Publié le 24.06.2023 dans le Quotidien l’Expression
Par Chadouli Ahmed*
Une production agricole nécessite la terre, les moyens et les facteurs de production et le savoir-faire, appelé communément les techniques agricoles. Lors de la dernière réorganisation du foncier agricole, des fermes pilotes ont été maintenues par l'État sur avis des instituts techniques. Ces fermes étaient plus ou moins spécialisées. Selon leurs potentialités. Dans leur ensemble, elles étaient destinées à la production de semences, de plants et de géniteurs. C'est une louable intention et augure de bonnes perspectives en tant que leadership et initiateurs du progrès agricole. Les nouvelles missions ont été définies, et deux types de directions ont pris en charge la gestion de ces fermes.
Les holdings, dont leur souci était la rentabilité et les bénéfices à engranger. Il s'ensuivit une course vers la rentabilité sans prendre en considération les missions de ces fermes. Les pratiques commerciales et la spéculation ont été le leitmotiv des ces fermes. Tous les aspects techniques étaient écartés, malgré les disponibilités financières.
La DSA
Certaines fermes étaient sous la direction de la DSA avec un conseil d'administration composé de la DSA, des instituts, les assurances agricoles, la profession et des coopératives. Si l'approche était technique ce conseil se trouvait démuni de pouvoir financier.
Malgré la situation confortante des certaines fermes, l'état, au jour d'aujourd'hui, de la majorité des fermes laisse à désirer. S'il y a un terme approprié, pour qualifier l'état de ces fermes, c'est des exploitations déplorables. Les questions idoines qui se posent d'elles-mêmes sont, pourquoi et comment un tel patrimoine est si bien délaissé? Le rôle de ces exploitations doit s'inscrire dans le développement agricole, comme initiateur, promoteur de technologies agricoles et de références agricoles. Le rôle prépondérant s'inscrit dans un plan de développement qui s'articule sur plusieurs programmes de production. De par leur répartition spatiale et leurs potentialités, ces fermes seront l'avant-garde de développement, les observatoires et les indicateurs des productions. Leur gestion doit prendre en compte leurs places, leurs rôles leurs participations dans le développement agricole et leurs prérogatives. De ces missions sera défini le mode de gestion de ces fermes. Toutefois, le caractère technique de l'entreprise doit être le leitmotiv dans la gestion.
Préservation du patrimoine agricole
L'intervention des fermes est névralgique, les exemples suivants sont concrets où la ferme reste l'unique garant de cette préservation. Nous enregistrons des perturbations dans la production laitière de même que l'abandon de certains éleveurs de cette filière. L'une des causes est le manque de fourrages, et ce manque est dû à l'indisponibilité de semences et de grains. L'exemple flagrant est la disparition du fourrage vesce-avoine depuis bientôt 20 ans, alors qu'il était le fourrage le plus emblavé de par sa qualité nutritive et son appétence, c'est un fourrage complet, il regroupe les glucides des céréales et les protéines de la légumineuse. À ce jour, il est difficile de trouver la semence ou du grain de la vesce, d'orge et d'avoine. Pour ces 2 espèces la production de semences se limite aux premières générations, quant au bersim, la luzerne, le maïs et le sorgho, point de production de grain. Les raisons sont simples, ce sont des espèces à faible profit et peu spéculatives. Les difficultés de production limitent l'investissement dans ces espèces. Dans l'état actuel des choses ce sont des espèces non rentables, mais elles sont d'une extrême importance dont seul l'état est capable d'en estimer la valeur. En effet, la vache est un capital, avec sa disparition, point de producteur, point de collecteur, point de petit transformateur. Pour l'information, nous consommons 40% de la production hebdomadaire de lait le vendredi. Un programme de production de grains et de semences par ces fermes entre dans le cadre de la sécurité alimentaire. Les semences seront cédées aux éleveurs et pourquoi pas réaliser de grandes superficies fourragères (+ de 3000 ha) par zone d'élevage. L'État peut participer par la cession de la production fourragère aux éleveurs, au prorata de la production laitière. L'éleveur se voit rassuré par la disponibilité des fourrages loin de toute spéculation et ceci l'encourage à investir dans la filière dans la mesure où l'un des segments de la production est assuré. Dans la même lancée, l'État peut encourager le stockage (ensilage) à l'exemple du Syrpalac. Les débuts peuvent être difficiles, mais la persévérance dans une démarche objective, permet de créer un environnement propice au développement. C'est une mission louable et d'entraînement des fermes, où le soutien, la participation, l'encadrement sont concrets. À ce jour, des espèces sont en voie de disparition. Certaines espèces sont l'exclusivité d'une région et se maintiennent grâce à l'abnégation de vieux cultivateurs. Peut-on avoir 100qx de Hedba3, 10 qx de semence de vesce Chélif, 5 kg de semence pur de la Musca d'Alger, des plants de tous les écotypes locaux? Pour rappel, je citerai quelques-uns, mais la liste est longue. La clémentine de Misserghine, la pomme de Sendjas, le melon de Sebseb, la menthe de Ménéa, la luzerne de Sétif, le pistachier de Djelfa.
