Algérie

Les deux faces d'un patrimoine



Les deux faces d'un patrimoine
« La vraie Tehouda est ensevelie », explique une jeune fonctionnaire de la direction de la culture de Biskra. Des plaques de signalisation en venant de Chetma ou de Sidi Okba signalent ce lieu d'apparence anodine où s'est pourtant déroulé un événement fondateur de l'histoire du Maghreb. C'est la que Okba Ibn Nafaa et 314 de ses compagnons ont trouvé la mort en 683. Une bataille s'y déroula entre une armée musulmane porteuse du message coranique et des tribus berbères commandées par Koceila. Les légendes s'entremêlent avec l'histoire, car peu d'écrits historiques rapportent les circonstances exactes de ces événements. Nul manuel scolaire, nul chercheur ne sont venus encore exhumer ce que la cité disparue recèle. Fin janvier 1981, le journaliste Tahar Djaout, qui y était de passage, avait écrit un beau texte inséré dans son roman « L'invention du désert » (le seuil 1987). S'il convoque la figure de la Kahina qui, en fait, est morte plus tard et ailleurs, il se désolait de l'anonymat qui recouvrait un lieu aussi emblématique de l'histoire et de la mémoire du pays. « Il existe pourtant des noms qui s'insinuent, ombres fantomatiques, entre les siècles accumulés comme dune », écrit-il d'un lieu qui « n'est même pas vestige ». Le site mirage, « lieu échappé aux inventaires, la première entaille de la berbérie » de l'écrivain a été depuis classé. Un mur entoure les lieux. Une plaque en arabe et en anglais rappelle la bataille qui eut lieu. Quelques objets en pierre sont disposés çà et là. A en croire la fonctionnaire de la direction de la culture, une convention a été signée avec l'université de Bouzaréah pour que des fouilles soient entreprises. Les trésors enfouis sous terre seront répertoriés et conservés. Verra-t-on un jour un musée sur les lieux ' « Il est prévu », dit-elle.Le temps du bétonSidi Okba, cinq kilomètres plus loin, se signale par la verdoyance de ses palmeraies et ses minarets. La ville compte près d'une dizaine de mosquées mais celle où repose Okba ibn Nafaa a une place à part dans le c?ur de ses habitants. Il ne reste, en fait, rien de l'ancienne mosquée visible dans quelques photographies d'époque. Avec la construction d'un centre islamique en 1981 où un peu plus de cent élèves poursuivent des études durant trois ans, tout a été reconstruit. Du vieux quartier qui cernait la mosquée ne subsistent que quelques pans de mur dressés. Quelques troncs de palmier sont encore visibles comme soutien des murs et de la toiture de l'ancienne mosquée. La bâtisse où se trouve le catafalque du conquérant et un peu plus loin ceux des ses compagnons comme Sidi Askar, Sidi Slimane et Abu Muhadjir Dinar, ressemble à tous les lieux de culte du pays. Partout, le béton a remplacé les maisons en pisé dont l'écroulement fait des béances dans le paysage. Il fait surtout de plus en plus ressembler les villes du Sud aux banlieues laides du Nord. Les nouvelles maisons défigurent le paysage et si elles offrent un peu plus de confort, l'abandon des systèmes d'aération traditionnels en a fait des étuves. « Il suffit d'une simple coupure d'électricité pour qu'elles deviennent invivable, surtout en été », nous confirment plusieurs personnes.Abdellah Chérifi est un élève interne de l'Institut islamique. Il vient de Reggane. Ayant échoué au bac, il espère, au terme de sa formation, devenir « Moudarés » (enseignant du Coran). Il perçoit une bourse mensuelle de 6.000 DA qui suffit à peine pour aller rejoindre ses parents, demeurant à 1.600 km. Dix-huit heures de voyage par bus. Il prie, lui aussi, dans la mosquée de Sidi Okba. « Pourtant, quelques élèves tentent de nous dissuader d'y accomplir notre devoir religieux sous prétexte que la prière serait prohibée dans un cimetière où repose un homme, dusse-t-il être « un sahabi ou un tabai », nous confie-t-il . C'est Okba, messager de l'Islam, qui doit se retourner dans sa tombe après des siècles où la foi ne se réduisait pas aux interdictions et au Takfir (excommunication). La sépulture de Koceila, mort plus tard dans les environs de Kairouan au terme d'une bataille perdue cette fois-ci, demeure, elle, introuvable et inconnue.




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