Algérie

Les défis du président de la République : bonne gouvernance et réformes structurelles



Selon l'APS en date du 18 janvier 2019, en application de l'article 136 de la loi organique relative au régime électoral, Abdelaziz Bouteflika, président de la République a pris un décret présidentiel convoquant le corps électoral pour l'élection présidentielle qui se déroulera le jeudi 18 avril 2019 qui, contrairement à certaines supputations, n'est pas ajournée.Dès lors, le futur président de la République aura deux choix face aux enjeux et mutations géostratégiques : soit approfondir les réformes structurelles, renvoyant à la volonté politique, soit aller vers la régression dans la mesure où il faut raisonner en dynamique, la situation statique, certains parleront faussement de statu quo, n'existant pas tant en sciences sociales qu'en sciences exactes, le monde étant en perpétuel mouvement.
1- Cependant, il ne faut pas avoir ni une vision d'autosatisfaction contraire à la réalité ni une vision de sinistrose : beaucoup de réalisations, mais des insuffisances qu'il s'agit impérativement de corriger. Cela suppose un bilan serein de tout ce qui a été réalisé et ce qui reste à faire pour corriger les erreurs du passé, et ce, par un langage de vérité loin de toute sinistrose, une visibilité et cohérence dans la démarche des réformes et une nette volonté politique de changement. Il y va de la sécurité nationale.
Les décennies qui ont marqué la vie politique et économique de bon nombre de pays du tiers monde, qui malgré des ressources naturelles considérables n'arrivent pas à asseoir une économie diversifiée dans le cadre des valeurs internationales, dont l'Algérie, me réconfortent aujourd'hui dans ma conviction, qui consiste à dire que le développement n'est pas une affaire de quincaillerie industrielle, de signes monétaires, tant par l'importance des réserves de change, ou de dépenses monétaires, sans se soucier de la bonne gestion ? dépenser sans compter ? et de la démocratisation. Cela doit concerner avant tout la bonne gouvernance, intimement liée à la moralité des institutions et des personnes chargées de gérer la cité.
Cela conditionne la lutte contre la corruption, qui prend des proportions alarmantes, la considération du savoir, le respect et la promotion de la femme, la symbiose des apports de l'Orient et de l'Occident grâce au dialogue des cultures, qui a fait la prospérité du monde arabe et musulman à une certaine période historique. Cela passe par une visibilité et une cohérence dans la démarche, une politique socioéconomique cohérente, permettant de concilier l'efficacité économique et l'amélioration du pouvoir d'achat en tenant compte des nouvelles mutations du monde où toute nation qui n'avance pas recule.
2- La bonne gouvernance se conjugue toujours au présent, se chante selon les hymnes des cultures et se vit comme une harmonie entre la force et la politique. La bonne gouvernance se vérifie dans la vision et les convictions des vrais acteurs et leurs capacités réelles à entreprendre les actions appropriées et engager la société dans la voie de l'efficacité et de la modernité fécondes et intelligentes. La transition démocratique réussie sera sans doute difficile, avec une possibilité d'interférences tant de forces occultes locales liées à la rente qu'étrangères pour faire échouer ce processus. Le régime algérien doit s'engager dans une transition démocratique pacifique.
Comme le notait le brillant économiste indien et Prix Nobel d'économie, A. Sen, il ne peut y avoir de développement dans le temps sans démocratie, tenant compte des anthropologies culturelles des sociétés, l'Etat de droit pouvant être une étape intermédiaire. Espérons pour les générations futures, pour les intérêts supérieurs du pays, que l'on tienne compte des profondes pulsions de la société algérienne qui aspire à plus d'efficacité économique et à une profonde justice sociale, les sacrifices futurs devant être partagés, supposant une profonde moralisation de ceux qui dirigent la cité.
Cette transition démocratique, pour plus de développement, plus d'espaces de liberté, suppose de nouveaux réseaux qui dynamiseraient celles conservatrices, les actuels montrant leurs inefficacités, car vivant du transfert de la rente des hydrocarbures, incapables de mobilisation et de sensibilisation. Cela se traduit par le divorce Etat-citoyens et laissant face à face, en cas de manifestations, la population aux services de sécurité, ce qui est nuisible à la sécurité du pays, qui est l'affaire de tous.
3- Pour l'Algérie, la gestion volontariste depuis l'indépendance, les enjeux de pouvoir internes, la crise économique, sociale et culturelle et enfin les contraintes externes de plus en plus pesantes ont abouti à des changements menés parfois à la hussarde, qui ont révélé une réalité bien amère : l'absence dramatique d'une véritable stratégie nationale d'adaptation à ce phénomène total et inexorable qu'est la mondialisation. La conjonction de facteurs endogènes et exogènes et l'intervention parfois directe et par moment insidieuse, d'acteurs internes et externes, a abouti à une transition qui se traîne en longueur depuis des décennies et non pas seulement pour la période actuelle.
