Algérie

Les deux mondes parallèles de l'investissement en Algérie Repères éco : les autres articles



L'investissement productif est le moteur le plus important d'une croissance pérenne. Mais l'acte d'investir nécessite aussi bien un climat des affaires adéquat qu'un optimisme sur le devenir de l'économie. Aujourd'hui, nous jouissons d'une croissance hors hydrocarbure qui se situe bon an, mal an autour de 6%. Ce serait un taux acceptable, si on ne décortiquait pas l'origine et les implications de ce chiffre. En effet, 7 à 8% seulement des dépenses qui tirent la croissance constituent des investissements productifs. Le reste sont des dépenses publiques tirées des hydrocarbures et orientées vers la modernisation des infrastructures. Ce type d'investissement n'est pas l'objet de notre analyse. Nous nous intéressons dans ce contexte à l'économie productive et les mécanismes qui contribuent à son essor ou son ralentissement.
Dans l'acte d'investir, il y a une chaîne interminable de paramètres. A commencer par l'investisseur lui-même, ses motivations, ses préférences et le degré de risque qu'il peut supporter. L'un des atouts majeurs dont se sont dotés les pays émergents et avancés est un stock d'entrepreneurs de qualité appuyés par des politiques publics adéquats. C'est la thèse fondamentale de Lewis (prix Nobel d'économie) qui attribue à la qualité des entrepreneurs le rôle majeur dans les processus de développement des pays. Nous serons concernés plutôt par le rôle que les pouvoirs publics jouent dans notre pays dans le contexte de l'environnement de l'investissement. Bien qu'on ait essayé de réduire le nombre d'intervenants dans la chaîne décisionnelle, le processus demeure long, complexe et très incertain. Au prix d'une grosse simplification, nous pouvons stipuler que deux logiques différentes existent sur le terrain, deux mondes parallèles dont les motivations, les paramètres de décision, les valeurs et la culture sont diamétralement opposés. Alors, il est extrêmement complexe de faire coïncider les deux modes. L'investisseur est parfois tiraillé, pris en tenaille par ces deux logiques qui ne se reconnaissent pas et qui ne se comprennent pas.
Le Premier monde est macroéconomique
Nous avons les hauts décideurs qui font de l'investissement leur cheval de bataille. Ce sont les ministères, les agences spécialisées telles que l'ANDI, l'ANIREF (ces derniers ont fait des efforts exceptionnels internes d'amélioration de leur mode de fonctionnement), le CNI et le reste. A ce niveau-là, on essaye de fouetter l'investissement sachant que le devenir du pays en dépend. L'après-pétrole pointe le nez alors que le secteur productif hors hydrocarbure tarde à se développer et à prendre la relève. Sans des investissements massifs et de qualité dans l'économie productive, le devenir du pays est hypothéqué. A ce niveau-là, les investissements sont parfois retardés pour des raisons politiques ou idéologiques.
Puisque nous sommes en train de faire l'économie de marché avec des réflexes et des croyances héritées de l'économie planifiée et hyper centralisée, on ferme d'énormes champs d'investissements pour le secteur privé : la navigation aérienne et maritime, les ports, l'audiovisuel et les mégaprojets traînent parce qu'on désire orienter le secteur privé vers des activités de taille marginale. Nous n'avons pas de statistiques précises sur le nombre de ces projets ni sur leurs retombées potentielles sur l'emploi. Mais probablement, les postes de travail perdus se chiffreraient en millions.
Mais ce niveau macroéconomique est tout à fait favorable aux investissements de tailles moyennes et grandes, surtout s'ils ne concurrencent pas les grands monopoles publics. Même si la loi ouvre les portes de la compétition dans de nombreux secteurs qui étaient monopolisés (électricité, etc.), les hésitations sont toujours présentes lorsqu'il s'agit d'octroyer des avantages et des autorisations. Mais pour l'ensemble des projets de taille moyenne initiés par les privés algériens, ce niveau-là serait très favorable. Il leur porte tous les encouragements. Il instruit les niveaux inférieurs (wilayas, daïras ) à apporter tout leur soutien à l'investissement. Ce premier monde ne comprend pas pourquoi ni comment le second monde arrive à bloquer, à faire traîner jusqu'à ce que les projets n'aient plus de sens économique, car dans tout cela il manque la variable temps.
