«Ne lui donne pas
un poisson à manger, apprends-lui plutôt à pêcher». Proverbe chinois
La présente
contribution donne une présentation sur les mécanismes relatifs au transfert de
technologie pouvant être intégrés dans un processus de développement industriel
endogène qui représente un défi majeur pour l'avenir et l'économie nationale.
Autrement dit,
toute politique industrielle nationale qui ne se fonde pas sur une meilleure
connaissance de ces mécanismes est vouée à l'échec. C'est ce que nous pensons
avec conviction. D'autant plus que cette affirmation s'appuie sur les
recommandations d'un groupe d'experts internationaux de la conférence des
ministres chargés de l'application de la science et de la technologie au
développement en Afrique (1).
Il est largement
admis que le développement des énergies renouvelables doit être la priorité
d'une nouvelle politique énergétique du pays pour faire face à la future
pénurie des énergies fossiles dont l'Algérie demeure massivement dépendante.
Dans ce contexte, parmi les actions mises en relief par le ministère de tutelle
en la matière, nous pouvons citer la réalisation de la future usine de modules
photovoltaïques de Sonelgaz pour un montant de près de 300 millions d'euros.
Cependant, le développement industriel des énergies renouvelables dans notre
pays devrait, dans une certaine mesure, refléter les recommandations des
mécanismes de développement réel et de transfert de technologie effective. Ces
recommandations émanaient, nous les avons rappelées ailleurs, d'un groupe
d'experts internationaux de la conférence des ministres chargés de
l'application de la science et de la technologie au développement en Afrique,
CASTAFRICA II en 1987 à Arusha (Tanzanie), sous l'égide de l'UNESCO (1). Il a
été fortement recommandé en ces termes : «On n'insistera jamais assez sur le
fait que l'expérience internationale démontre qu'un transfert horizontal de
technologie doit souvent être associé à un transfert vertical dans le pays
receveur. En d'autres termes, le point d'entrée de la technologie importée doit
être, autant que possible, un laboratoire, où la nécessaire adaptation peut se
faire, plutôt qu'une unité de production ». Elle constitue donc le point de
jonction, en quelque sorte le chaînon manquant, entre le milieu de la recherche
et celui de l'industrie. Elle traduit aussi le degré d'importance attaché à ce
mécanisme pour éviter les conséquences pernicieuses engendrées par les
décisions actuelles, mais qui n'apparaîtront qu'à long terme. Si nous
persistons à profiter des technologies élaborées ailleurs et continuer à
marginaliser davantage les scientifiques réduits au statut de consommateurs, et
notamment les jeunes chercheurs, notre pays n'a guère le moyen d'agir
durablement sur son développement économique.
appel au bon sens
politique
Nous assistons là
aux mêmes politiques à courte vue que celles appliquées dans les années 1970,
autrement dit, c'est retomber dans ses errements que notre pays risque de payer
très cher. Et il ressentira, loin de le libérer, que les actions préconisées
aggraveraient davantage sa dépendance et sa déliquescence en reproduisant le
sous-développement. Ce ne sont que de fausses solutions à de vrais problèmes.
C'est pourquoi aucun développement véritable ne s'y opèrera. Il faut espérer
que le bon sens et à moins d'une bonne volonté qui se fonde en raison
l'emporteront sur cette inconséquence et ce manque de conscience. Devant cette
situation, il nous paraît légitime de se poser certaines questions quand il y a
une telle gabegie. D'autant plus légitime que les pouvoirs publics s'apprêtent
aujourd'hui à investir plus de 1100 milliards de dinars, soit l'équivalent de
16 milliards de dollars pour la restructuration et la relance du secteur
industriel public. A-t-on fait une évaluation rationnelle a posteriori en
termes d'impacts des différents assainissements des entreprises publiques qui
ont bénéficié, entre 1991 et 2007, de plus de 40 milliards de dollars ? (2). Et
cette évaluation doit bien sûr s'étendre aussi au secteur de la recherche
scientifique dans le domaine abordé dans cette présente contribution, quels
sont les résultats obtenus au regard des investissements consentis en matière
d'équipements scientifiques et technologiques ? Où des laboratoires se sont
transformés en de véritables musées de monuments technologiques sous forme
d'équipements qui n'ont pratiquement servi à rien, pour reprendre l'expression
d'une collègue chercheur !
