Les investissements libyens en Europe suscitent des réactions
ambivalentes. L'éviction d'Allesandro Profumo de la tête d'UniCredit vient le
rappeler. L'évaluation de la «péripétie» italienne n'a pas été encore faite à
Tripoli. Elle devrait renforcer le «cap africain» des fonds souverains libyens.
Avec 153 milliards de dollars d'avoirs financiers, dont 80
milliards en réserves de change, et des fonds souverains très opulents, la
Libye attire irrésistiblement les entreprises des pays avancés. Si l'image
internationale du pays du colonel Kadhafi est contrastée, elle ne restreint pas
les ardeurs de chefs d'entreprises en quête de marchés ou de financements pour
des joint-ventures en Libye et ailleurs en Afrique. Il n'en demeure pas moins
que la capacité financière de Tripoli inquiète les politiques européens
soucieux de contrôler au plus près l'activité des fonds souverains et de
limiter leur influence dans les conseils d'administration des banques et
entreprises stratégiques.
Alessandro Profumo,
directeur-général d'Unicredit et numéro deux «historique»- il est en poste
depuis 1997 –, et tout puissant responsable exécutif de la première banque
italienne vient d'en faire les frais. A l'issue d'une réunion houleuse du
conseil d'administration d'une banque qu'il a hissé au premier plan des
établissements financiers européens avec un total bilanciel de 1000 milliards
d'euros, le flamboyant Profumo a été débarqué avec pertes et fracas. Sa
«démission», avec quarante millions d'euros d'indemnités à la clé selon la
presse italienne, est directement liée aux préoccupations des actionnaires
traditionnels de la banque devant la montée en puissance d'intérêts libyens
dans le capital de la banque.
Tripoli, qui dispose d'un
siège au conseil d'administration, en est devenu le premier actionnaire avec un
total de 7,5% des actions. La banque centrale libyenne et le fonds souverain
LIA (Libyan Investment Authority) détenant respectivement 4,99% et 2,59% du
capital. Les autres actionnaires, les fondations bancaires de la péninsule,
actionnaires historiques d'UniCredit, très contrôlées par les partis politiques
italiens, se sont liguées avec le président de la banque Dieter Rampl - ancien
patron de la banque allemande HVB avec qui UniCredit a fusionné en 2005 - et
les actionnaires allemands (dont Allianz), reprochent à Alessandro Profumo
d'avoir fait cavalier seul ; et de ne pas les avoir informés de l'évolution de
la position libyenne dans l'actionnariat global.
UniCredit : un argumentaire «nationaliste» peu convaincant
Les marchés ne sont pas convaincus par l'argumentaire
«nationaliste» des fondations et déplorent une trop grande influence des
partis. Alessadro Profumo a la réputation d'avoir systématiquement refusé
d'entrer dans les arrangements politiques qui caractérisent le capitalisme
italien. La presse italienne qui déplore cette péripétie rend hommage à un
directeur général, qui avait fait montre d'une vision globale, plutôt rare dans
un milieu bancaire italien étriqué et replié sur lui-même. Le système bancaire
italien émietté et sans influence en Europe avait vu l'émergence d'Unicredit
comme une exception remarquable. Le comportement autocratique reproché à
Profumo avait permis néanmoins de prendre des décisions audacieuses, en mettant
en Å“uvre notamment une politique d'acquisition externe en Europe de l'Est qui avait
donné une dimension mondiale à la banque. Ce n'est pas l'avis du maire de
Vérone, Flavio Tosi, dont le parti, la Ligue du Nord, veut accroître son
influence au sein des banques via les fondations bancaires. Ce dernier s'est
félicité de cette éviction brutale en soulignant que la vocation première de la
banque était de soutenir les activités en Italie. Favorables à une banque
tournée vers l'économie interne, les fondations craignent qu'une
internationalisation trop poussée ne leur fasse perdre de l'influence. Pour
beaucoup d'observateurs de la scène financière européenne, le départ sans
remplaçant désigné de Profumo, pose le problème des orientations stratégiques
d'Unicredit. D'ailleurs face à la carence de remplaçant, la Banque d'Italie a
enjoint la banque de nommer un directeur général au plus tôt.
Une tendance générale en Europe
Ce scandale est révélateur non seulement de la xénophobie propre à
la Ligue du Nord et au repli «provincial» du monde politique italien mais d'une
tendance générale en Europe. La méfiance vis-à-vis des fonds souverains arabes
et chinois est une constante qui avait été publiquement affirmée par le chef
d'Etat français au début de la crise financière globale. Les inquiétudes
européennes pour exagérées qu'elles puissent paraître s'inscrivent néanmoins
dans un air du temps caractérisé par la remontée de vieux démons à la surface
du monde politique européen. Il semble bien que les Libyens aient parfaitement
compris le rôle assigné à leurs fonds souverains. Lors d'une réunion à Paris en
juin dernier des six fonds d'investissements libyens avec près de deux cent
cinquante entreprises françaises, il était surtout question d'investissements
conjoints en Afrique, où les financements libyens pourraient conforter
l'expertise française dans les secteurs touristiques et hôteliers. Ainsi, selon
Salem Serkik DG adjoint de la Laico, (Libyan African Investment Company), une
filiale du fonds souverain LAIP (Libya Africa Investment Portfolio) dédié à
l'Afrique, les investissements de LAICO sur le continent sont de l'ordre de 1,2
milliard de dollars. Les capacités du fonds d'investissement se renforcent
régulièrement, ses investissements s'établissaient à environ 900 millions de
dollars en 2009. Un spécialiste estime que les «Libyens continueront certainement
de prendre des participations très minoritaires dans des groupes européens pour
garantir des placements «sûrs» mais ils ont parfaitement conscience que leur
impact sera très mesuré et leur influence très confinée». Pour lui, le «message
italien est sans ambiguïté. Il est hors de question que des Libyens soient en
position de dominer le conseil d'administration d'une entreprise ou d'une
banque de taille critique». En clair, la stratégie d'investissement des fonds
libyens est donc très contrainte par les conditions politiques, ce qui devrait
normalement confirmer l'orientation vers le sud des intérêts de Tripoli. Tant
mieux pour l'Afrique.
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Posté Le : 28/09/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Said Mekki
Source : www.lequotidien-oran.com