Algérie

Les «cuillères d'or» !



Ali assiste à une veillée mortuaire, le regard absent. En face de lui, des tolbas psalmodient des versets du Coran pour le repos de l'âme du défunt. Le corps de ce dernier venait d'être levé vers sa dernière demeure, comme on lève une séance d'une réunion ennuyeuse. Personne n'écoute les tolbas, le plus important, c'est la prière d'El-ïcha, parce que juste après, on fait entrer les tables pour servir à boustifailler. Les regards s'aiguisent en quête de l'entrée de la première table basse. En rangs serrés, les «invités» se mettent à cinq par table (khamssa-Khamssa). Les «cuillères d'or» se mettent en pole position, pour être servies en premier. Soudain, la première table apparait au pas d'une porte, le bruitage des cuillères brouille la conversation entre les nombreux «convives». Ali continue à balayer de son regard l'assistance occupée à se remplir la panse. Le souvenir du mort est déjà loin. Une fois repus, tous ceux supposés être venus pour témoigner leur sympathie à la famille du défunt, se remettent à palabrer, sans aucun respect pour les tolbas, récitant des versets du Livre saint. Thé ou café à la main, chacun y va de son histoire au moment où les membres de la famille du défunt débarrassent les tables. Les restes de soda, d'eau minérale ou de fruits sont mis dans des sachets et emportés en catimini par certains «convives». Assis dos au mur, un homme d'un certain âge, s'adresse à ses copains de tablée : «quel bonheur !, vous savez, j'ai rencontré un copain au cimetière, je l'ai perdu de vue ça fait trente ans, wallah j'ai eu les larmes aux yeux !», arrachant une moue dubitative à ses amis, occupés à curer leurs chicots après avoir fait bombance. Un autre, tout en s'essuyant les babines avec un mouchoir en papier, lâche, sûr de lui : «il y a de pauvres gens qui ne mangent pas de viande à longueur d'année, sauf dans les mariages ou chez les familles des morts ; il faut les comprendre ya el khawa !». La veillée mortuaire terminée, les cuillères d'or» mettent déjà leurs oreilles en orbite à la recherche de l'annonce d'une... autre personne décédée, pour commencer à aiguiser leurs «casse-couverts»... Entre nous, il n'y a pas pire punition que de donner des auges à astiquer à une personne terrassée par une faim de fauve !


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