La banque de gènes
L'Algérie dispose de terroirs très riches et variés en label, et dire que nous disposons de 2 ou 3 espèces labélisées, quelle autosatisfaction! Les exemples en production animale sont édifiants et ahurissants, les principales races et espèces ovines et bovines et autres sont en brassage continu. C'est aux fermes que revient la mission de préservation de ce patrimoine. Toutes les espèces, les variétés, les races doivent être installées en ferme selon les règles techniques avec un suivi. Des cahiers de champ, des registres, l'établissement des historiques. En production animale, des registres individuels, le pédigrée des espèces. À titre d'information, le suivi du cycle végétatif des espèces arboricoles donne des indications assez précises des variations des paramètres climatiques. Toutes ces observations constitueront des bases de données qui faciliteront, les travaux de recherche de choix d'option de développement. La recherche agronomique comporte 3 grands volets que je vais énumérer pèle-mêle. Le volet socio- économique qui regroupe l'ensemble des études sur l'espèce ou la variété dans son environnement, son coût de production, son marché, ses bénéfices, son impact, etc. Le volet agrotechnie ou les techniques culturales, c'est l'étude de toutes les opérations culturales afin d'arriver à une productivité élevée. Le volet amélioration ou obtention variétale, concerne la création de nouvelles variétés par les différentes techniques de sélection. Pour les deux premiers volets, il ne peut y avoir de grands changements. En industrie, nous sommes à l'ère des nanotechnologies. En biologie ou sciences de la nature, le troisième volet, nous sommes à l'ère du génie génétique. Ce sont toutes les manipulations et les combinaisons des gènes, ces techniques tendent vers la création d'êtres exemplaires pour ne pas dire parfaits. De la création de la brebis Dolly en 1996 aux OGM, les manipulations se poursuivent malgré les débats contradictoires. Des gènes de résistance au stress hydrique, des gènes de résistance à la salinité, des gènes de résistance aux températures extrêmes, et d'autres gènes, seront très demandés et seront des gènes nobles, avec éventuellement une bourse des gènes. Même le gène terminator aura sa place. Au fait, le virus H1N1 apparaît à une certaine période, comme par enchantement, il provient d'Amérique latine, d'Afrique ou d'Asie, il bénéficie de publicité subtile, pour s'éclipser après l'écoulement du vaccin. Les gènes de résistance au stress hydrique, à la salinité, aux stress thermiques composent la flore algérienne. Il est important de prospecter, collecter et répertorier ces espèces. Les études agronomiques et physiologiques de cette flore sont nécessaires, mais les plus importantes restent les études génétiques. Il est très utile d'identifier, d'isoler ces gènes et le primordial les enregistrer.
L'académie agricole
La détention de ces gènes constitue un atout majeur dans les programmes d'amélioration. Ces biens précieux évitent toute dépendance et des soumissions conditionnées. C'est un défi qu'il faut relever par des formations de pointe en génie génétique, et de grâce évitons ces projets qui n'ont que peu d'ancrage dans les réalités et sont initiés beaucoup plus pour la promotion professionnelle que la notoriété de l'institution de recherche. Les obtentions d'OGM à partir de matériel de base local sont des objectifs à atteindre. Avec la mondialisation et la globalisation, il va y avoir un brassage de variétés et d'espèces où le dépendant devient un fourre-tout, il sera difficile de distinguer le faux du vrai. Même la technologie de contrôle et d'authentification sera difficile à acquérir et se fera sous conditions, juste pour maintenir la suprématie. Il n'est pas dit que ces manipulations génétiques ne seront plus permises à l'avenir. Aujourd'hui, la recherche sur le nucléaire en est l'exemple. La ferme avec ses collections d'espèces, de variétés et de race animale, sera la référence et l'authentificateur des espèces et des variétés et la seule habilitée à certifier. Tout programme d'amélioration doit puiser le matériel de base au niveau de la ferme. Le corps de technicien est la cheville ouvrière de tout développement. Les performances économiques des pays est dû à ce corps de métier. Ce corps bénéficie de toutes les attentions professionnelles. Malheureusement, chez nous, le corps manuel de production est moins considéré, à tous les niveaux, par rapport à la pléthore improductive. Aujourd'hui, est-il possible de trouver un tailleur, un spécialiste en greffage. Un machiniste, un zootechnicien, un horticulteur, un traiteur? La suite est longue. Il existe une cinquantaine de métiers en agriculture.
La réouverture de ces collèges est une nécessité. Cette formation tend à destiner le futur diplômé au métier d'agriculteur. Après sa sortie, le technicien est orienté vers la ferme pilote. C'est là qu'il vivra l'agriculture. Il pratiquera toutes les techniques culturales, de la préparation du sol jusqu'à la récolte au conditionnement, les cultures maraîchères de la préparation des planches des pépinières, le repiquage, le tuteurage, à la récolte, la conduite des vergers, la protection des végétaux, l'irrigation, les calculs de gestion, l'établissement des bilans. Les techniques d'élevage, la traite, l'engraissement, le rationnement, l'utilisation du matériel, l'organisation de la production. Il peut opter pour une spécialité en production végétale ou animale. Il sera encadré et suivi et émulé par un personnel pluridisciplinaire. La ferme sera un lieu de rencontre de tous les partenaires pour les formations, les échanges et le partage d'expériences. Il existe des espaces qui sont des bas et moyens piémonts; Ils sont visibles le long de l'autoroute Est-Ouest, les zones intérieures, les vastes espaces de la steppe sont inexploitées; Ils peuvent être emblavés en espèces fourragères et exploités en pâturage. Ces espaces peuvent être gérés en opérations intégrées (ferme, éleveurs, organismes). Le sol n'est qu'un support et les paramètres climatiques peuvent être maîtrisés. En cas de calamités naturelles, la ferme peut, dans une vision globale de développement, participer à la redynamisation des milieux touchés, par le repeuplement en espèces animales, la dotation en plants, la coordination des opérations et l'assistance technique. Ces actions tendent à faire de la ferme un fédérateur de développement.
*Expert agricole, ex- directeur, ITGC Khemis
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Posté Le : 29/06/2023
Posté par : rachids