Algérie

Les croisades de M. Djaaboub


Le ministre du Commerce s'est engagé dans une croisade contre la contrefaçon, contre l'OMC et contre l'Union européenne. Il reste à savoir qui en seront les vraies victimes.

L'Algérie réinvente le commerce. Entre les négociations d'adhésion à l'OMC, l'application de l'accord d'association avec l'Union européenne et l'entrée dans la zone arabe de libre-échange, le pays est engagé sur plusieurs fronts. M. Hachemi Djaaboub l'affirme clairement.

L'Algérie, dit-il, est «décidée à aller de l'avant dans son intégration au niveau mondial. Nous sommes à un niveau très avancé dans nos négociations avec l'OMC».

C'est, du moins, ce qu'énonce le discours officiel. Car sur le terrain, les choses sont quelque peu différentes. M. Djaaboub reconnaît lui-même les difficultés à intégrer l'OMC, comme les graves conséquences de l'accord d'association avec l'Union européenne.

Est-il d'ailleurs possible de nier cette réalité quand les chiffres sont aussi alarmants, les pratiques aussi terrifiantes et les bilans toujours aussi faibles ? Il suffit de voir ces gigantesques trafics aux frontières, dans les ports et aéroports, ainsi que le poids de la contrebande qui menace d'emporter toute l'économie algérienne, pour comprendre que l'Algérie est loin d'avoir réussi ses paris dans le commerce extérieur.

En fait, tous les dossiers OMC, UE et zone arabe de libre-échange, constituent des bombes à retardement, en raison de la faiblesse de l'économie algérienne, et du délabrement des institutions supposées la prendre en charge. A cela, s'ajoute une attitude totalement incohérente des dirigeants chargés du dossier. D'une part, ils affirment que l'Algérie est résolue à «aller de l'avant» pour adhérer à l'OMC et appliquer l'accord avec l'Union européenne; d'autre part, ils étalent les difficultés objectives qui empêchent cette démarche, et qui menacent de détruire l'économie algérienne. D'un côté, les responsables reconnaissent que ça ne marche pas, et de l'autre côté, ils affirment qu'il faut continuer ! Quand ils n'ont pas recours à ces vieilles recettes consistant à tout rejeter sur l'étranger: M. Djaaboub a ainsi accusé l'Union européenne de ne pas aider l'Algérie à adhérer à l'OMC !

L'accord d'association avec l'UE comporte donc des lacunes, que le ministre se propose de corriger en janvier 2010, date à laquelle cet accord doit être passé en revue. Mais entre-temps, l'économie algérienne aura payé un lourd tribut: l'ouverture aux produits européens a laminé la production locale, sans que l'économie algérienne puisse tirer profit de la situation. Un «capitaliste» algérien résume cette situation d'une phrase: importer est devenu plus intéressant que produire.

Un seul chiffre suffit pour résumer cette situation: pour vingt dollars importés d'Europe, l'Algérie n'exporte qu'un seul dollar. Les importations algériennes en provenance d'Europe ont augmenté de près de 80 pour cent en trois ans, passant de 11,2 milliards de dollars en 2005 à 20,8 milliards de dollars en 2008.

Avec ce bilan de l'accord d'association avec l'Union européenne, qu'attendre d'une éventuelle adhésion à l'OMC ? L'aventure risque évidemment de se révéler encore plus hasardeuse. Mais notre ministre tient bon. Reprenant haut le flambeau du nationalisme, il déclarait, en décembre dernier, que l'Algérie n'était pas prête à faire des concessions supplémentaires pour adhérer à l'OMC.

Les raisons de ces échecs sont multiples. On peut en citer une: l'Algérie réussit à transformer des atouts en handicaps.

Ainsi, l'adhésion à l'OMC et l'accord avec l'Union européenne peuvent constituer une solution pour sortir l'économie algérienne de la crise. Sur la base des exigences de l'UE et des questions posées par l'OMC, les entreprises algériennes peuvent apprendre progressivement dans quelle direction il faut aller, pour devenir performantes. Sur une décennie, elles peuvent mener et réussir les réformes nécessaires. Mais en Algérie, les institutions sont faibles, l'administration inexistante, et les décisions ne s'appuient sur aucune vision politique. Pire: ces décisions répondent parfois à des besoins externes, non à des besoins de l'économie algérienne. Ainsi, après avoir pris le contrôle du marché algérien, et après avoir dopé les importations, les grandes marques automobiles veulent aujourd'hui imposer de nouvelles règles pour se protéger de la concurrence. Au nom de la lutte contre la «contrefaçon» et de la protection du consommateur algérien, elles veulent imposer au ministère du Commerce de nouvelles règles pour l'importation de la pièce détachée.

Et, curieusement, le ministère est prêt à satisfaire cette demande, qu'il a endossée, et qu'il présente comme sa propre revendication ! Il faut dire que ce ministère a une capacité étonnante à développer une pensée rudimentaire. Ainsi, un cadre chargé du contrôle de qualité au ministère du Commerce a déclaré qu'il «n'est pas normal que des véhicules européens circulent avec des pièces de provenance de Chine». Il prône donc l'achat de pièces détachées du seul pays d'où est originaire le véhicule !

Connaissant la structure de l'industrie automobile, il est difficile de faire mieux dans l'absurde. Mais au ministère du Commerce, on peut toujours faire mieux. Ainsi, un autre haut responsable du même ministère a préconisé une solution radicale: «Désormais, tous les produits importés doivent être certifiés par les sociétés mères». Comme si un bout de papier pouvait régler le problème de la qualité.

Ces mesures sont destinées à lutter contre la contrefaçon, selon M. Djaaboub. Mais là aussi, grosse surprise: les produits de contrefaçon proviennent de Chine, des Emirats arabes unis, avec les fameux marchés de Dubai, mais aussi d'Algérie ! Un cadre du ministère du Commerce, cité par la presse, estime en effet que près de 60% de la production algérienne relève de la contrefaçon ! Interdire les produits de contrefaçon reviendra, au bout du compte, à interdire des produits algériens.

Même M. Djaaboub ne s'y retrouvera pas. A moins qu'il ne décide de changer de perspective, et de regarder les choses autrement: la contrefaçon n'est pas dans la pièce détachée, mais peut-être se trouve-t-elle au Parlement et au gouvernement, selon la formule d'un ancien officier de l'ALN, M. Lakhdar Bouragaa.

 

 


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