Il convient de
souligner et de rappeler que l'un des principaux éléments qui font que certains
pays en développement sombrent dans la pauvreté et le sous-développement est le
fait que le développement n'est pas seulement la capacité d'opérer des
investissements dans la recherche scientifique et technologique, d'une part, et
dans le développement technologique du système de production de biens et de
services, d'autre part, mais de plus en plus celle de gérer ces investissements
et de maîtriser l'information scientifique et technologique qui s'y rapportent
dans le cadre d'une stratégie globale de développement. Une technologie est
avant tout une somme de connaissances et de savoir-faire (formation et
information), son transfert d'un pays à un autre est un processus où l'homme
joue un rôle déterminant : il ne peut véritablement avoir lieu en l'absence
d'hommes capables de le maîtriser de bout en bout, qui doit être associé à une
démarche d'innovation : recherche, développement et production. Le progrès
technologique du pays dépend donc, de façon cruciale, de la mise en Å“uvre de
politiques cohérentes de formation de scientifiques, d'ingénieurs et de
techniciens hautement qualifiés, d'une part, et de politiques économiques et de
développement technologique inspirées par et orientées en fonction des choix
stratégiques destinées à maximiser les bénéfices d'un équilibre judicieux entre
le savoir-faire importé et la capacité locale d'innovation, d'autre part. Cela
permettrait, à terme, d'offrir des débouchés en terme d'insertion
professionnelle et de donner ainsi du sens aux réformes déjà engagées du
système d'enseignement supérieur, dans lequel, aujourd'hui, se débattent les
étudiants universitaires, et de dissiper le brouillard d'ignorance qui
enveloppe notre système de recherche.
Dans cette
perspective, le développement des ressources humaines est par conséquent
l'élément clé dans tout processus de développement. Certes, les récentes
mesures incitatives et de rémunérations mises en Å“uvre par les pouvoirs publics
en faveur des scientifiques (chercheurs, enseignants-chercheurs) sont sans
doute utiles et louables du fait des devoirs et des responsabilités qui leur
incombent dans le développement. Toutefois, elles sont insuffisantes, car il
convient de les insérer dans une démarche globale de valorisation du potentiel
que recèle notre pays.
mecanismes de
promotion du développement industriel
Dans ce contexte,
il s'avère donc nécessaire d'aborder la question épineuse suivante : Comment
intégrer la science et la technologie au processus de développement industriel
? C'est là une question à laquelle nous tenterons de répondre en présentant un
aperçu méthodologique et en prenant appui sur les mesures préconisées par le
groupe d'experts de la conférence citée plus haut, qui permettraient, du moins
nous l'espérons et nous le souhaitons, de relever les défis du développement
tant espéré et de répondre aux attentes de la société en matière de
développement économique, social et environnemental. Le développement
industriel du pays, outre la création des conditions favorables, requiert la
formulation, la planification stratégique et la mise en Å“uvre de politique de
développement technologique visant à accroître ses capacités dans quatre
domaines interdépendants que nous résumons comme suit :
1 - Le choix et
l'évaluation de technologies
Cette question de choix de technologie
constitue un préalable à tout plan d'action stratégique, que ce soit au niveau
économique, social ou environnemental. Le processus de sélection s'articule
essentiellement autour de deux phases successives : la première est
l'identification des besoins à satisfaire et l'établissement d'une liste des
priorités, laquelle prend en considération les impacts économiques et sociaux
(investissement, création d'emplois, entrée dans le marché de l'exportation,
réduction des gaspillages d'énergie…) ; la deuxième phase consiste à rechercher
parmi les technologies disponibles celles qui sont les plus pertinentes au
moyen de certains critères comme l'utilisation de matières premières locales,
la facilité d'assimilation et d'adaptation, l'importance du capital à investir,
la simplicité d'entretien …
Quant à
l'évaluation technologique, c'est un processus qui exige une définition précise
de la nature du problème à étudier et des conditions imposées comme, par
exemple, les impératifs politiques, l'horizon temporel, la portée géographique,
l'étendue des applications …
2 - L'acquisition
et l'adaptation de technologies
Pour mieux appréhender la nature des mesures
à prendre pour développer ses capacités en matière d'acquisition et
d'adaptation de technologies, il est peut être utile de rappeler les mécanismes
et formes de transfert de technologies. L'accent est mis davantage sur les
aspects scientifiques et techniques, en d'autres termes, développer la capacité
d'assimiler totalement la technologie importée et de se l'approprier. Quant aux
mécanismes de transfert de technologie, elles recouvrent deux formes de
transmission du «savoir-faire»: transfert «vertical» d'un procédé ou d'un
produit du laboratoire à l'usine et du transfert «horizontal» d'un centre de
recherche ou d'une entreprise à une autre unité de recherche ou de production.
Pour qu'un transfert de technologie soit effectif, il doit s'accompagner
d'activités d'adaptation. Et cette adaptation ne peut se faire que si le point
d'entrée de la technologie serait un laboratoire, comme dit ci-dessus. Un autre
élément essentiel d'une politique efficace dans ces domaines est
l'identification précise du personnel impliqué dans la sélection, et même
l'utilisation de la technologie à acquérir.
