Algérie

les cours de morale ' Une supercherie La chronique de Maurice Tarik Maschino



les cours de morale ' Une supercherie La chronique de Maurice Tarik Maschino
Ils bavardent, s'interpellent bruyamment pendant les cours, s'envoient des textos, répondent grossièrement à l'enseignant, quand ils ne l'injurient pas : il est grand temps, semble-t-il, d'éduquer ces «sauvageons», et leur apprendre les règles élémentaires de la morale. Ainsi en a décidé le ministre français de l'Education nationale, qui vient de faire de la morale une matière d'enseignement : il y aura des cours de morale, des devoirs de morale et, aux examens, une épreuve de morale. Voilà, paraît-il, qui changera le comportement des élèves et leur donnera figure humaine. Cet optimisme est-il justifié ' Les projets antérieurs n'ont eu aucune suite : en 2008, un arrêté qui fixe le programme des cours de morale n'a pas été appliqué, en 2011, la circulaire qui incite les enseignants à «consacrer tous les matins quelques minutes à un petit débat philosophique» (sic) n'entrera pas en vigueur.Indifférence du ministère, des enseignants ' ou prise de conscience de l'absurdité du projet ' On peut, assurément, faire des cours de morale comme on fait des cours de grammaire ou d'histoire. Expliquer aux élèves qu'il faut respecter son prochain, ne pas mentir, ne pas voler, ne pas copier, ne pas se droguer' On peut leur asséner, à longueur de séances, un certain nombre d'évidences, mais s'imaginer qu'ainsi on moralisera leur comportement est une sottise ou un mensonge. Jamais, tout au long de l'histoire, le savoir n'a produit spontanément un savoir-faire, jamais bien juger n'est devenu automatiquement un bien faire.
Pendant des siècles, les prêtres, lors des cours obligatoires de catéchisme, ont répété aux fidèles qu'il fallait pratiquer la charité et l'humilité, tendre la joue droite quand la gauche recevait une gifle, «aimer son prochain comme soi-même» ' ce qui n'a nullement empêché les chrétiens de mentir, voler, violer, se saouler, s'entretuer, massacrer des innocents, assujettir d'autres peuples. Le jugement rationnel n'a aucune prise sur les émois pulsionnels, la raison ne peut rien contre les passions ' elle a mille ruses, au demeurant, pour les justifier et les exacerber ' et ce n'est pas en expliquant à un élève qu'il ne faut pas tricher lors d'un examen qu'on l'empêchera de consulter ses antisèches.
La morale ne peut-elle donc pas s'apprendre ' Bien sûr que si, mais certainement pas par le biais d'une leçon. Rousseau l'a bien compris qui, pour inciter Emile à respecter le bien d'autrui, a imaginé que son élève trouvait un jour totalement saccagé le jardinet qu'il entretenait avec amour. Désespéré, ne serait-il pas plus à même de comprendre qu'il ne devait pas faire à autrui ce qu'on venait de lui infliger ' Peut-être : l'épreuve peut modifier notre regard, mais, plus généralement, ce qui incite un enfant à se conduire moralement, c'est la conduite exemplaire de son entourage. L'enfant mûrit et se forme par une série d'identifications et si, autour de lui il ne voit qu'exemples à suivre ' des parents qui se respectent font preuve d'intelligence et d'ouverture, entretiennent avec leurs voisins des relations de sympathie ou d'amitié ', il y a de grandes chances qu'il intériorise, sans même le savoir, des schémas relationnels positifs et ne voit pas dans les autres, a priori, des ennemis. Tels parents et, le plus souvent, tels enfants.
Mais si les jeunes, en écoutant la radio, en regardant la télé, découvrent que le quotidien des adultes est fait de tromperies et de mensonges, s'ils constatent que les plus hauts personnages de l'Etat se conduisent comme des voyous, accaparent les richesses du pays, mentent au peuple et le grugent, par quel miracle se conduiraient-ils en honnêtes gens ' L'espérer, c'est vraiment les prendre pour des naïfs ou des idiots.
Le poisson, dit-on, pourrit par la tête, mais quand la tête est pourrie, la pourriture gagne l'ensemble du corps. C'est ce que montre Brecht dans l'une de ses pièces : un homme et son valet marchent en plein désert. Le soir, croyant que la gourde de son maître est vide, le valet s'apprête à lui porter la sienne. Le maître le voit approcher, croit qu'il veut l'assommer, prend les devants et le tue : dans un monde d'oppresseurs et d'opprimés, l'opprimé, s'il se veut moral et généreux, risque sa vie. Les responsables politiques en sont parfaitement conscients, et s'ils accordent tant d'importance à l'enseignement de la morale, c'est avec l'espoir, malgré tout, que cet enseignement contribuera à anesthésier les citoyens et leur donnera, s'ils tentent de se révolter, un sentiment de culpabilité qui les retiendra de prendre leurs fourches ou leurs fusils.
Depuis qu'ils existent, les cours de morale n'ont qu'une finalité : soumettre les citoyens aux exigences du pouvoir et prévenir toute révolte. Au XIXe siècle, ces cours apprenaient aux garçons à être de «bons soldats», aux jeunes filles à «aider les hommes à partir à la guerre et à s'occuper du foyer sans se plaindre s'ils ne revenaient pas». Il s'agit aujourd'hui de faire de «bons citoyens» qui acceptent sans rechigner les inégalités croissantes de revenus et de patrimoine, la marée noire du chômage, l'absence d'avenir pour la majorité des jeunes. Et le tout, bien entendu, au nom des «valeurs de la République».


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