La situation sécuritaire en Algérie qui est loin d'être stable, la maladie du Président qui fragilise la vie politique, le paiement des rançons et l'environnement régional... L'experte analyse la situation.- L'Algérie travaille avec acharnement pour une résolution de l'ONU criminalisant le paiement de rançons à des groupes terroristes. La proposition de l'Algérie est soutenue par Washington, qu'en pensez-vous '
L'Algérie, pays très actif au sein des instances internationales, a déjà fait passer une telle résolution auprès de l'Union africaine avec succès. Je ne sais pas dans quelle mesure une telle résolution au niveau de l'ONU pourrait être appliquée et applicable du fait que chaque Etat qui ferait face à des enlèvements pourra toujours se prévaloir de sa souveraineté pour prendre une décision unilatérale sans en faire état publiquement. Les exemples passés (Espagne) illustrent cette capacité des Etats à négocier et régler à huis clos le sort de leurs ressortissants victimes de kidnappings. D'autres, en revanche, ont fait le choix de ne jamais négocier avec les terroristes depuis longtemps, comme la Grande-Bretagne. Par ailleurs, les rançons ne sortent pas forcément des caisses de l'Etat, mais peuvent provenir de fonds privés. On peut très bien concevoir que les Etats font et continueront de faire appel à de tels fonds privés pour parer au plus pressé, pour ne pas apparaître comme le donneur d'ordre, et rembourser leur dette à travers des mécanismes financiers nationaux aux pourvoyeurs de fonds. Ce serait une manière pour les Etats de détourner discrètement la résolution onusienne sans être incriminés.
- A l'heure où le Sahel est un territoire de trafics juteux, notamment d'armes et de drogue, soutenu par un important financement du Qatar aux groupes islamistes, une telle interdiction porterait-elle vraiment ses fruits '
La résolution voulue par l'Algérie pourrait se heurter au refus de certains pays étrangers qui ont des intérêts dans la zone. Il faudrait savoir ce que «criminaliser» le paiement de rançon signifie exactement et quelles sont les sanctions prévues en cas de non-respect : une pénalité financière, un jugement devant la CPI, l'exclusion d'une instance internationale ' Le cas du Qatar est particulier dans la mesure où il soutient financièrement et logistiquement plusieurs brigades et groupes islamistes en Libye : il ne devrait donc pas subir les conséquences des actions criminelles de la part de ces groupes armés. En tout cas jusqu'à nouvel ordre.
- L'Algérie, qui est actuellement entourée de pays en guerre et en conflit, est-elle menacée dans sa stabilité '
L'environnement régional de l'Algérie est effectivement agité par les conséquences de ce qu'on appelle communément le «printemps arabe». Les menaces bien réelles concernent la circulation d'armes légères et lourdes dont certaines ont permis la militarisation croissante de plusieurs groupes islamistes, l'explosion du trafic de drogue, notamment avec le vide sécuritaire libyen, et de celui des êtres humains en provenance d'Afrique subsaharienne. Pour preuve : les caches d'armes trouvées il y a quelques jours à Illizi (dont des missiles sol-air), la sanctuarisation d'AQMI et autres groupes extrémistes dans le sud de la Libye et à la frontière tunisienne dans le djebel Chaambi. Au plan régional, l'Algérie a tardé à réagir à la suite des soulèvements dans les pays voisins. Elle a mis du temps à prendre des mesures adaptées dans le Sud de son territoire : déploiement de forces aux frontières, maillage du territoire par la création de nouvelles régions militaires, modernisation et professionnalisation des forces armées, amélioration des conditions salariales des militaires et surtout prise en main de la lutte contre la drogue par l'ANP. Ce retard dans la réaction, et en l'absence d'anticipation, explique les attaques contre les casernes de gendarmerie à Tamanrasset et à Ouargla en mars et juin 2012, et plus encore l'attaque contre le site gazier de Tiguentourine qui a pu avoir lieu alors que les signes avant-coureurs d'une opération de grande envergure étaient visibles plusieurs mois auparavant. En effet en novembre 2012, soit deux mois avant la prise d'otages à In Amenas, une katiba de douze personnes a été démantelée dans le sud de l'Algérie (*). Baptisée «Mouvement du Sahara pour la justice islamique», ses membres projetaient des attentats contre les installations pétrolières dans le Sahara. Elle exigeait des négociations pour l'indépendance du Sud algérien. La katiba était alors dirigée par Mohamed Lamine Bencheneb, l'un des sous-lieutenants de Mokhtar Belmokhtar, tué lors de la contre-offensive des forces algériennes à Tiguentourine. Au plan intérieur, on peut dire que la situation régionale ne fera qu'aggraver l'insécurité qui règne dans le pays, au nord comme au sud, et que les opérations terroristes sont loin d'être terminées. L'Algérie reste une cible de choix pour les terroristes.
