Algérie

Les femmes entre Discrimination et inégalités



Les femmes entre Discrimination et inégalités
L'accès des femmes au marché de l'emploi s'est accéléré ces vingt dernières années. Les Algériennes s'imposent dans le monde du travail, dans le marché informel particulièrement. Mais derrière les chiffres en hausse, la précarité, les discriminations, le plafond de verre, le harcèlement moral et/ou sexuel? Les Algériennes subissent et s'accrochent.Hassina a dû implorer, supplier pour avoir le droit de travailler après s'être mariée : «Je suis diplômée en droit et je ne voulais pas rester à la maison.» Il a refusé. «Tu n'as rien à faire dehors», répétait sèchement son mari. Six ans plus tard, la donne a changé. «Nous avons deux enfants et son salaire ne suffit pas.» Il a accepté que Hassina, 30 ans, travaille comme nourrice dans une petite crèche de quartier, à Alger. Ce sera ce job et aucun autre. Elle n'est pas déclarée à la Sécurité sociale, mais elle gagne 22 000 DA par mois. «Je sors de chez moi, je m'occupe et je vois du monde», s'enthousiasme-t-elle.Hassina, comme tant d'autres femmes, est venue gonfler cette année encore les chiffres de la participation des femmes à l'activité économique. Le taux d'activité économique des femmes en Algérie ? 14,9% en septembre 2014 ? a triplé en vingt ans. Les Algériennes sont de plus en plus nombreuses à s'instruire et à travailler.Une récente enquête de l'ONS révèle que 44,4% des salariés de sexe féminin ont un niveau universitaire, contre 10,7% seulement pour les salariés masculins. Pourtant, le «plafond de verre» entrave leurs carrières. Elles n'accèdent que très difficilement, voire rarement à une évolution de carrière normale, à des postes-clés ou à responsabilité.Pis, elles alimentent, dans leur grande majorité, le marché informel où elles sont soumises à une grande précarité. «Le taux de femmes dans l'informel est estimé, en moyenne nationale en mars 2014, à 71,4%, selon la définition de la Banque mondiale. Le taux le plus important est dans les services : près de 97% de femmes travailleuses ne sont pas affiliées à la Sécurité sociale. Dans la manufacture, le taux est évalué à 80%. Peut-on parler ainsi d'une évolution positive de la femme sur le marché du travail '» se demande M. Saib Musette, directeur de recherche au Cread.«Voleuses d'emploi»«Mon mari veut me protéger», justifie Hassina qui, au lieu d'exercer le droit, garde des enfants dans une crèche. «Les femmes qui travaillent dans des entreprises subissent beaucoup de pressions et prennent des risques», ajoute-t-elle. Elles sont effectivement nombreuses à se plaindre : violences, intimidations, harcèlement moral et sexuel? Même si la société change de visage grâce à une économie de plus en plus libéralisée et à des femmes de plus en plus déterminées à exister dans le domaine public, les coutumes et le conservatisme ont la peau dure. L'accès des femmes au marché du travail s'est accéléré ces vingt dernières années. Mais pas assez, semble-t-il. 36,3% des femmes inactives sont diplômées de l'enseignement professionnel, 16,8% ont des diplômes universitaires.Ce qui amène Mohamed Saib Musette à penser que «l'entrée des femmes dans le monde du travail reste encore timide en rapport avec les taux relevés chez nos voisins (Tunisie et Maroc) qui partagent les mêmes cultures et traditions que l'Algérie». «Les freins à l'entrée des femmes ne peuvent être ramenés ainsi à des pesanteurs sociales», ajoute-t-il. Le spécialiste y voit deux contraintes majeures : «D'autres études plus approfondies doivent être conduites pour relativiser les données globales et il nous faut des mesures positivement discriminantes pour faciliter l'accès des femmes diplômées à l'emploi.»Sarah, 35 ans, a été commerciale dans une multinationale pendant six ans, avant de s'installer à son compte. «Je devais toujours en faire plus que mes collègues hommes. C'était une lutte quotidienne», raconte-t-elle. «J'ai travaillé durant deux ans comme une acharnée pour avoir une promotion.» C'est un homme, moins