Algérie

Les fonctionnaires et la Zakat



En cette nouvelle année hégirienne 1431 et le 10 de ce premier mois de Moharam, jour de l'Achoura, tous les regards sont braqués vers deux mondes extrêmes.

Celui des nantis et celui des démunis. Pour cette année, les plus fortunés concernés par l'obligation de céder la Zakat doivent détenir l'équivalent d'au moins la somme de 229.500 DA (appelée nissab), soit la modique somme d'environ 23 millions de centimes qui doit être capitalisée au terme d'au moins une année le jour de cette pieuse journée.Rien que ça !



LE FONCTIONNAIRE, UN PRÉTENDANT A LA ZAKAT ?

Pour le fonctionnaire que je suis, je considère cette somme comme un réel magot qu'il est très difficile voire impossible de l'économiser durant des lustres par les temps qui courent avec la cherté de la vie aidant, surtout pour ceux qui ont à la charge de nombreuses bouches à nourrir. Par expérience, chacun n'ignore pas que la paye du fonctionnaire s'évapore en buée durant les 10 premiers jours. Quant au restant des jours, la ceinture est là pour faire son préjudiciable effet. Et c'est la bouffe qui crève salement le budget de la famille du fonctionnaire. Il perpétue à rêver toute l'année, dans son assiette, de la viande rouge, du poisson, etc. Avec la mandarine à 150 DA le kilogramme, c'est rare qu'il se permette le luxe d'acheter des fruits qui sont nécessaires à une nutrition équilibrée. Par ricochet, la santé publique en prend un sérieux coup. Le reste de la rémunération est englouti dans le loyer, les charges énergétiques comme l'électricité et le gaz, l'habillement ou encore les imprévus de la rentrée scolaire et les fêtes des deux Aïds. Subvenir aux besoins des membres de sa famille est un vrai calvaire lorsqu'on sait que les allocations familiales sont dérisoires. Actuellement elles sont de 800 DA pour la femme au foyer et 300 DA par enfant, qui dit mieux ! Pour ceux qui ont des enfants étudiants à l'université, les dépenses dépendent de l'éloignement de l'établissement. Cela peut vous coûter la tête aux yeux. N'osez pas me dire que la bourse va alléger les dépenses des malheureux parents.

 Comme vous l'avez constaté, il s'agit là d'une famille modèle d'un fonctionnaire qui est très chanceux par rapport à la plupart de ses collègues qui vivent dans des conditions beaucoup plus défavorables avec des adultes chômeurs à prendre en charge ou encore des ascendants sans ressources. D'autres fonctionnaires se sont regroupés en couple mais la candidature à l'octroi de la Zakat reste encore une fiction.



AUMÔNE OU ZAKAT ?

A l'appel de l'imam de la mosquée, j'ai pu assister le dernier week-end à la collecte de la Zakat dans une mosquée. J'ai remarqué les fidèles ne léguer pour leur majorité que des pièces de monnaie. Ce n'est plus de la Zakat mais juste une quête de l'aumône. Etre postulant à la donation de la Zakat suppose céder au minimum 5537,50 DA mais sans doute pas les petites pièces ramassées dans les chéchias des petits adeptes.



NISSAB: NON, IRG: SI

Paradoxalement, par la somme fixée du nissab de la Zakat, les autorités du pays reconnaissent implicitement l'utopie des fonctionnaires et des travailleurs à pouvoir contribuer au compte de la Zakat mais le même gouvernement continue d'imposer toujours les mêmes allant jusqu'à diminuer 25% de leurs salaires.

 Une contradiction flagrante dans un Etat dont les textes sont inspirés de la loi musulmane ! Ce sont les seuls que l'Etat leur soutire l'IRG (Impôt sur le revenu global) à la source alors que ceux qui vivent dans l'informel échappent impunément à tout contrôle fiscal.



L'INFLATION DU «LOUBIA BLECH»

Demandez autour de vous parmi les travailleurs qui ont eu le culot de contracter le crédit voiture qui a laminé leurs dépenses. En conséquence, ils ont subi une véritable diète pendant toute la durée du crédit qui peut aller jusqu'à 5 ans au maximum. Une vraie traversée du désert. Heureusement que pour les autres, le gouvernement a annulé cette disposition. Comme argument fiable, les sources proches du gouvernement ont invoqué la ruine des familles prises dans l'engrenage du crédit au détriment du bien-être de leur famille. Par cette mesure, le gouvernement reconnaît, encore une fois, implicitement l'incapacité des fonctionnaires à épargner ne serait-ce qu'une infime partie de leurs salaires. Les traitements leur permettent juste de survivre. C'est pour cette raison que les fonctionnaires sont accrochés inlassablement à la promulgation du régime indemnitaire qui va être à coup sûr abîmé par le taux de l'inflation qui ne cesse de grimper. Il a été évalué ces jours-ci à 5.7% par l'Office national des statistiques, taux qui était estimé à 4.3% l'année dernière à la même date. On peut imaginer ce taux dans une année puisque la tendance est à la hausse. Même le plat populaire de «Loubia blech» a son prix, quant à honorer la Zakat, il n'y a plus rien à espérer.



