Algérie

Les frissons de la solitude



On attendait un livre de Hamid Grine à sa sortie du gouvernement en mai 2017. Et on avait toutes les raisons de guetter ce livre-voyage au «pays du pouvoir». En 2014, année de sa nomination à la tête du ministère de la Communication, l'armature du régime en place accusait déjà les premières fissures nées de la crise économique après la chute brutale des prix du baril. Un président impotent pris dans une nasse d'oligarques, des dirigeants autistes, une classe politique fantomatique et une jeunesse en totale rupture qui hurlait sa mal-vie dans les gradins des stades de football. Au seuil d'un changement qu'elle appelait de toutes ses forces, l'Algérie hésitait mais bouillonnait de l'intérieur. Sous les cendres couvaient des braises ardentes. De ce bouillonnement jaillissaient des torrents de rumeurs et de confidences croustillantes amplifiées par le bouche-à-oreille. Le gratin politique et les hommes d'affaires convergeaient vers des villas feutrées sur les hauteurs d'Alger où l'intrigue et les conflits d'intérêts faisaient bon ménage. Que se passait-il en haut lieu à cette époque- là' Qui dirigeait le pays' Comment et avec qui se prenaient les décisions' Quelle était la nature des rapports entre les membres du gouvernement' Dans quelle ambiance se déroulaient les réunions du Conseil des ministres' Le président était-il en possession de toutes ses capacités pour diriger ces réunions' Le mystère se lénifiait au fil des ans et à mesure que le fossé entre les dirigeants et le peuple devenait abyssal. C'est dans cette atmosphère électrique que Hamid Grine a intégré le gouvernement. Enfin, un journaliste qui va nous entraîner dans le lieu même où se joue la comédie du pouvoir. Un journaliste doublé d'un écrivain surtout qu'il a eu la chance...ou plutôt la malchance de garder son poste durant trois ans. Il nous fallait ce regard curieux par le trou de la serrure pour ôter au pouvoir sa ténébreuse tunique. Mais, les cadavres qui traînent dans les placards resteront dans leurs pudiques linceuls. Hélas, le mystère du pouvoir restera entier comme l'est celui de la mort. C'est justement de la mort qu'il s'agit Dans la pièce d'à-côté. Un récit poignant d'un drame personnel. Dans la pièce d'à côté, est un livre émouvant préfacé par l'écrivain Boualem Sansal qui souligne: «L'essentiel est la magie, on l'a ou on ne l'a pas, Hamid est un magicien de l'impressionnisme, en littérature.» Le récit s'ouvre sur un tableau magnifique comme on n'en voit que dans les cartes postales pour touristes: un petit déjeuner aux premiers scintillements du soleil. «Une belle matinée, d'une douceur, d'une luminosité telle qu'elle me fait penser à Camus.»Ce jour-là, Meriem, la défunte épouse de Hamid Grine, n'a pas pu se réveiller pour partager «ce moment de grâce qui justifie à lui seul son existence». «Quel tableau offert à mes yeux émerveillés chaque jour! Je ne l'échangerai pas pour un Khadda ou même un Monet! C'est à hurler à pleins poumons: «Merciiiiii la vie!». Ephémère bonheur, chimérique existence! C'est en page 21 que la foudre tombe, quand à dix-sept heures trente, sonna le téléphone de la souveraineté, car sur l'écran du combiné s'affiche le numéro du Premier ministre Bonsoir... heu...Tu as un problème à la maison'
-Non, aucun problème à ce que je sache...
-Ah, bon! pourtant on m'a dit qu'il y a un problème familial!
Un moment de doute, suivi d'une angoisse puis les évènements s'accélèrent. Les pages du drame s'ouvrent. L'auteur nous saisit à la gorge pour ne plus nous relâcher.
L'échange avec sa fille est émouvant:
-Passe-moi ta maman.
-Je ne peux pas.
Silence... quelques secondes qui semblent une éternité, soudainement, elle balbutie: «Elle est morte...»
Elle sanglote à l'autre bout du fil, ma respiration s'arrête et je me sens fragmenté en mille morceaux.
«Je l'ai... trouvée...inerte...près du surpresseur.»
Il raccroche en pleurant. L'écrivain, le ministre, le journaliste s'effondrent avec Hamid. Grine est atteint. « Une douleur me transperce le coeur, un couteau en plein coeur.». On voit l'auteur sombrer dans un récit où il enfile les mots comme des perles... Non! comme des braises ardentes sur un tissu de malheur. D'une écriture en trémolos, il livre un duel acharné avec le destin qui lui a injustement choisi ce terrible châtiment. Toutes les douleurs s'émoussent à l'image des galets dans le fleuve du temps. Pas celles du coeur. Celles-là sont inoxydables et leur intensité est à la mesure de l'attachement pour le disparu. «Je m'agenouille et je caresse la terre qui la couvre. La terre est tendre, elle s'effrite entre mes doigts. Tendre comme celle qu'elle recouvre.» «Ce qui me rassure, c'est que je ne vivrais pas, Dieu merci, autant de temps sans toi.» Au bord du déni, Grine, refuse tout, rejette tout. «Je veux rester tel que je sens avec mes souffrances. Souffrir me rapproche d'elle. Ma douleur est muette. Je me hurle que dans mon pauvre coeur. Ce serait bien qu'il meurt d'amour.» Dévasté par le chagrin, l'auteur doit maintenant affronter le monde extérieur. Une autre dure épreuve, d'autant que certains brillent par leurs indélicatesses. «La douleur ne se partage pas. Elle est interne. Elle sévit. C'est une compagne sombre, exigeante qui nous ronge d'autant plus dure qu'elle n'est pas apparente.» Au fil des chapitres, entre deux sanglots, s'affirme la volatilité du bonheur dans ce bas monde. «La vie, voyez-vous, c'est du Fellini: derrière les rives pointent toujours, une embuscade, les larmes!», écrit Hamid Grine. «La vie est un combat perdu d'avance», tranche Kafka, roi de l'absurde. «Oui, c'est justement parce que ce combat est perdu d'avance qu'il faut croquer à pleines dents chaque instant de cette vie», lui réplique Camus. Dans la pièce d'à côté, le curseur philosophique est placé au centre. Entre l'absurde de Kafka et la témérité de Camus à répéter les choses, il y a la «Grinitude» pour qui le bonheur est un plat qui ne se réchauffe jamais. Mais ce n'est pas un renoncement. Il puise alors dans ces tréfonds et se rappelle de cette sentence de sa défunte mère «Au plus fort, de ma détresse je pense à elle. À chaque fois que je ploie. Je pense à elle et pour ne pas rompre je me dis: ''Il faut que je sois digne d'elle''.». «Il faut que je résiste comme elle. Ne pas gémir, ne pas exhiber sa peine en public surtout ne pas faire pitié, car pour elle, la pitié engendre les mépris.». Il se relève péniblement et termine son récit sur une perspective interrogative: «Que vais-je devenir sans toi'». «Que serai-je devenu sans toi'». L'endeuillé doit apprivoiser la douleur de l'absence. Il n'a plus le choix et c'est justement dans ce choix obligé que tout le drame réside. Pour le reste, tout le reste, on ne possède éternellement que ce qu'on a perdu...
Dans la pièce d'à côté
Editions Gaussen, mars 2022 - 254 pages


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