Algérie

« Les femmes ne doivent plus tolérer que des hommes soient mieux considérés en termes de responsabilités politiques »


Dans cet entretien, Saïda Benhabyl-ès, ex-ministre et présidente de l'association nationale de la femme rurale estime les femmes algériennes conscientes et qu'elles sont désormais une carte politiquement gagnante. Une situation dont elles doivent profiter pour gravir les échelons politiques et ne plus se contenter « de miettes ». Elle va jusqu'à leur suggérer de monnayer leurs candidatures et leur soutien, afin de ne plus permettre aux partis de les rejeter une fois les élections passées.Pensez-vous que la femme algérienne est épanouie politiquement '
Il faudrait que les gens se mettent en tête que la femme algérienne fait exception par rapport aux femmes du monde. Parce qu'elle n'a pas attendu pour qu'on lui décrète ses droits pour qu'elle contribue à la vie politique du pays. L'histoire confirme mes dires et ce, depuis l'occupation française. Je cite l'exemple de Lala Fatma N'soumer qui a pleinement joué son rôle de femme politique lors de la guerre de Libération nationale. Pendant les manifestations du 8 Mai 45, le fait de sortir dans les rues, de risquer sa vie pour l'Algérie est une manière de faire de la politique. Il s'agit d'une expression politique du refus du colonialisme. C'est pareil, pendant la résistance contre le terrorisme. Ce sont tous ces sacrifices qui ont poussé les législateurs algériens à inclure les droits de la femme algérienne dans la loi fondamentale du pays. Maintenant, sur le terrain, on n'a jeté aux femmes que des miettes. Je dis humblement, que la femme algérienne mérite mieux par rapport aux sacrifices consentis. J'estime que les acquis politiques restent insuffisants. J'avoue que l'article 31 bis constitue une avancée, mais reste son application sur le terrain. Je suis désolée de voir certains partis politiques mettre des femmes sur des listes comme des faire-valoir. Le fait d'obliger les formations politiques à impliquer les femmes dans les listes électorales est, certes, un acquis, mais il faut bien l'appliquer. Je précise que je suis contre le fait de le faire par féminisme. Il faut raisonner en termes de compétence, de poids au sein de la société et de crédibilité.
Justement, comment jugez-vous l'intérêt soudain porté par certains partis politiques à l'électorat féminin '
J'ai tout le temps dénoncer cela, même auprès des femmes. Il faut qu'elles comprennent qu'elles sont une carte gagnante. Les partis utilisent leurs voix avant de bafouer leurs droits. Ils veulent arriver au pouvoir sur le dos des femmes avant de piétiner leurs droits. Ce qui est inacceptable. Cela se passe toujours ainsi. Je déplore le fait que les femmes n'ont toujours pas compris cela. Ce qui justifie mon appel à monnayer leur adhésion et leur soutien aux partis politiques. Il existe de nombreuses compétences féminines dans tous les domaines et ceux qui disent le contraire se trompent. Mais si elles refusent de faire le pas, c'est assurément parce que le parti n'est pas crédible. Elles ont le droit de choisir les partis qui les arrangent parce qu'il y va de leur réputation aussi.
Mais comment expliquer la crainte des femmes à s'engager dans la sphère politique '
Je pense qu'elles ont vu que celles qui s'y sont engagées ont eu beaucoup de difficultés. J'ai souvent affirmé qu'on ne nous prend jamais au sérieux. On ne tient pas compte de nos analyses, ni de nos suggestions. On est encore considérées comme quantité négligeable, et cela est mauvais. Cet état de fait n'encourage pas la relève. Les femmes doivent s'imposer. Elles ne doivent pas accepter d'adhérer à un parti politique, si elles n'ont pas de garanties basées, évidemment sur la compétence. Les femmes ne doivent plus tolérer que des hommes soient mieux considérés, en termes de postes de responsabilités, notamment au sein des instances suprêmes des formations politiques. Il faut qu'elles soient jugées en fonction de leurs compétences au même titre que les hommes. Il s'agit d'un combat de longue haleine. Tout se passe au sein de l'hémicycle. C'est là où la femme doit s'affirmer, en vue d'apporter sa pierre au travail législatif. Suite à cela, il faudrait faire pression pour qu'elles soient présentes aux postes de décision et même au sein du gouvernement, quoique, on ne puisse pas mesurer le poids politique des femmes par rapport aux postes qu'elles occupent dans l'exécutif. Cela peut être de la poudre aux yeux.