LE PAUVRE FONCTIONNAIRE HORS CATÉGORIE

Sincèrement depuis que j'ai acquis la fonction de fonctionnaire avec un grade se situant sur l'une des 7 subdivisions de la hors catégorie comme tous mes collègues enseignants chercheurs, je n'ai jamais pu honorer ce pilier fondamental de l'Islam. Tout simplement parce que je ne réunis pas les conditions requises. Si, j'ai pu quand même accomplir cette tâche religieuse mais en tant qu'étudiant dans le début des années 80 en France ! Mais jamais depuis que j'exerce la fonction d'enseignant, en tous les cas depuis que j'ai eu accès à la vie professionnelle en tant que Docteur en physique. Je suis sûr et certain que de nombreux collègues sont en train de hocher leur tête par l'affirmative à la lecture de cet article.

 Si les fonctionnaires classés dans la plus haute hiérarchie de la fonction publique sont exclus de cette tâche, que dire alors du 1 million six cent mille fonctionnaires qui grossissent chaque année le lot des nécessiteux et sont donc aptes à la perception de l'aumône pour arrondir leurs fins des mois. N'omettons pas les retraités de la fonction publique qui se comptent par centaines de milliers et qui ornent le lot des impécunieux.



SÉSAME SÉNAT: OUVRE-TOI !

Si l'on ôte les chômeurs, les travailleurs du secteur industriel public ou privé à part peut-être ceux des cadres de Sonatrach ou des grandes sociétés ou des institutions bancaires, les donateurs de la Zakat se comptent parmi les doigts de la main de cette frange.

 Par ailleurs, nos chers actuels députés et nos futurs sénateurs qui attendent impatiemment la date du 29 décembre comme une délivrance qui va les faire envoler vers l'ascension des cieux de l'opulence. En dépit des menaces de sanctions de leurs impuissants partis, ils ne voudront pas lâcher le gros morceau à quelques centimètres de l'arrivée. C'est tout leur avenir financier qui est en jeu. Dans les contrées, ils se battent à coup de millions pour accéder à ce sésame non pas pour espérer un jour honorer la dette divine mais pour accéder tout simplement au paradis du cercle restreint des privilégiés. J'ai bien peur que l'argent sera encore une fois le nerf de la guerre pour arracher son siège au palais Zighout Youcef !

 Un investissement pour les plus lotis qui va sans aucun doute rapporter gros, autant sur le plan financier comme au plan des affaires et des influences. Et c'est malheureusement toujours l'Algérie qui trinque malgré l'engouement de la jeunesse de ce pays symbolisé par l'historique 18 Novembre.



L'ÉPINE DJAMILA

Je pensais que parmi les catégories aptes à octroyer la Zakat figuraient en bonne place les moudjahidine que je pensais être à l'abri du besoin mais cette inattendue sortie médiatique de notre héroïne Djamila Bouhired m'a laissé perplexe ! Jamais, je ne la croyais érodée par la pauvreté.

 Les carnets du crédit de la superette du quartier de notre icône révolutionnaire et de son boucher font foi de son infortune.

 Sa misérable situation, inacceptable pour son rang, m'a permis de réviser complètement mon point de vue sur la question. Impensable sous d'autres cieux ! Si ce n'est pas la maladie qui la ronge, je présume qu'elle n'aurait jamais sollicité qu'on lui en vienne à l'aide.

 Je conclus que soit tous nos anciens combattants sont tous dans le même cas que notre Djamila nationale, soit l'on est en face d'une injustice caractérisée comme elle le murmure dans ces lettres qui feront mal à la conscience de tout le peuple. Rien qu'en évoquant le nom de Djamila Bouhired, la chair de poule vous envahit tout le corps. En apprenant qu'elle vit dans des conditions pénibles par rapport à sa stature, j'éprouve une certaine culpabilité et une honte intérieure comme étant je suis l'un des 33 millions de responsables de son sort. Comme elle le dit si bien, n'oublions pas les moudjahidine qui ont fait le choix de vivre dans le total anonymat. Je suis heureux qu'il existe encore cette rare qualité, allons donc les chercher même comme une aiguille dans une botte de foin.



ALORS LESQUELS ?

J'allais oublier dans ce papier les agriculteurs, nos fellahs dans le langage du terroir, qui sont dénigrés à longueur d'année comme étant l'une des causes de la spéculation de la hausse vertigineuse de la mercuriale selon les saisons et les périodes ramadhanesques. Mais par l'effacement de leur dette de l'ordre de 4400 milliards de centimes (soit un peu moins d'un demi-milliard de dollars) me fait changer d'avis.

 Il reste peut-être à savoir ceux qui n'ont pas été arrosés par ces somptueux crédits qui coûtent trop cher au Trésor public et au contribuable. Il fallait oser pour en bénéficier.

 Les éternels endettés des finances publiques savent sentir le bon coup, patienter et profiter de l'opportunité de l'ardoise épongée ! Donc, les fellahs sont éliminés de facto de la Zakat si l'on suit le raisonnement des gestionnaires des finances.

 La question n'arrête pas infatigablement de me tarauder l'encéphale. Les responsables concernés sont appelés à établir des statistiques puisque la Zakat a l'intention de se transformer en institution gouvernementale. Alors, quelles sont les catégories de personnes qui s'acquittent de la Zakat ?

 Il ne reste pas grand-chose à cocher dans le calepin à part les marchands de l'informel qui préfèrent se laver les os avec juste 2.5% des sommes engrangées et de persistent à fuir les impôts contrairement aux otages fonctionnaires. Une autre contradiction en sus.



*Universitaire et syndicaliste du CNES








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