dans la lutte contre le terrorisme et qui ont souvent servi d'éclaireurs et de boucliers lors des opérations. Ces hommes, dont le corps fut crée en 1996, n'ont pas de statut digne de ce nom. Dites plutôt un statut bâtard, à l'algérienne, mi-chèvre, mi-chou qui les a rendus chèvres et incité à battre le pavé ! Ils font forment un corps de sécurité qui assume presque toutes les fonctions de la police sans en avoir les avantages et le statut particulier. Ils sont même habilités à lutter contre la contrebande et le trafic de drogue et assurent notamment des missions de renseignement opérationnel et collaborent aux enquêtes de police judiciaire. Ce sont des agents de sécurité mais avec un statut officiel d'agents administratifs, rétribués selon la catégorie la plus basse de l'échelle de la Fonction publique. Après avoir dépendu du ministère de l'Intérieur, ils sont désormais sous la tutelle de l'armée, sans incidences concrètes en termes de statut et de compensations financières. Ils étaient un peu moins de 100 000 quand ils étaient sur le front de guerre. Plus d'un tiers a été démobilisé. Les gardes ont alors exigé et obtenu une retraite proportionnelle après quinze années de service, sans condition d'âge. Ils veulent arracher des augmentations de salaires conséquentes, sachant que le plus gradé d'entre eux perçoit une mensualité de moins de 300 euros ! Ils veulent une couverture sociale intégrale qui les protège au-delà des huit heures de service. Des logements sociaux aussi. Par-dessus tout, ils veulent être intégrés dans la police ou dans la gendarmerie, forces aux côtés desquelles ils ont combattu hier, en première ligne. A défaut, ou en cas de dissolution de leur corps, une retraite anticipée, avec indemnités. Ils ne veulent donc pas être des trois-quarts de policier ou des deux-tiers de gendarme. Rien moins et pas plus que des soldats de l'antiterrorisme comme les autres. Sinon, ils marcheront encore et encore, jusqu'à ce que ça marche. Malgré les barrages sur l'autoroute, le bruit de leurs pas finira bien par parvenir aux oreilles de qui de droit. Les récriminations et les rebuffades du DOK ne pourraient pas servir indéfiniment de stop-bruit.
N. K.


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