- L'Algérie a-t-elle réussi à garder sa «stabilité» dans des circonstances aussi critiques ou a-t-elle pu acheter une paix sociale '
De quelle stabilité parle-t-on ' Les événements que je viens de citer ne sont pas encourageants et sont loin d'être des signes de stabilité. L'insécurité règne encore dans plusieurs régions et la violence remplace souvent la médiation et les anciennes relations sociales. Quant à la stabilité politique, elle est pour le moins fragile et relative dans la mesure où une grande incertitude règne sur la santé du Président, et donc sur le futur proche du pays, jusqu'aux élections de l'an prochain.
- Comment expliquez-vous l'absence d'une pression internationale quant au respect des droits de l'homme et des libertés des personnes '
Il y a une grande omerta internationale sur les libertés en Algérie qui tient au fait que le pays bénéficie de la complaisance de plusieurs puissances alliées, même si elles ne sont pas dupes de la situation interne. Ces puissances, principalement les Etats-Unis et la France, voient dans l'Algérie un partenaire indispensable, non seulement dans la «guerre globale contre la terreur» initiée par George Bush, mais aussi en termes d'approvisionnement en hydrocarbures. Les Américains croient dur comme fer que l'Algérie doit jouer un rôle plus proactif dans la région et, pour ce faire, ils lui ont proposé de partager leurs renseignements obtenus de leurs drones (base du Niger). Ce qui convient tout à fait au gouvernement algérien. Etant donné que les autres alliés tels El Gueddafi et Ben Ali ont été éliminés de la scène maghrébine, les acteurs étrangers ne peuvent plus compter que sur ceux qui restent, à savoir l'Algérie et le Maroc. Le silence qui entoure l'absence de libertés ne date pas d'aujourd'hui : il suffit de relire les déclarations successives des officiels américains faisant l'éloge du rôle de l'Algérie dans la région. Or, dernièrement, le pays n'a pas été particulièrement actif au vu des enjeux et des menaces polymorphes apparues depuis 2011, sa diplomatie n'a pas été à la hauteur de sa renommée, et le Comité d'état-major opérationnel conjoint (regroupant l'Algérie, la Mauritanie, le Mali et le Niger), qui était censé justement intervenir dans un cas de figure tel que celui auquel nous sommes confrontés, s'est avéré inopérant. Dans ce contexte, les droits humains peuvent attendre. Et ce n'est pas parce que le nombre des associations se monte officiellement à 80 000 en Algérie que les libertés fondamentales sont respectées. Ce chiffre ne veut rien dire en soi, même si le gouvernement s'en prévaut. Trop souvent, l'Etat a investi le champ associatif afin de confiner la société civile au rang de courroie de transmission du pouvoir. Tandis que les associations indépendantes sont marginalisées, et confrontées à maints obstacles administratifs et politiques pour mener à bien leur action. Les considérations sécuritaires et stratégiques prévaudront encore longtemps et passeront avant les droits humains.
* Abbès Zineb : Algérie : un mouvement terroriste séparatiste du Sud démantelé. Algérie 1.com, 13/11/2012.
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Posté Le : 01/11/2013
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nassima Oulebsir
Source : www.elwatan.com