Les décideurs macroéconomiques croient que le niveau inférieur, le monde parallèle numéro deux, est à leur disposition. Il suffit de rédiger et de transmettre une note, une circulaire, n'en parlons pas d'un décret pour que la situation se régule, s'améliore et fonctionne comme ils l'ont prévu. Ils ne peuvent pas s'imaginer un instant les multitudes d'«innovations ingénieuses» et les subterfuges que l'on invente pour faire déraper un projet. Ils ne comprennent pas la logique du second monde. Pour eux toute décision prise, toute directive, toute note ou circulaire est en général appliquée avec grand soin. Ils sont loin de s'imaginer les réflexes, les modes de pensées et les ripostes du deuxième monde.
Le deuxième monde parallèle est micro administratif
Le second monde parallèle a sa propre logique. Nous avons là une multitude d'administratifs qui sont plus victimes que coupables. Ils sont peu formés aux rouages de l'économie de marché, mal payés par rapport à leurs propres exigences et sous motivés. Et on leur donne la possibilité de bloquer des décisions industrielles, parfois de plusieurs dizaines de milliards. C'est là uniquement ou le processus de valorisation et de gratification s'opère. Ne parlons pas de quelques-uns qui vont jusqu'à la corruption. Le phénomène existe. Mais le blocage devient une fin en soi pour plusieurs raisons. Si on gèle des dizaines de projets, on a très peu de comptes à rendre. Par contre, si on débloque un projet qui connaîtra des problèmes par la suite, on risque alors d'être interpellé. On n'a jamais promu ou gratifié un wali parce qu'il a attiré beaucoup d'investisseurs et créé des emplois et de la richesse.
Par contre, au premier accroc industriel qu'il rencontre il peut être inquiété. Bien sûr que les problèmes des assiettes de terrain et du financement posent aussi des problèmes d'un autre genre. Tout est fait pour dépénaliser le blocage et rendre risquée l'opération de facilitation de l'investissement. Par ailleurs, pour un administratif national le temps n'existe pas. C'est une notion théorique inventée par les patrons pour les bousculer. Quelle est la différence entre octroyer une décision maintenant ou six mois plus tard ' Sauf que dans le monde des affaires, qui change trop rapidement, une semaine peut avoir des conséquences terribles sur les fournisseurs et les clients.
Que faire '
Pour que tout se passe normalement, nous avons besoin de faire sauter tous les verrous et les motivations qui incitent au blocage. Nous savons que le Premier ministère a instruit et que le ministère de l'Intérieur a transmis des notes très claires spécifiant que les administrations doivent faciliter l'acte d'investir et de tenir informé le ministère de tout problème. Il y a des milliers de dossiers qui croupissent pour obtenir quelque chose du côté du Calpiref ou des autorisations spécifiques. Mais à aucun moment, aucune explication n'a été donnée à aucune autorité supérieure sur le pourquoi. Il ne faut pas faire croire à nos décideurs que le redressement est simple. Il nécessite de multitudes d'actions précises, concertées et mûrement réfléchies (bureaux d'études, audits, etc.). Il n'y a pas une seule action salvatrice. Vu les pesanteurs existantes, nous aurons besoin de canaliser toutes les informations, sur tous les projets, grands et petits, dans une seule entité, L'ANDI par exemple.
L'opération est décentralisée, mais l'information est centralisée. Les investisseurs remplissent une fiche dont une copie est transmise par Internet à un centre ou l'ANDI. Les projets sont relancés automatiquement auprès des banques et des administrations. Nous aurons alors les statistiques en temps réel sur les «bloqueurs» et on peut même les classer par daïra, wilaya, banque, département ministériel et autres. Un dossier est soit accepté, soit refusé (donner l'argument qui peut être vérifié par des auditeurs spécialistes) ou en cours. S'il demeure trop longtemps dans le pipe, l'institution est identifiée et pénalisée. Ce système ne règle pas tous les problèmes. Mais il nous libérera des milliers de projets qui créeront des millions d'emplois qui éviteront à nos jeunes de s'immoler ou de périr en pleine mer.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)