Algérie

Les femmes en lutte contre la misère


C'est en substance la conclusion à  laquelle a abouti une enquête socioéconomique diligentée par l'équipe du Cread que j'ai eu le privilège de conduire en tant qu'agroéconomiste attachée de recherche auprès de cette institution.   
Dans cette contrée rurale dépendant de la daïra d'Aflou, située à  l'ouest de la wilaya de Laghouat, la dégradation des conditions de vie paraît, en effet, irréversible, notamment, pour ce qui justifiait la présence même de ces populations en ces lieux, à  savoir l'eau et les parcours steppiques supports d'élevage ovins et de cultures vivrières.  
Les enquêteurs ont sillonné pas moins de 12 localités composant la commune Hadj Mechri en interrogeant une femme de chacun des 68 ménages visités. L'échantillon suffisamment représentatif de 17%, ainsi atteint, permet de révéler les amères réalités suivantes : les femmes, dont l'âge varie entre 19 et 70 ans, sont à  75% analphabètes). Plus de 95% d'entre elles sont mariées et leur quotidien entièrement centré sur les tâches domestiques puisque  100% d'entre elles ont clairement affirmé n'avoir jamais participé à  un quelconque projet de développement. La structure sociale de la commune atteste tout de même de l'existence d'une forte cohésion sociale, sans doute due à  son appartenance à  un même arch et à  sa descendance du Saint Sidi-Naceur.
 Un certain nombre de familles enquêtées vit toutefois, depuis le début des années 1970, une notable transition de la vie nomade à  la vie sédentaire. Et même s'il est juste de relever que grâce à  l'intervention publique 100% des ménages bénéficient depuis 1990 de l'électricité, il n'en demeure pas moins, que l'ensemble des ménages continue de se chauffer au bois ou au gaz butane quand il est disponible dans les points de vente.  La tendance à  la sédentarisation et le changement du mode de vie qu'elle implique c'est, selon le constat des enquêteurs, déjà traduite par une augmentation des besoins en eau des ménages. La tâche de l'approvisionnement en eau est dévolue aux hommes qui ramènent le précieux produit des rares sources encore en activité jusqu'à leurs demeures. Une fois parvenue à  domicile, la gestion de l'eau devient alors l'affaire des femmes. Toutefois, les enquêteurs précisent que si ces dernières ont effectivement accès  à  l'eau, cet accès reste néanmoins soumis à  certaines conditions. Elles ne peuvent effectivement accéder librement à  l'eau que dans deux cas bien précis : quand le puits est à  l'intérieur du Haouch et seulement en période de lavage de laine. Accompagnées d'un homme, et seulement à  cette condition, ces femmes peuvent puiser de l'eau dans les oueds et puits traditionnels environnants où les eaux sont généralement de très mauvaise qualité, car chargées de particules de terres et autres particules génératrices de maladies infectieuses.
Telle qu'organisée la relation du ménage de Hadj Mechri à  l'eau est, à  l'évidence, de nature augmenter la dépendance des femmes vis-à-vis des hommes. L'insuffisance d'approvisionnement en eau entrave le bon déroulement de leurs activités, aussi bien  domestiques que marchandes. Pour laver 1 kg de laine, il faut au minimum 30 litres d'eau, tandis que la production d'un tapis incorporant 60 kg de laine requiert pas moins de 1800 litres. C'est dire l'importance du volume d'approvisionnement en eau que l'homme doit quotidiennement assurer à  son ménage pour permettre aux femmes d'accomplir correctement les différentes tâches domestiques et artisanales qui leur sont dévolues.
Mais en dépit de cette dépendance vis-à-vis des hommes, les femmes rurales de Hadj Mechri tentent, tant bien que mal, de gagner davantage d'autonomie en s'affiliant à  des réseaux de commercialisation d'articles artisanaux strictement féminin. L'acquisition au moyen de l'apprentissage de savoir-faire artisanaux reste plus compliquée, leur permettant d'écouler des produits à  plus forte valeur ajoutée sur les marchés urbains, est l'autre moyen déployé par ces femmes en quête de revenus complémentaires pour améliorer le quotidien.  Et enfin, notent les enquêteurs, il existe chez ces populations, notamment sa composante féminine, une réelle volonté de progrès social, prenant appui la scolarisation des enfants, y compris, celle des filles aujourd'hui fort nombreuses à  fréquenter les écoles, même si rares sont celles qui auront le privilège de dépasser le niveau primaire, en raison de l'éloignement des établissements d'enseignement secondaire.  Ce n'est évidemment pas le cas pour les garçons qui peuvent changer de wilaya, pour accéder au collège et lycée, en étant hébergés lorsque l'établissement ne dispose pas d'un  internat  chez des parents résidents dans des wilayas limitrophes comme, par exemple, ElBayadh. L'enquête a mis en évidence que ces femmes rurales croient sans doute plus que les hommes, que la réussite scolaire est une opportunité qu'il est nécessaire de saisir pour fuir la misère. Elles étaient unanimes à  affirmer qu'elles étaient prêtes à  tous les sacrifices pour accorder à  leurs enfants, notamment à  leurs filles, cette possibilité qu'elles n'avaient pas eu la chance d'avoir.
  - Yacoubi Yasmina. Attachée de recherche au CREAD
 
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