Algérie

Les Egyptiens assis sur une bombe sociale


Les Egyptiens assis sur une bombe sociale
Sous le pont du 6 Octobre, en face de l'anarchique rue Ramsès, la file est longue devant l'hôpital gouvernemental Gala. Une salle d'attente y a été improvisée : les plus chanceux trouvent encore une chaise en plastique de libre à leur arrivée. Les autres occupent un bout de trottoir.Le Caire (Egypte)De notre correspondanteTous les jours, des centaines d'Egyptiens affluent vers cet hôpital connu pour être l'un des plus grands établissements spécialisés dans l'accueil d'enfants. Il est midi. C'est l'heure des visites. Le docteur Ahmed Yousri, reconnaissable à sa blouse bleue, arpente les larges couloirs à grandes enjambées. Comme s'il voulait éviter d'être arrêté dans sa course par les familles des patients. La seule horloge du service affiche 8h25. Il est plus de 13h. Pourtant ,on ne peut pas dire que le temps ne marque pas les murs et le mobilier de l'hôpital : des commodes sans roulettes, des carcasses de lit et des planches s'amoncellent au bout du couloir.Depuis le 8 mars dernier, les médecins, rejoints par les dentistes et les pharmaciens, ont lancé une grève «ouverte». En cause, un décret adopté le mois dernier par le président Adly Mansour prévoyant l'augmentation des primes dans le secteur de la santé. Or, les médecins demandent, depuis janvier dernier, un geste plus fort de la part du nouveau gouvernement : l'augmentation du salaire de base. «C'est la première fois que des médecins de plusieurs spécialités font cause commune et décident d'une grève, se félicite le président du comité chargé de conduire la grève, Ahmed Chocha.Quand nous demandions plus de justice sociale pendant la révolution, cela comprenait une santé publique de qualité pour tous les Egyptiens.»Le manque d'investissement de l'Etat dans le secteur de la santé, environ 4% du budget national, est la colonne vertébrale des griefs formulés par le comité de grève. De là découle, selon les grévistes, la dégradation des soins prodigués dans les établissements publics, une capacité d'accueil en deçà des besoins réels et la dépréciation d'un secteur délaissé depuis des décennies par son principal employeur, l'Etat.Le chaudron socialLes médecins ne sont pas les seuls à souffrir de ce désengagement : des mouvements de grève ont été lancés par les conducteurs de bus, les ouvriers du BTP, les éboueurs. Tous réclament une revalorisation de leur salaire. Ces demandes ne sont pas nouvelles. En 2008, l'augmentation des salaires faisait déjà partie des doléances des ouvriers de Mahalla. En commençant ses études de médecine à l'université d'Ain Shams, au Caire, Omar Naguib n'imaginait pas que le secteur de la santé était aussi démuni.Après sept années de travail acharné, il a intégré l'hôpital gouvernemental Sidnaoui situé entre la place Ramsès et la bouche de métro Attaba. Son salaire mensuel, 900 guinés (environ 93 euros). «Je sais que je gagne plus que les instituteurs du public, admet Omar. Mais je ne comprends pas que nos salaires soient si bas. Dans tous les pays du monde, les médecins gagnent bien leur vie.» George, son collègue, fait un signe d'approbation. Lui aussi est novice. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un regard lucide sur l'état de sa profession. Au quotidien, ces deux jeunes médecins sont confrontés aux besoins croissants des malades. «Nous sommes leurs interlocuteurs directs, raconte George. Lorsque je dis à mes patients qu'il n'y a plus de lits, ils pensent que c'est de la mauvaise volonté. Ils s'énervent. Or, nous manquons cruellement de lits. C'est la réalité.»Une question de moyensPlus qu'une revalorisation de salaire, les grévistes réclament une augmentation du niveau des soins proposés dans les hôpitaux gouvernementaux. Or, cela demande une réforme profonde du secteur de la santé. Le gouvernement intérimaire est-il prêt à prendre cette direction ' Aucune déclaration ne semble aller dans ce sens. A peine nommé, le nouveau Premier ministre, Ibrahim Mehleb, a affirmé qu'il pariait «sur le patriotisme des travailleurs égyptiens».Autrement dit, l'arrêt des grèves qui menacent, selon la rhétorique du gouvernement, la stabilité économique et politique du pays. Dans les faits, la crise économique pèse sur l'actuel gouvernement. Elle serait l'une des causes de la démission du gouvernement conduit par Hazem El Beblawy le 24 février dernier. Mais également l'une des principales préoccupations de l'actuel ministre de la Défense, Abdelfatah Al Sissi. Bien que donné grand favori de l'élection présidentielle qui devrait se tenir en avril, le maréchal Al Sissi tarde à annoncer sa candidature. Certains interprètent ce retard comme une conséquence de la crise économique, et des négociations en cours entre l'Egypte et son principal bailleur de fonds l'Arabie Saoudite.En l'espace d'un demi-siècle, l'Etat égyptien s'est progressivement désengagé de ses missions publiques. «Comment expliquer que les écoles et les hôpitaux gouvernementaux soient désertés par la classe dirigeante '» Le docteur Omar connaît déjà la réponse : «Les gens du gouvernement se font soigner à l'étranger et dans des hôpitaux privés ou militaires. Ils savent pertinemment que nous n'avons pas de moyens.» Le comité de grève des médecins a récemment proposé que les fonctionnaires de l'Etat se fassent soigner dans les hôpitaux publics. Un remède efficace.


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