“LES DORMEURS DU DÉSERT” (2019) ET “ÂMES TOURMENTÉES” (2021) DE MOHAMED HOUAT Autopsie des sociétés arabes

Ces deux ouvrages, l’un un roman et l’autre un recueil de nouvelles, sont liés par un même thème, celui de peindre les sociétés arabes modernes, avec toutes les altérations qu’elles connaissent aujourd’hui.

Les Dormeurs du désert est une parabole sur la situation du monde arabo-musulman lors des dernières décennies. Le héros narrateur, un derviche, est un personnage à demi fabuleux doté de pouvoirs magiques.

Il fait fonction du fou du village, celui qui ose dire les vérités dissimulées.
Dans le roman, le derviche est chargé d’une mission, celle de réveiller un “empire” figé dans un sommeil civilisationnel, alors que le reste du monde, créateur de richesses, poursuit ses avancées.

Le derviche, pour réaliser sa mission, va se rendre dans chacun des pays de l’empire pour s’enquérir de l’état de ses peuples et tenter de les sortir de leur torpeur. Ses pérégrinations débutent au Maroc au lendemain de ce que l’on va appeler le “printemps arabe” et le mènent dans chacun des pays de l’empire, jusqu’aux pays du Golfe. Et là, le diagnostic est particulièrement sévère et cinglant.

À travers ses aventures, il met à nu les tares des systèmes sociopolitiques qui régissent le monde arabo-musulman. Despotisme, tyrannie, voilà ce qui caractérise les États qu’il visite. Mais pas seulement, les peuples ont aussi leur part de responsabilité dans le désastre qu’ils subissent.

Le derviche se déchaîne contre des sociétés empêtrées dans des mentalités moyenâgeuses ; c’est un véritable réquisitoire que dresse le narrateur contre elles. Le roman ne s’embarrasse d’aucun effet de style pour dénoncer le renoncement de ces peuples qui ont trouvé dans une religiosité de façade un moyen de justifier leur inaction et leur marasme.

Les personnages sont abrupts, presque caricaturaux, à la limite du burlesque parfois, comme pour mieux exposer le tragique du vécu des peuples arabes avec son lot de guerres, de crises, de misère sociale et culturelle, de frustrations sexuelles et affectives.

Les Dormeurs du désert (le désert est ici un lieu métaphorique qui renvoie aux sociétés bédouines primitives, mais également à un milieu stérile et sclérosé) se veut un conte philosophique qui reflète, tel un miroir grossissant, les travers de nos sociétés, impuissantes à faire face aux défis de la modernité et à s’engager dans les combats nécessaires à leur survie.

Le deuxième titre, Âmes tourmentées, est un recueil d’une douzaine de nouvelles où l’on retrouve le thème de prédilection de l’auteur, les perversions et les dérives de notre société. À travers un kaléidoscope de personnages, Mohamed Houat nous dépeint sans concession et sans équivoque les troubles existentiels qui nous délimitent. Chaque nouvelle met en exergue nos pires aliénations, l’intolérance et la bigoterie.

Chaque récit souligne, jusqu’au paroxysme, la perte de repères d’une société prête à vilipender le moindre écart à l’orthodoxie religieuse mais oublieuse des fondements moraux de tolérance et de compassion, une société qui accepte tous les carcans de misère intellectuelle et culturelle et qui refuse le moindre souffle de liberté et d’émancipation.

Un fils qui renie son père, libre penseur, jusque dans la mort, un manifestant soi-disant progressiste qui désavoue sa liaison amoureuse avec une jeune femme la poussant au suicide, un écrivain qui rêve de prix littéraires mais ne rencontre qu’indifférence et désintéressement, ce sont là quelques figures de ces âmes tourmentées.

Elles dénotent le pessimisme de l’auteur tant l’immobilisme et l’atonie de ses héros entravent l’espoir de trouver la moindre conjonction de rupture d’une société corrompue par la mal-vie, un discours religieux et moralisateur qui relève davantage du charlatanisme et de l’imposture que d’une quête spirituelle féconde.

Ces deux ouvrages sont une sorte de catharsis que l’auteur emploie pour lancer un véritable cri de désespoir à des sociétés figées et sclérosées, quasi inconscientes des enjeux du monde contemporain, vivant une situation de psychose collective qui nourrit ses contradictions et encourage ses délires les plus extrémistes. Un constat amer de nos faiblesses, de nos peurs, de nos précarités qui mettent en péril notre existence et celle des générations futures.

Les choix littéraires de Mohamed Houat tendent vers un style laconique dénué de toute complexité pour répondre sans doute aux propos de son sujet, mais il gagnerait à donner davantage d’ampleur et d’épaisseur à sa plume.

Le lecteur s’attachera facilement au déroulement des intrigues que recèlent ces deux récits mais se sentira légèrement frustré du manque d’acuité des personnages et de la forme d’écriture.


Les Dormeurs du désert (2019) et Âmes tourmentées (2021) de Mohamed Houat, éditions Dar El-Adib.