Algérie

Les femmes interdites de sortir



La superficialité avec laquelle la question de la promotion de la femme est traitée n’est pas à démontrer. Elle s’apparente aussi à des manœuvres conjoncturelles visant à faire oublier l’essentiel des revendications et à donner à l’extérieur l’image d’un pays ouvert. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on accorde aux femmes des quotas plus importants sur le plan de la représentativité politique, mais on leur bloque l’accès au monde du travail. A quoi servirait une APN féminisée si les électrices censées choisir leurs représentantes n’ont même pas le droit de disposer d’elles-mêmes. La femme risque aujourd’hui d’obtenir une promotion de façade, puisqu’elle ne dispose même pas des mêmes chances pour obtenir un poste de travail. Le travail de nuit est toujours interdit aux femmes en Algérie. Hormis les quelques secteurs d’activité qui font exception  comme c’est le cas pour le corps médical, la radio et la télévision, elles ne peuvent être recrutées pour le travail d’équipe (3x8) adopté par la majorité des entreprises économiques qui ont des capacités appréciables de recrutement. A l’origine, ce texte a été élaboré en Europe pour renforcer les mesures de protection des femmes et des enfants de l’exploitation pratiquée par les industriels. Une convention internationale ratifiée par l’Algérie préconise aujourd’hui l’adaptation de ce texte conformément aux mutations qu’ont connues les sociétés. En Algérie, ce texte de loi est explicite pour les recruteurs : il est interdit d’employer des femmes pour le travail nocturne sans une dérogation spéciale de l’inspection du Travail. «Imaginons un patron d’entreprise courir derrière la paperasse nécessaire à chaque fois qu’une femme doit être recrutée pour cette tranche horaire.»  Si les ouvrières manifestent peu de frustration concernant cette disposition, les diplômées, elles, crient à l’exclusion. «C’est une exclusion déguisée du marché du travail», comme le voit le collectif des chômeurs. Les diplômées des filières industrielles, ingénieurs, techniciennes et titulaires de DEUA, n’ont aucune chance un jour de décrocher le travail pour lequel elles ont trimé des années à la fac. Soumeya, la mort dans l’âme, raconte comment un responsable d’une usine, située à l’est d’Alger, avait toutes les peines pour lui expliquer cette situation. «J’ai répondu à une annonce, et j’ai été  convoquée par une boîte en plein essor. Le  directeur des ressources humaines (DRH) pensait que je répondais parfaitement au profil recherché pour le poste de laborantin.»
Aberration
«L’entreprise ne pouvait avoir meilleur candidat, biologiste, diplômée de l’USTHB et des connaissances non négligeables dans le domaine de l’activité et sur le processus adopté. Ceci, grâce aux stages effectués un peu partout. C’est une fois que je devais être reçue par celui qui aurait pu être mon responsable que je découvre que je ne peux pas être recrutée, car je suis une femme.»  Soumeya retient ses larmes. «Le responsable était gêné de me dire que je ne pouvais pas être recrutée, car l’entreprise travaille au 3x8 et que les laborantins font un travail d’équipe. Mademoiselle, me dit-il :’C’est interdit, et c’est le cas partout’. En guise de consolation, le responsable en question  m’a conseillée de postuler pour un travail d’assistante ou de secrétaire, d’ailleurs largement disponible dans le même secteur», fulmine-t-elle. Fatiha, 32 ans, est ingénieur en automatisme. Elle est à la recherche d’un poste d’automaticienne depuis sa sortie de la fac. «C’est toujours la même histoire. On vous laisse effectuer un stage, on vous enseigne tous les détails du terrain,  mais dès qu’il est question de demander à être recrutée, ils nous sortent ce texte de loi. C’est une discrimination.» Les déçues, qui ne s’expriment qu’à titre personnel en l’absence d’un collectif ou d’une association pour parrainer leur cause, se demandent pourquoi les pouvoirs publics n’ont pas tout simplement exclu les filles des filières industrielles à l’université.  «C’est pour avoir ensuite des chômeurs diplômés  à vie '», ironisent-elles. Le collectif des chômeurs dénonce cette forme de «discrimination» et appelle à la révision dudit texte qui «n’est pas du tout compatible avec la Constitution qui consacre la légalité (…)  De quel droit veut-on priver des compétences féminines d’un poste de travail, si ces femmes ont la possibilité et les conditions sociales leur permettant d’effectuer un travail de nuit '», s’interroge Samir Larabi, porte-parole du collectif des chômeurs. Et d’enchaîner : «Cette clause de la loi empêche une partie des diplômés de trouver un poste dans la filière étudiée. Ces femmes frustrées risquent de l’être encore davantage en restant plus longtemps sans emploi». Même les entreprises n’ont pas de chance de recruter  plus de compétences et de personnels qualifiés. Selon un directeur d’une filiale d’une société à dimension internationale, «ce n’est pas uniquement les postulantes aux postes techniques qui sont lésées, même les employeurs se trouvent privés de compétences rejetées par cette loi. Au lieu de recruter, par exemple, des ingénieurs ou des techniciennes diplômées, plusieurs entreprises se résignent à employer des travailleurs  non qualifiés, puisqu’il n’y a pas eu de postulants ingénieurs masculins. Et c’est sans gaieté de cœur qu’on oppose un refus pour la candidate qu’on aurait souhaité privilégier au non-diplômé, si ce n’était ce texte de loi», a-t-il souligné. Pour Mme Haddad, chef d’entreprise et militante féministe, cette discrimination existe bel et bien. C’est une aberration pour les femmes en quête d’une carrière professionnelle et pour l’entreprise qui doit recourir à d’autres solutions pour pallier à ce manque.
