Algérie

«Les droits de la défense sérieusement menacés»



- Vous continuez à  vous opposer au projet  de loi sur la profession d'avocat. Pourquoi '
J'ai le sentiment, malheureusement, que nous sommes en retard par rapport à  ce qui se fait plus près de chez nous, à  nos frontières immédiates. J'ai pris avant-hier connaissance du statut des avocats tunisiens et j'ai envie de vous dire qu'ils sont au niveau de la lune et que nous, nous sommes sous terre. Ce projet du ministère de la Justice a été confectionné au moment où l'on voulait mettre au pas la défense. C'est un projet qui veut museler la défense, cadenasser les libertés et les droits de la défense. C'est extrêmement grave pour notre pays, notre peuple et notre justice. Il va à  l'encontre d'un procès équitable et d'une bonne administration de la justice. Nous ne sommes que des faire-valoir à  toutes les procédures de justice. Ce projet vide la profession de l'avocat de sa philosophie et de son objectif. Il n'y aura plus de droits de la défense. On ne pourra plus s'élever contre les abus et les injustices parce que l'avocat sera sous la menace d'être suspendu, arrêté et poursuivi au pénal. Les conseils et les bâtonniers sont soumis à  la censure et mis sous la tutelle du ministère de la Justice. Toutes les délibérations et les activités sont soumises à  la censure du ministère de la Justice. L'expression «ministre de la Justice» est répétée dans 46 articles alors que plus près de chez nous, dans le statut des avocats tunisiens, il n'est cité que quatre fois et on l'informe uniquement des décisions. Il y a une réelle indépendance, une réelle protection des droits de la défense (dans le statut tunisien, ndlr). Ce projet est liberticide, il ne sert pas les intérêts du justiciable, c'est pour cela que nous nous élevons contre ce texte.
- Le président de l'Union soutient qu'il n'y a pas lieu de s'alarmer sur le cas des incidents d'audience…
Actuellement, les magistrats expulsent au quotidien les avocats des salles d'audience. Et c'est du vécu. Les magistrats refusent aux avocats la possibilité de plaider. Nous ne sommes que des faire-valoir dans notre exercice. Si ce projet a mis 10 ans, c'est parce que nous sommes restés debout, nous nous sommes toujours élevés pour qu'on ne puisse pas toucher à  l'essentiel des droits de la défense. La stratégie adoptée ces derniers temps consistait à  nous dire que l'arbitrage du ministre est sollicité pour toutes les réserves que nous émettions. Le ministre promettait de donner suite à  nos demandes de rectification et d'amendement mais rien ne s'est fait. Ils nous ont traînés jusqu'à nous mettre devant le fait accompli.  
De nombreux députés que nous avons rencontrés nous disaient «si vous ne réagissez pas, ce texte passera». Et s'il passe, on enterrera à  jamais les droits de la défense. Qu'on arrête de berner le citoyen et les institutions en affirmant que nous avons des droits de la défense et qu'il y a possibilité de pouvoir asseoir et concrétiser un procès équitable.
- Est-ce l'avis de la majorité '
Demandez à  tous les avocats, ils vous diront la même chose. Nous exerçons dans les mêmes conditions et avec les mêmes contraintes.  C'est l'aspiration et la demande de 90% des avocats. Je peux vous certifier que tous les avocats que j'ai rencontré, tous sans exception, sont pour le retrait parce qu'ils savent que ce texte est en régression et nous fait perdre tous les droits que nous avons pu acquérir au niveau de l'ancienne loi qui protégeait tant bien que mal le défenseur en lui permettant de pouvoir s'élever contre une injustice et dénoncer une parodie de justice. Dans tout cela, ce sont la justice algérienne, le citoyen algérien et l'entreprise algérienne qui payent les pots cassés.
- Le président de l'Union estime que la protestation vient de «certains qui ne travaillent pas pour l'intérêt de la profession»…
Ce serait malheureux que les bâtonniers et le conseil de l'Union travaillent à  l'encontre des intérêts de notre corporation ; si c'est le cas je pense que ceux qui nous ont élus vont nous retirer leur confiance. Toute la corporation tient le langage contraire. Le langage du président de l'Union n'a strictement aucun crédit ; il n'est représentatif que de lui-même et, à  plus forte raison, lorsqu'il dit qu'«il faut bien que nous soyons sous la tutelle de quelque chose»... Il estime ainsi que nous sommes sous la tutelle du ministère de la Justice. Comparez cela au statut qui dit que c'est une profession libérale et indépendante. Je pense que c'est lui qui est en décalage et en déphasage par rapport à  la réalité et même aux textes.
- Le représentant du ministre s'est dit rassuré que le gros des troupes soit favorable à  ce texte. Qu'en pensez-vous '
Je mettrai ma robe en jeu si la majorité des avocats étaient pour ce texte. Tous les avocats souffrent le martyre. C'est de la torture au quotidien et nous n'assumons pas notre mission, nous contribuons à  une très grande esbroufe. Comme je l'ai dit dans mon intervention, nous sommes redevenus des arnaqueurs, nous ne faisons qu'escroquer nos clients parce que nous ne sommes pas en mesure d'assurer leur défense. Quand vous àªtes devant un magistrat qui vous dit «kalima oustadh» (un mot maître), est-ce qu'en un mot vous pouvez défendre quelqu'un ' Et pour un dossier, on vous donne uniquement le délai d'une semaine et seulement le droit de déposer un jeu de conclusions. Ce n'est pas cela, la justice, et ce ne sont pas là les droits de la défense. C'est une parodie de justice que nous dénonçons et que nous ne pourrons pas tolérer. Nous attendions cette assemblée générale pour nous prononcer.


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