Algérie

Les femmes, piliers du Maghreb



Historienne, épigraphiste et archéologue, Nacéra Benseddik a réussi une approche originale en s'intéressant aux femmes d'Afrique du Nord, telles que représentées dans les temps anciens.Son domaine de compétence embrasse toute la période, du paléolithique jusqu'à la fin de l'Antiquité, mais l'intérêt de sa contribution réside dans sa volonté de faire sortir de l'ombre les femmes de ce monde berbère, qu'elles soient ordinaires ou ayant occupé des positions importantes dans la hiérarchie sociale de leur époque, mais qui ont été occultées par l'histoire. Gravures rupestres, stèles, représentations graphiques sur les objets du quotidien, analyse des nécropoles, inscriptions, textes juridiques, historiques ou littéraires sont autant de matériaux qu'a utilisés l'universitaire algérienne pour élaborer sa thèse et sortir avec un ouvrage paru l'année dernière en France et en Algérie.
C'est un aperçu de cette recherche qu'elle est venue présenter mardi à Oran, à invitation du CEMA. Le sujet la passionne et elle peut discourir pendant des heures et des heures et sa recherche est inclusive, tenant compte autant de ce qu'on peut considérer aujourd'hui comme étant des avancées sur le plan de la condition féminine, que des reculs liés à une certaine forme d'asservissement révélées par certaines représentations.
Pour délimiter l'espace géographique (Algérie, Maroc, Tunisie et Libye) pris en considération dans ses recherches, elle rappelle que, paradoxalement, quand on parle d'Afrique, on pense généralement au continent noir, alors que "c'est grâce à nous que ce continent a été dénommé Afrique", en référence d'abord à Afri, une ancienne tribu du sud-ouest de la Tunisie. Sur un plan purement historique, Nacéra Benseddik tient compte des descriptions formulées par les «autres», comme Hérodote, géographe grec du 5e siècle, qui a laissé une trace sur la manière de s'habiller des femmes berbères, mais elle s'intéresse plus particulièrement aux descriptions de la vie sociale formulées par des auteurs autochtones, pour ne citer que Saint-Augustin, Apulée ou Tertullien.
Pour le reste, à défaut de traces écrites, ce sont ses propres connaissances archéologiques qui ont servi de base à une réflexion sur le mode de vie ou le statut des femmes de ces temps reculés, et sa posture de scientifique lui permet d'éviter les idées reçues ou les interprétations hâtives. Les peintures et les gravures du paléolithique ou de la période bovidienne constituent donc, pour elle, une source inestimable pour la compréhension des modes de vie et des statuts sociaux, y compris des femmes de ces différentes périodes de l'évolution humaine et l'Afrique du Nord, pas seulement sa partie sud, tel que le Tassili n'Ajjer, regorge de ces «archives» qui tendent à se détériorer, d'où la nécessité de les sauvegarder.
Nacéra Benseddik démontre, par exemple, s'appuyant sur des images, qu'une certaine «coquetterie» a déjà caractérisé les femmes qui ont vécu ici il y a environ 6 000 ou même 10 000 ans. La géologue décortique leur manière de s'habiller, les bijoux qu'elles portaient et même leurs coiffures. On a par ailleurs des représentations de femmes conduisant des chars à b?ufs, preuve de leur participation aux travaux qu'on pensait réservés aux hommes, mais des fouilles effectuées en Libye (Aoues) font ressortir à maintes reprises que des femmes armées d'arcs et de flèches conduisaient même des chars de guerre.
Pour ce qui est de l'Antiquité, la période romaine en particulier, l'historienne discerne les femmes de statut romain venues d'Italie, des Africaines issues soit de familles ayant déjà obtenu la citoyenneté par l'un de leur ascendant grâce aux liens du mariage, ou alors des familles africaines romanisées. La période romaine regorge de traces écrites ou imagées, et l'universitaire algérienne énumère une panoplie de statuts de femmes ayant accédé à des fonctions diverses, allant des arts (musiciennes, danseuses), à la médecine, en passant par la littérature et même la religion.
Elle distingue évidemment la période païenne de celle marquée par l'avènement du christianisme et donne l'exemple de Monica (qui, pour elle, est un prénom berbère), mère chrétienne d'Augustin qui, lui, n'a embrassé le christianisme qu'à un âge avancé. L'intérêt pour l'intervenante est que celui qui allait devenir le pilier essentiel du christianisme occidental a laissé une description très riche des m?urs de son temps avant et après être devenu évêque. Mais elle sait également que des pans entiers de la société sont restés en dehors du système romain, d'où son inclusion des «pérégrines». Le statut des femmes n'est pas le même sous toutes les sphères (religieuses, politiques, sociales) et Nacéra Benseddik a su les différencier. Certaines personnalités ont quand même marqué de leur empreinte les régions où elles ont évolué.
Telle femme a construit un théâtre, telle autre a mis sa richesse au service de sa communauté pour participer à l'effort de guerre, etc. D'autres sont connues pour avoir le statut d'oracle ou de devineresses et l'historienne atteste qu'on a des traces des anciens guerriers qui allaient consulter une femme dans le fin fond du désert libyen. Ceci en dehors du cas connu de Dihya, exemple par lequel elle clôt son intervention.


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