Algérie

«Les écrivains, ni gourous ni donneurs de leçons»



Le Quotidien d'Oran: Vous m'avez dit un jour que «La nuit du henné» était né d'un rêve... Hamid Grine: Un rêve ? Disons plutôt inspiré d'un fait réel que j'ai vécu moi-même avec ma famille. Sans être Maamar et mon épouse Jade, nous avons été plongés durant 24 heures dans une sorte de mystère épais où le paranormal avait sa part. Q. O.: Un deuxième roman, une année après «La dernière prière» et tout le succès que ce dernier a rencontré auprès des lecteurs. Une nouvelle étape dans votre carrière d'écrivain. Comment appréhendez-vous ce nouveau cap par rapport à votre «période» pré-roman ? H. G.: Autant je m'attendais un peu au succès de la dernière prière en raison essentiellement de la personnalité atypique et combien attachante de Hawas, le personnage central du roman, autant j'avais quelques appréhensions pour La nuit du henné. Très vite, il s'est classé parmi les meilleures ventes. J'ai été extrêmement flatté quand j'ai appris que le sondage d'un éditeur auprès d'un panel de libraires a fait ressortir mes deux derniers romans dans le top ten des meilleures ventes. J'ai toujours dit que la justification de l'écriture d'un roman se trouve dans la lecture de ce roman par des lecteurs. Allez soyons modeste : un seul lecteur me lit et c'est gagné ! Q. O.: Dans vos deux romans, vous donnez à vos personnages des noms bien particuliers: Hawas, Hawa, Mâamar Hbak, Jade... Quelles charges portent-ils ? Ou sont-ce des traits d'humour de votre part, une fantaisie ? H. G.:J'aime bien les prénoms de Hawas (j'ai un frère qui porte très mal d'ailleurs ce prénom) Hawa et Jade. Pour Mâamar, c'est un prénom de répugnance par antinomie à Jade. Mâamar Hbak, vous voyez un peu ça ? Il parait si désuet comparé à son épouse Jade Guiri. Pour répondre à votre question, je dirais qu'il y a les deux : l'humour et la fantaisie. Q. O.: Beaucoup attendaient une suite à «La dernière prière», histoire de savoir ce qu'est devenu Hawas, ainsi que tous les autres ! H. G.: c'est juste. Beaucoup de lecteurs m'ont dit qu'ils sont restés sur leur faim. S'ils sont restés sur leur faim c'est qu'ils n'ont pas été rassasiés, c'est-à-dire indisposés. Je trouve que c'est un très beau compliment pour Hawas et ses frères. Y aura-t-il une suite ? Franchement je ne sais pas. Il faut que je vois ça de plus près avec...Hawas. Mais il faut d'abord que je le trouve. Où est-il ? Q. O.: Dans vos deux premiers romans, vous «naviguez» dans deux périodes très différentes de l'Algérie contemporaine. Est-ce un choix délibéré ou exigences de l'intrigue de chaque roman ? H. G.: Choix délibéré. Dans le premier, La dernière prière, je faisais mon deuil des années de sang et de terreur. Dans le second, le choix est encore plus délibéré dans le sens où le fait que j'ai vécu s'est déroulé en 2004 alors que j'ai placé l'intrigue dans les années quatre-vingt qu'on regarde aujourd'hui avec nostalgie alors que c'était des années de pénurie, de répression politique et sexuelle, et de mal-vie. Le seul point positif, c'était la paix. Je veux dire par là que l'Algérien était en sécurité. On pourrait ajouter qu'il y avait encore quelques valeurs de respect et de solidarité qui survivaient encore. Il n'y avait pas cet appât du gain, cette frénésie du gain, cet arrivisme, cette inversion des valeurs, cette clochardisation des intellectuels alors que le maquignon est devenu roi.   Q. O.: Mis à part les années 80, dans «La nuit du henné», vous explorer un monde assez particulier, un tantinet hasardeux, celui de la superstition et des croyances individuelles ou collectives des Algériens, le tout sous fond de psychanalyse où vous allez à la recherche de vos personnages jusqu'à dans leurs derniers retranchements. C'est un peu «Totem et tabou». Que recherchez-vous à travers cet «exercice» ? H. G.: Je ne cherche rien. Cela me fait plaisir d'explorer ces chemins du hasard et de la superstition. Je pense que même si nous vivons dans un monde matérialiste, nous ne pouvons pas tout expliquer par le rationnel et la logique. Chacun de nous a des zones d'ombre où personne ne pénètre pas même lui. J'ai toujours été surpris par la part d'irrationnel qui se trouve dans chaque individu. On croit qu'il est comme ça, et puis hop ! Il se révèle autrement. C'est pour ça qu'on ne peut garantir personne. Pas même soi-même. Vous l'avez dit : j'aime la psychanalyse, la psychologie, le paranormal, les croyances, les superstitions. J'aime tout ce qui essaie d'expliquer l'inexplicable. Mes personnages poussés dans leurs derniers retranchements ? C'est parce que j'aime les situations claires. J'ai horreur de la tiédeur et du faux-semblant. J'aime connaître