qualifié et moins expérimenté qu'elle, qui l'a obtenue. «Ensuite, j'ai travaillé sous ses ordres, c'était frustrant.C'est toi qui rédige les rapports et c'est lui qui les présente à la direction et après, quand tu sors dans la rue, on t'insulte et on t'accuse de voleuse de travail. L'Algérie devient un terrain hostile aux femmes», s'emporte-t-elle. Le pire, elle l'a vécu bien plus tard, lorsque le responsable financier s'est mis à laisser des mots doux sur son bureau et à l'approcher de trop de près. Silence, on harcèle ! «Je n'ai pas pu me plaindre parce qu'il se trouve que le directeur aussi était connu pour avoir un penchant pour les jeunes femmes, je n'ai pas voulu lui donner le plaisir de me recevoir dans son bureau», raconte la jeune femme. Sarah en a parlé à un policier, contacté de manièreinformelle : «Akhtik (Laisse tomber), ne dépose pas plainte, ils vont salir ta réputation et tu ne pourras jamais prouver quoi que ce soit !» Sous la pression et le stress, Sarah finit par démissionner. Depuis, elle s'est lancée à son compte. «Je suis patronne de moi-même et j'ai la paix», commente-t-elle dans un sourire.Beaucoup de femmes n'ont pas cette chance. Au réseau Wassila, des femmes viennent se plaindre de violences subies sur leur lieu de travail. Celles qui osent déposer plainte sont rares ou font face au rejet. «Nous avons reçu un appel d'un groupe de lycéennes victimes de harcèlement et même d'abus sexuels de la part de leur proviseur.Leurs parents ont déposé plainte, mais l'agresseur était défendu par sa communauté, qui a menacé les parents», raconte Dalila Djerbal, sociologue et membre du réseau Wassila.Autre cas édifiant, qui a particulièrement retenu l'attention des militantes, l'histoire d'une femme de ménage victime de harcèlement de la part du DRH d'une grande entreprise de transport. Jour après jour, elle a appris à résister aux avances et aux menaces de licenciement en silence.Dans son tourbillon de stress et de peur, elle a fini par réaliser que les années passaient et qu'elle en devenait malade. La jeune femme a développé une dépression nerveuse et un diabète, mais a continué de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille. Avec le soutien du réseau Wassila, elle a fini par déposer plainte.Au bord de l'épuisement«Nous avons décidé, au réseau Wassila, de la soutenir par un courrier à cette entreprise et au ministère des Transports pour dénoncer cet individu. Le ministère a accusé réception du courrier et n'y a jamais répondu, mais l'entreprise a refusé le courrier, protégeant ainsi le responsable de ce délit condamné par la loi pénale n°341 bis». explique encore Dalila Djerbal. Une histoire parmi tant d'autres.Pour le sociologue Nordine Hakiki, «la société algérienne fonctionne avec une mémoire collective aux valeurs inversées». «L'inconscient social algérien qui puise ses valeurs dans le Coran ne donne paradoxalement pas de valeur à la femme.On assiste donc à une accumulation d'injustices, de violences et de dépréciation subies par la femme autant dans le monde du travail et dans la rue que dans les foyers, qui relèvent du domaine psychiatrique», ajoute le sociologue.Mahmoud Boudarène, psychiatre et docteur en sciences biomédicales, pense justement que les Algériennes sont soumises à un exercice psychologique complexe. «Il ne faut pas oublier que la société algérienne est machiste et que la femme reste ? avec la ??bénédiction' de l'ordre social et institutionnel ? confinée dans un statut qu'elle trouve très étroit.Si elle peut avoir accès ? la Loi fondamentale de notre pays l'y autorise ? à des fonctions importantes, il n'en demeure pas moins que le code de la famille contrarie ce destin en faisant d'elle une mineure», explique le spécialiste. «Il n'est pas aisé pour elle d'assumer un statut de mineure et/ou d'épouse soumise en étant magistrate, avocate ou encore ministre», ajoute-t-il. Il y voit un jeu d'équilibriste qui mène forcément à «l'épuisement» puis à l'effondrement psychologique.




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