La réussite des réformes institutionnelles et l'optimalisation de la dépense publique impliquent plus de décentralisation à ne pas confondre avec l'avatar néfaste du régionalisme et de la déconcentration qui renforce la bureaucratisation ainsi que de nouvelles formes de protection sociale. Car les réformes en profondeur du fonctionnement de la société algérienne et non des replâtrages organisationnels, impliquant d'analyser avec lucidité les relations dialectiques réformes et les segments de la production de la rente (Sonatrach) et celui de sa redistribution (système financier), bouleversent des intérêts, les gagnants de demain n'étant pas forcément ceux d'aujourd'hui.
Lorsque la valeur de la rente des hydrocarbures s'accroit, paradoxalement les réformes sont freinées et l'on assiste à une redistribution passive de la rente pour une paix sociale éphémère avec l'extension de la corruption et une concentration excessive du revenu national au profit d'une minorité rentière. Ce couple contradictoire des forces politiques, économiques sociales défendant la rente ou les réformes explique l'instabilité juridique et le manque de cohérence et de visibilité dans la réforme globale.
4- L'Algérie ne peut revenir à elle même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d'innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de promotion sociale. Ne nous trompons pas de cibles, pour paraphraser le langage militaire. L'on devra différencier stratégie et tactique en ce monde turbulent et instable supposant des stratégies d'adaptation tant internes que géostratégiques avec la quatrième révolution mondiale économique qui s'annonce entre 2020 et 2030. L'Algérie n'a pas d'autre choix que d'accélérer les réformes structurelles, microéconomiques et institutionnelles, condition de la stabilité macroéconomique, si elle ne veut pas épuiser ses réserves de change et aller au FMI à l'horizon 2022.
D'une manière générale, l'Algérie sera ce que les Algériens voudront qu'elle soit. Aussi, sur le plan interne, comme je l'ai suggéré déjà en 2016 lorsque j'ai été invité comme personnalité nationale au moment de la révision de la Constitution, un large front social tolérant les différences, personne n'ayant le monopole du nationalisme, une grande conférence nationale pour tracer les perspectives futures de l'Algérie. Je me félicite que cette proposition ait été retenue par la suite tant par les partis du pouvoir que de l'opposition. Mais pour éviter les susceptibilités et les guerres de leadership de certains partis, au détriment de l'intérêt général, cette conférence, souhaitable après l'élection présidentielle, devrait être chapeauté par un collège restreint de sages «indépendants» et non par des partis politiques, et ce, au sein d'une institution neutre avec l'implication de la société civile dans toute sa diversité.
Car le défi de l'Algérie est l'alternance démocratique et une économie de marché concurrentielle à finalité sociale tenant compte de notre authenticité, afin d'arriver à une économie diversifiée hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales avec l'avènement de la quatrième révolution économique mondiale 2020/2030 qui risque de provoquer d'importants bouleversements géostratégiques qui auront un impact sécuritaire, politique, économique, culturel et social sur le devenir de l'Algérie.
En résumé, l'Algérie ne traverse pas une crise financière mais une crise de gouvernance, risquant, si l'on n'y prend pas garde, de se transformer en crise financière horizon 2022. Dans ce cadre, je considère que le rôle tant de l'intellectuel ou de tout haut cadre de l'Etat et quelque soit le niveau de responsabilité, n'est pas de fonctionner aux ordres, de produire des louanges par la soumission qui est contre-productive pour le pouvoir lui-même en contrepartie d'une distribution de la rente, mais d'émettre des idées constructives, selon sa propre vision du monde, par un discours de vérité pour faire avancer la société.
Méditons ces réflexions pleines de sagesse de John Maynard Keynes grand économiste du XXe siècle pour qui «il vaut mieux que l'homme exerce son despotisme sur son compte en banque personnel que sur celui de ses concitoyen», du grand philosophe Aristote : «Le doute est le commencement de la sagesse» et de ce proverbe amazonien «quand on rêve seul, ce n'est qu'un rêve mais quand on rêve tous ensemble, c'est déjà le commencement de la réalité».
Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités, expert international


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