Par ailleurs, le processus d'assimilation de
la technologie importée et de sa diffusion comprendrait neuf stades : 1) emploi
de machines et utilisation de produits importés ; 2) entretien, vérification et
services de contrôle de qualité ; 3) ateliers de réparation ; 4) production par
assemblage et montage sur place ; 5) production locale de pièces simples,
combinée avec le montage sur place ; 6) production locale d'organes importants,
combinée avec le montage sur place ; 7) ingénierie de fabrication (agencement
des machines et organisation de la production) ; 8) ingénierie de conception
(machines et produits); 9) développement expérimental de prototypes et d'usines
pilotes.
Chacun des stades de la liste précédente
indique le degré d'assimilation de la technologie auquel est parvenu le
receveur. Dès le huitième stade, la maîtrise de la technologie est acquise :
elle peut être reproduite intégralement, au besoin dans une forme plus adaptée
aux conditions locales, et diffusée ; la rapidité et l'étendue de la diffusion
constitueraient des indicateurs de la capacité d'un pays à assimiler des
technologies étrangères.
3 - La mise au
point endogène de technologies
L'importation de technologies n'est une
stratégie de développement saine que lorsqu'elle permettra à note pays de
mettre en place des institutions telles que des systèmes nationaux d'innovation
susceptibles de déboucher, à terme, sur la mise au point endogène de
technologies, comme illustré par notre précédente contribution (3). Autrement
dit, dans la perspective d'une politique scientifique et technologique tournée
vers des objectifs stratégiques et une vision à long terme auxquels le pays y
souscrira. Du point de vue opérationnel, les tâches, activités et
qualifications associées au développement de capacités locales d'innovation
prolongeront et approfondiront celles relatives à l'adaptation et à
l'assimilation de technologies importées. Tous les éléments qui précèdent
constituent des préalables à la création d'une capacité d'innovation originale
et pourront contribuer à la promotion du développement endogène de
technologies.
4 - La
construction d'un potentiel national dans les technologies de pointe
De nombreuses technologies de pointe sont
disponibles et en voie d'émergence ; celles qui paraissent être les plus
intéressantes pour le pays sont la microélectronique et nanoélectronique et ses
dérivés, la biotechnologie et les nouveaux matériaux ; elles se manifestent
dans des domaines situés aux frontières des disciplines scientifiques et
technologiques traditionnelles. Elles constituent les principaux leviers sur
lesquels se fondent les systèmes de production modernes et sur lesquels les
pouvoirs publics peuvent agir et s'engager de manière explicite pour aider le
pays à se développer, une façon de donner de la lisibilité à leur action.
La politique dans ces quatre domaines ne peut
induire des progrès technologiques dans les industries nationales que si elle
est coordonnée et cohérente, traduite en terme d'action à long terme, comme
l'ont si bien compris et réussi les pays émergents du Sud-est asiatique (4).
Une politique à laquelle il faudrait se résoudre à traiter la problématique,
faut-il lea rappeler, des relations entre Science-Technologie et Industrie qui
est celle des articulations. Celles-ci consacrent une dépendance qui ne peut
être réduite que par une volonté politique affichée par l'Etat et collective
dans le cadre d'une stratégie suivie à long terme.
S'agissant des technologies de pointe, il
devient de plus en plus urgent que les pouvoirs publics s'engagent donc plus
explicitement sur leurs priorités, de manière à jeter les bases des futurs
points forts de la seconde phase d'industrialisation du pays. Ils doivent
éventuellement affirmer leur volonté au travers de la prochaine loi de
programme à projection quinquennale dédiée à la recherche scientifique et au
développement technologique avec beaucoup plus de rationalité et d'intelligence
dans les décisions que la précédente (5).
Et nous terminerons notre contribution par ce
mot très fort de Malek Bennabi « Si la vérité et le mensonge peuvent être deux
armes, il vaut mieux utiliser la première parce que ses conséquences les plus
mauvaises sont encore moins mauvaises que celles du mensonge ».
(*) Directeur de
recherche/CDTA.
Références :
1. Sciences,
Technologie et Développement endogène en Afrique: Tendances, problèmes et
perspectives. Castafrica II - Unesco - Juillet 1987.
2. Loi de
finances 2008 et problématique du pouvoir d'achat des Algériens. A.Mebtoul, Le
Quotidien d'Oran, 07 janvier 2008.
3. Secteur des
Semi-conducteurs: un éclairage stratégique pour le Président de la République.
M.T. Belaroussi, Le Quotidien d'Oran, 9 février 2010.
4.
«Microelectronics R&D Blossoms in Taiwan».
IEEE Circuits
& Devices Magazine, March 1999.
5. Programmation
nationale de la recherche : autopsie d'un échec annoncé, M.T. Belaroussi, Le
Quotidien d'Oran, 6 janvier 2009.
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Posté Le : 21/04/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohand Tahar Belaroussi*
Source : www.lequotidien-oran.com