à quand une femme à la tête de Sonatrach '
«Beaucoup d’employeurs ne pouvant pas retenir le personnel féminin pour une besogne au-delà de 21h, quand il y a une grosse pression (délai proche de la remise d’une commande, panne imprévue) se trouvent obligés de ne pas déclarer ce travail nocturne. Les architectes ou autres compétences sont donc confrontés à exercer au noir et avec leur consentement», révèle Mme Haddad, qui a représenté une organisation patronale lors d’une tripartite. Cela reste contradictoire avec tous les principes d’égalité et des projets d’émancipation ratifiés par notre pays, estime-t-elle. Cette discrimination, à laquelle veut remédier le chef de l’Etat avec la promotion de la femme, est plutôt encouragée par l’exclusion de la gent féminine des postes de responsabilité. A-t-on déjà vu une femme à la tête de Sonatrach, de Sonelgaz, d’Air Algérie ' Combien de femmes ont occupé le poste de ministre avec un portefeuille important ' Le Président oserait-il, par exemple, nommer un Premier ministre femme ' Ce sont hélas, des réalités qui trahissent la volonté de maintenir encore la femme à «un rang» inférieur. Pourtant, des femmes responsables dans des entreprises ont réalisé des miracles, mais n’ont jamais obtenu de promotions conséquentes. «Toute la volonté et les efforts déployés par le premier magistrat du pays, pour obliger les partis politiques à promouvoir la place de la femme, n’auront jamais les résultats escomptés, si lui-même en tant que premier responsable du pays ne procède pas à un tel pas», juge Mme Haddad. Cette dernière craint que le «recrutement» des femmes pour les listes des partis politiques se fasse uniquement pour satisfaire une décision liée à la légalité du parti plutôt qu’à la promotion de ces femmes en tant que militantes convaincues. Au-delà du caractère non démocratique de cette démarche des quotas, décriée par les femmes politiques elles-mêmes, l’on craint d’obtenir juste une promotion «de façade». Avec ce type de promotion, résume notre interlocutrice, il n’y a aucune chance que les problèmes rencontrés dans le domaine du travail soient pris en considération ou transmis à qui de droit.
La «complicité» de l’inspection du Travail
L’UGTA dénonce le caractère «discriminatoire» de l’application des dispositions relatives à la législation du travail. «Je ne pense pas que ce soit la loi qui est discriminatoire, puisqu’elle endosse un rôle à l’inspection du Travail pour encadrer cette tâche, mais c’est la négligence des aspects de son application qui génère des pratiques discriminatoires», précise Mme Rahmani, membre de la commission exécutive de l’UGTA et représentante de la commission des femmes. Les femmes syndicalistes dénoncent aussi la déviation du texte de son vrai sens. Ainsi, à en croire Mme Rahmani, les patrons trouvent des prétextes uniquement pour éviter de recruter du personnel féminin. Le silence des postulantes encouragerait ce genre de pratiques. «Nous n’avons jamais eu écho de femmes candidates à des postes de travail aux horaires de nuit, refoulées parce que femmes. Ce manquement doit être sanctionné par l’inspection du Travail. Nous sommes prêtes à accompagner les dossiers de ces candidates pour les poursuites devant les tribunaux», menace Mme Rahmani. Ce texte est inspiré des conventions universelles dédiées à la protection des femmes et des enfants, considérés comme étant des couches fragiles à protéger vu l’explosion de l’industrialisation, notamment en Europe. Les pays européens ont élaboré des textes pour éviter que les ouvrières fassent objet d’exploitation sauvage. Des dispositions ont été prises pour la protection particulière des femmes enceintes et des mères de famille. C’est ainsi que des conventions ont été ratifiées par la majorité des pays, dont l’Algérie qui a élaboré des lois, dans ce sens dès l’indépendance. L’Organisation internationale du travail (OIT) a, plus tard, saisi les gouvernements pour ratifier des conventions consacrant l’égalité des chances d’accès au travail. C’est une «régression» en matière de respect de la législation du travail, selon la présidente de cette commission, Mme Soumeya Salhi, qui est également coordinatrice du groupe de travail intitulé «Stop à la discrimination, les droits aux femmes maintenant». Le travail de la commission des femmes doit aboutir à une décision qui définit clairement la nomenclature des fonctions interdites aux femmes et à une refonte du cadre juridique concernant cet aspect du travail «pour mettre fin aux exactions pratiquées au nom d’une loi censée protéger les personnels féminins», précise Mme Salhi. Le Snapap, tout en dénonçant cette «ségrégation», fustige les pouvoirs publics qui maintiennent le flou par rapport à l’application du texte.


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