Etes-vous favorable au système des quotas '
C'est un passage obligé. Attribuer un taux de 30% aux femmes n'est pas suffisant, mais cela reste un début. Si ce début est bien engagé, et si ces 30% sont véritablement représentatifs des femmes et de leurs préoccupations, on ira de l'avant. Si ces 30 % de femmes font preuve d'incompétence sur le terrain, en se laissant guider par ces politiques, on ne peut pas avancer. Au contraire, ce choix va virer à l'échec et il sera même remis en cause.
Quelles seront les retombées d'une éventuelle montée des islamistes en termes de droits féminins '
Je me bats depuis les années 80 contre cela. Il y a plusieurs manières de les contrecarrer. Premièrement, il faut que les gens aillent voter en force le 10 mai prochain. Il faudra que les Algériennes et les Algériens soient conscients de l'importance de l'enjeu. On n'a quand même pas payé un lourd tribut pour que la violence l'emporte. Cela dit, il ne faut surtout pas aller aux urnes en rangs dispersés. A cet effet, j'interpelle les autorités concernées pour qu'une enquête approfondie concernant le financement étranger de certains partis politiques. Les gens partagent ma préoccupation. Je ne comprends pas, qu'à la veille des élections, certains responsables de partis effectuent des tournées au Qatar, en Jordanie, en Turquie, etc. Il est très important de mettre au clair cette question et s'il s'avère que ce financement est réel, il faut absolument que ces responsables soient sanctionnés. Il existe aussi un problème de communication qui m'inquiète, car le peuple n'arrive toujours pas à faire le distinguo entre l'Islam modéré et l'islamiste modéré. Nous sommes un pays où la Constitution consacre dans son article 2 que l'Islam est la religion de l'Etat. Le peuple algérien est musulman de père en fils depuis des siècles et aujourd'hui, les Occidentaux nous imposent une nouvelle appellation. Ces gens là peuvent exploiter les problèmes sociaux et l'argent qu'ils ramènent pour acheter des voix, parce qu'ils se sentent fort grâce à l'appui étranger. Le choix doit être fait par le peuple algérien et non pas par l'Occident.
En termes de législation, les textes de lois répondent-ils réellement aux attentes des femmes algériennes '
Moi ce qui m'intéresse ce sont les modalités d'application. La loi c'est une chose et la réalité en est une autre. La responsabilité incombe, non seulement aux partis politiques, mais aux femmes aussi. Il faudrait qu'elles apprennent à monnayer leur adhésion dans un parti politique et leur place sur les listes électorales pour s'imposer politiquement. Chose que les femmes ne font pas suffisamment.
De nombreuses voix ont critiqué le Code de la famille. En faites-vous partie '
Oui, effectivement, c'est un sujet qui a fait couler beaucoup d'ancre. Le projet, reste dans son état, tant qu'on n'a pas élaboré un projet de société dans ce sens. Le politique évite de parler de projet de société. On va voir après les élections, s'il faut le modifier ou le garder tel quel. Un projet de société engage tout le monde. Je pars du principe que la femme est un élément essentiel au sein de la société algérienne et on ne peut pas dissocier les droits de la famille et sa stabilité et les droits de la femme. La cohésion sociale dépend des droits de la femme, de l'enfant, de la personne âgée, de la personne handicapée...etc.
Quel message adressez-vous aux femmes à l'occasion de la journée internationale de la femme '
Ce 8 mars nous le célébrons alors que l'Algérie traverse un virage à la fois dangereux et décisif. On est en pleines réformes qui vont permettre à l'Algérie d'approfondir le processus démocratique dans un environnement régional qui nous est hostile, et qui menace la stabilité de notre pays. La solution est entre nos mains. Le peuple algérien doit contribuer à la sauvegarde de la stabilité de son pays, à travers une participation massive aux élections législatives du 10 mai prochain. Ces élections ne sont pas comme les précédentes, car elles ne se déroulent pas dans la même conjoncture. Il faudrait que les gens comprennent que leurs voix sont très importantes pour l'avenir du pays et de leurs enfants. Il faut accomplir ce devoir pour préserver les acquis de la révolution de Novembre 54 et pour que les sacrifices de la tragédie nationale ne soient pas vains. Il faut voter pour la stabilité et la paix de l'Algérie et pour la non-ingérence étrangère.
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