la vérité le plus vite possible. Aller au fond des choses tout de suite. Vider tout abcès susceptible de gangrener une relation. Q. O.: Un vieux stéréotype veut que l'écriture est un accouchement dans la douleur. Que représente pour vous l'acte d'écrire ? H. G.: Pour moi l'acte d'écrire est un moment d'abord de pure liberté et de créativité. Quand on est inspiré, je dirais même que c'est un état de jouissance et de réjouissance. Mais si l'inspiration n'est pas au rendez-vous, c'est vrai qu'on commence à se ronger les ongles, à se lever de la table, à se rasseoir... Là on souffre, là on accouche dans la douleur. Mais que vaut cette douleur devant la liberté ? Et y a-t-il liberté sans douleur ? Q. O.: Où se place Hamid Grine et ses oeuvres par rapport à ce qui se fait actuellement dans le champ littéraire algérien ? H. G.: Certains critiques comme Hamid Abdelkader et un Mustapha Mazari voient en moi un écrivain réaliste qui n'a pas un rapport introspectif avec l'écriture. Je veux dire que je ne plonge pas dans mes entrailles pour faire ressortir sous forme subliminal mes angoisses et mes rêves. J'aime raconter des histoires sans duper mes lecteurs ou les entraîner sur une mauvaise pente. Un roman est toujours l'émanation de la vie. Il peut être noir, pessimiste comme la vie. Il peut être aussi léger et gai comme une ritournelle. Si mes livres ont un lectorat c'est parce qu'ils parlent aux Algériens qui s'y retrouvent et retrouvent leur monde sans poésie qui drogue, ni noirceur qui abrutit. Je ne juge pas mes confrères. Je pense que chacun a ses spécificités. Et chacun a droit au respect car, c'est une grande solitude que d'écrire: c'est ramer, ramer pour arriver parfois au néant. Heureusement qu'il y a quelques lecteurs qui ont l'amabilité de nous sauver par leur gentillesse. Et quelques critiques qui nous trouvent quelques qualités. Q. O.: Quelle appréciation avez-vous de ce qui est produit actuellement par les écrivains algériens? H. G.: Il y a de très bons écrivains qui rament...rament pour une parcelle de gloire. Je respecte tous ceux qui écrivent. J'aime ce que fais Yasmina Khadra qui fait honneur aux lettres algériennes. En Algérie, à titre d'exemple, j'ai des préférences pour M'Hammed Larbi Bouzina, Fayçal Ouaret et Abdelhamid Ali Bouacida. Il y en a d'autres bien entendu, tout aussi talentueux, que je ne pourrais tous citer. Disons que j'ai une préférence pour les histoires qui tiennent debout tirant leur sève de la société algérienne. Q. O.: Hamid Grine journaliste, comment voit-il Hamid Grine l'écrivain, le romancier ? H. G.: Il ne le voit pas. Il cohabite avec lui. Non sans frictions d'ailleurs. Parfois ils s'aiment, parfois ils se déchirent, comme tous les vieux couples. Depuis le temps qu'ils se connaissent... Q. O.: Environ huit ouvrages et deux romans plus tard, quel bilan faites-vous ? Justement, avec vos deux premiers romans, n'avez-vous pas l'impression que vous «recommencez» quelque chose ? J'entends par là, vous prenez un nouveau chemin, une nouvelle voie ? H. G.: Je ne sais pas si je prends une nouvelle voie ou non. Ce que je sais c'est que je n'ai pas de stratégie marketing. J'écris pour mon plaisir en espérant qu'il coïncide avec celui des lecteurs. Jusqu'à maintenant je n'ai pas été déçu. Sans aucune posture, pour moi l'écriture n'est pas la vie même si elle nous procure beaucoup des joies. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas la postérité - et je ne me fais aucune illusion à ce sujet - mais la reconnaissance des lecteurs qui me font l'honneur de me lire. Ma dernière séance-dédicace à la librairie Arts et lettres de Hydra m'a valu une surprise émouvante: un monsieur bien de sa personne m'a ramené mes deux derniers livres sous cellophane pour que je les lui dédicace. Rendez-vous compte: mes livres sous cellophanes comme s'ils étaient précieux. Après avoir dédicacé ces livres, le monsieur me sort une interview que j'ai accordée à un grand quotidien national. Il me demande de mettre mon autographe sur l'article. Ce sont de pareils moments qui justifient notre raison d'écrire. Ecrire pour donner du plaisir. Pour faire rire, pour distraire. Pas plus. Nous ne sommes ni gourous, ni donneurs de leçons. Q. O.: Une oeuvre en cours ? L'avenir ? H. G.: J'ai deux livres en cours : «Le café de Gide» est un roman qui évoque André Gide à Biskra, Gide vu, pour une fois, par ceux qu'il décrivait dans ses livres : Les nourritures terrestres, Si le grain ne meurt, L'immoraliste, etc. le second est un récit s'intitulant : «Les amis s'en vont et demeurent» C'est un retour sur les traces de ceux qui ont mis du soleil sur ma jeunesse.


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