Algérie

Les épousailles du rouge et du noir



Nous ne savons plus quel auteur de chronique paraphrasait le grand Jacques Brel, pour illustrer la fronde de deux grands partis politiques contre l'élection présidentielle.

Bien sûr que le rouge et le noir vont très bien ensemble, la décennie noire ou rouge, c'est selon, cauchemar hallucinatoire vécu collectivement en état de veille, est encore vivace pour nous rappeler encore et sur plusieurs générations, les déchirements d'une société à la recherche de l'idéal démocratique. Les Chemises de Mussolini étaient noires tout autant que les attributs idéologiques de Karbala actuellement. Quant au rouge, celui-ci a marqué et le Goulag dans la défunte URSS et la place Tian'anmen de Pékin. Donc, en matière de symbole, ces couleurs ne sont pas faites pour apaiser les vieux démons. Si le brassard et la crêpe noirs n'ont jamais symbolisé le deuil dans notre société, il est aussi vrai que l'histoire n'est jamais amnésique. L'emblème national appartient à toute la communauté nationale, il est inconvenant de lui substituer tout autre attribut dut-il être pour le symbole. On exprime le deuil par la mise en berne de celui-ci et là encore, seul le détenteur d'une souveraineté nationale constitutionnellement acquise peut la décréter. Loin de nous ériger en donneur de leçon aux uns et aux autres, il est toutefois de notre devoir de rappeler qu'au lendemain du 19 mars 1962, les tueurs de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) hissèrent le même drapeau sur les hampes. De grâce ne choquons pas cette multitude de survivants du génocide programmé par les tenants d'une Algérie française, les plaies sont encore suintantes. Les joutes oratoires dans une campagne électorale sont admises par les masses, mais il y a des lignes rouges à ne pas enfoncer inconsidérément. Toute dérive est diversement appréciée, prêter le flanc c'est faire preuve d'immaturité politique.

Cette lutte pour le pouvoir est en marge des préoccupations quotidiennes du citoyen lambda, les surenchères électorales font l'impasse sur la déchéance socioéconomique de larges pans de la société. Ce même citoyen ne croit pas au miracle économique, il sait que les grands de ce monde, eux-mêmes, se débattent dans leurs propres crises. Les concepteurs historiques du libéralisme économique et de la démocratie sont au pied du mur, les vagissements conceptuels d'un monde qui se refonde sont audibles. Et ce n'est pas la démocratie exclusivement qui nourrira le monde, l'Inde l'exemple démocratique le plus illustratif, émerge laborieusement du magma du sous développement. Alexis de Tocqueville lui-même, analyste visionnaire de son temps avait déjà averti des risques de la société démocratique pour écrire : « C'est dans le renoncement à la liberté que se trouve le danger majeur pour la société démocratique. Le premier risque est celui de la tyrannie de la majorité: Un régime politique se caractérise par la règle de la majorité qui veut que, par le vote, la décision soit celle du plus grand nombre. » A l'évidence le modèle démocratique que nous tentons d'adopter et d'adapter à notre profil sociétal est décidément d'essence tyrannique puisque la majorité aura le droit d'opprimer la minorité dont le seul tort, est d'être minoritaire. Si le consensus est recueilli pour cette définition, il nous sera loisible et même recommandé de refuser d'obtempérer encore moins à la tyrannie de la minorité. « Quand toutes les opinions sont égales et que c'est celle du plus grand nombre qui prévaut, c'est la liberté de l'esprit qui est menacée avec toutes les conséquences qu'on peut imaginer pour ce qui est de l'exercice effectif des droits politiques.

La puissance de la majorité et l'absence de recul critique des individus ouvrent la voie au danger majeur qui guettent les sociétés démocratiques : le despotisme. ». Ce constat que fait de Tocqueville est tellement d'actualité qu'il interpelle les démocrates ou du moins ceux qui prétendent l'être, d'assumer leur choix et de respecter les règles du jeu. Il continue plus loin pour dire encore : « Les hommes démocratiques sont dominés par deux passions : celles de l'égalité et du bien-être. Ils sont prêts à s'abandonner à un pouvoir qui leur garantirait de satisfaire l'un et l'autre même au prix de l'abandon de la liberté. Les hommes pourraient être conduits à renoncer à exercer leur liberté pour profiter de l'égalité et du bien-être. Les individus pourraient remettre de plus en plus de prérogatives à l'Etat». Cette cinglante vérité a été malheureusement vécue du temps du Programme anti-pénurie (PAP) où les panses étaient repues. Ce n'est qu'en pleine crise économique « strangulante » de la fin des années 80, que le besoin de libertés démocratiques s'est bruyamment exprimé avec les conséquences que l'on connaît. Les demandes pressantes de police de proximité émises par une société en perte d'assurance en soi, sont à l'évidence un appel de détresse en direction de l'Etat. Une société qui ne réussit pas à réguler ses flux générationnels et s'en remet en tout à l'Etat, ne peut que qu'aliéner une partie de sa liberté. « Dans les sociétés démocratiques, il est plus simple de s'en remettre à l'Etat pour assurer une extension de l'égalité des conditions dans le domaine politique qui est encadré par les lois. C'est l'État qui a pour charge leur élaboration et leur mise en ?uvre. A partir de là, l'État peut progressivement mettre les individus à l'écart des affaires publiques. Il peut étendre sans cesse les règles qui encadrent la vie sociale. Le despotisme prend la forme d'un contrôle. On arrive ainsi à l'égalité sans la liberté. »…. « La société démocratique transforme le lien social en faisant émerger un individu autonome. C'est une source de fragilisation qui peut déboucher sur une attitude de repli sur soi. La démocratie brise les liens de dépendance entre individus et entretient l'espérance raisonnable d'une élévation du bien-être ce qui permet à chaque individu ou à chaque famille restreinte de ne pas avoir à compter sur autrui. Il devient parfaitement possible pour son existence privée de s'en tenir aux siens et à ses proches. ». N'est ce pas là un fidèle focus de toutes les déviances morales observées depuis la libéralisation de la vie politique et sociale du pays ? Frisant l'anomie, la fonction sociale exercée en off shore permet toutes les transactions (matérielle et immatérielle) pratiquées et subies par tous. Voici un avant goût du libéralisme qui n'est pas domestiqué !



Notes de renvoi : Alexis de Tocqueville- Wikipédia






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