L'ampleur d'une tragédie se mesure par l'importance des dégâts qu'elle cause à la collectivité nationale. C'est ainsi que l'on peut évaluer l'importance des méfaits causés par la colonisation française dans notre pays.
La révolution algérienne (1954-1962) n'est que l'ultime round clôturant les différents soulèvements qui se sont déroulés dans les différentes régions du pays. Le peuple algérien, qui a subi dans sa chair les affres du colonialisme moribond, a été conscient, depuis les premières années de l'occupation française, de ce qui va lui être réservé s'il ne prend pas en main sa destinée et s'il ne se soulève pas contre cette funeste entreprise qu'il subit depuis les temps les plus reculés. La stratégie d'occupation ne pouvait pas être du goût de notre peuple qui avait «son expérience» dans la lutte et qui était rompu et aguerri à ce genre de méthodes, depuis que le monde est monde : de la conquête phénicienne jusqu'à l'occupation française.
Les «bienfaits de la colonisation» prônés par le gouvernement français ne peuvent pas être tolérés, par nous-mêmes, du fait de notre civilisation ancestrale qui a de tout temps été sous les serres de colonialismes abjects allant des Romains aux Français. Avant 1830, le peuple algérien n'était pas arriéré comme le laissent entendre certains milieux colonialistes pour prétendre de l'avoir civilisé. Les sources que nous avons consultées sont les leurs et rapportent exactement le contraire. Ainsi, si l'on se réfère au rapport présenté par Tocqueville devant la Chambre des députés, on note que l'auteur du rapport reconnaît l'arriération subie par l'Algérie en 17 ans d'occupation de 1830 à 1847 : «dans la ville de Constantine, il existait 90 écoles primaires au début de la colonisation, en 1837 il ne restait que 30 écoles» (dixit le général Bedeau cité par Tocqueville dans le même rapport (1). Le ton est donné, un processus de destruction et de déculturation a été ainsi entamé dès les premières années de l'occupation française. Le vrai visage du colonialisme est donc celui-ci, sa couleur et sa vraie mission sont annoncées car pour le pouvoir français, «on ne peut étudier les peuples barbares que les armes à la main».
La stratégie de colonisation de peuplement, subie par notre pays, a été une donnée de départ et la dévastation et la déportation des tribus autochtones ont été l'objectif. Le même auteur reconnaît le désastre commis sur la tribu des Righas qui a été déportée vers l'ouest du pays, dans sa globalité et leur territoire a été peuplé par une autre population ramenée d'ailleurs, donc d'une autre tribu déportée elle aussi. C'est ainsi un processus de déportation en chaîne qui a été entamée dès 1830 jusqu'à la guerre de Libération nationale. Cette politique de désagrégation et de déstructuration des entités traditionnelles a été poursuivie durant les 132 années qu'a duré la colonisation. Ces faits ne sont qu'une «chronique» d'une mort annoncée qui a été réservée au peuple algérien, pour paraphraser Gabriel Garcia Marquez.
L'étude de ce même rapport montre que l'administration coloniale a créé des castes auxquelles elle a donné un pouvoir matériel (pour répression) sans pouvoir leur assurer un pouvoir moral et une foi qui puissent leur conférer une quelconque autorité sur le peuple algérien. Ceci est un échec du processus de colonisation abjecte qui a créé des «structures » artificielles qui ne pouvaient pas supplanter les entités ancestrales par leur simple vouloir. Le pouvoir moral ne se donne pas, il est dans la dignité de la majorité du peuple qui se résigne parfois mais ne baisse jamais les bras.
La politique de division adoptée dès les premières années n'a pas donné les résultats escomptés. Le même auteur écrit : «L'Algérie possède ce bizarre phénomène d'un pays divisé en deux contrées entièrement différentes (le Tell et les Hauts-Plateaux) l'une de l'autre et cependant absolument unies entre elles par des liens indissolubles et étroits.» Cet aveu montre l'inquiétude des parlementaires colonialistes quant à la mentalité et l'esprit de l'Algérien. Pour briser cette nature algérienne, ils recommandent de poursuivre le processus de colonisation de peuplement par une guerre qui va «renverser les individualités qui pourraient nous (les colonialistes) faire ombrage, briser violemment toutes les résistances, épuiser le pays, diminuer ces habitants, détruire ou chasser la noblesse militaire ou religieuse».
C'est tout un programme d'aliénation et d'humiliation qui a été concocté par le pouvoir colonialiste afin de brimer notre peuple. La stratégie est ainsi annoncée et elle a été mise en exécution à leur débarquement. C'est une feuille de route qui est ainsi appliquée et notre peuple a subi toutes les exactions, brimades et humiliations, en plus des déportations internes et des décimations entières de tribus, ksars, villages et villes.
Les partisans de la France coloniale sont parfois déçus lorsqu'ils entendent quelqu'un des leurs, en l'occurrence Tocqueville, qui leur dit que l'Algérie conquise :
• dispose d'«une population qui n'est pas nomade mais seulement plus mobile de celle d'Europe» ;
• est «une société musulmane qui n'est pas incivilisée».
Le mythe de l'Algérien bédouin, inculte et barbare, est ainsi balayé d'un revers de main. Et dénonce leurs hauts faits de guerre en écrivant aussi : «Nous avons détruit les établissements charitables, laisser tomber les écoles,… Autour de nous, les lumières se sont éteintes,…. C'est-à-dire que nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée et plus ignorante et plus barbare qu'elle n'était avant de nous connaître.»
«Nous enveloppions leurs populations, non pour les élever dans nos bras vers le bienfait et la lumière, mais pour les étreindre et les étouffer.»
Ce constat fait par Tocqueville a été alarmant. Il a quand même servi aux fervents défenseurs de la colonisation de peuplement pour mettre au point une stratégie d'occupation très féroce.
Depuis 1830 jusqu'à l'indépendance en 1962, il y avait perpétuation de la même stratégie d'anéantissement et d'avilissement de l'Algérien, inscrite dans la «feuille de route» de la colonisation. Les différents soulèvements organisés dans toutes les régions d'Algérie sont une réponse sans appel à ceux qui croient en la mission «civilisatrice» de la colonisation et qui pensent que le peuple algérien ne réagit pas face à l'ignoble tragédie perpétrée contre lui.
En face de cette stratégie, il y avait un peuple redoutable, attaché à sa culture, ses frontières, sa civilisation ancestrale qui, avec des moyens dérisoires, a eu raison de l'une des plus grandes puissances coloniales et industrielles pour qui «le seul dialogue, c'est les armes».
Ceux-là mêmes qui prônent leurs bienfaits se doivent d'être «condamnés» à la relecture de l'Histoire car quoi que l'on dise, le rapport présenté par Tocqueville pour les parlementaires est très parlant car il rend compte de la situation de notre pays, en 1947, d'une façon qui démontre exactement le contraire de ces soi-disant bienfaits. Les réponses peuvent être trouvées dans les différents charniers exhumés à partir de 1962 à ce jour encore, si on ose les questionner sur les mobiles des exactions commises et les auteurs de ces massacres.
Arezki Zerrouki
(1) Document consulté : Premier rapport sur l'Algérie : Extrait du premier rapport sur les travaux parlementaires de Tocqueville sur l'Algérie en 1847 : document produit en version numérique par J.M. Tremblay, professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi (Canada).
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Posté Le : 26/01/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Le Soir d'Algérie
Source : www.lesoirdalgerie.com