Algérie

Les couleurs en transe



Chegrane pousse doucement les battants d'une porte devenue le miroir indécent d'une nature coquette qui défie la rigueur et réussit à la faire sourire.

Il arrive à saisir l'hilarité pour le oins singulière d'un rire encore mouillé par son cynisme. Les couleurs ne sont plus, alors, que les fards d'intrigues difficilement couvées. Il jette un regard affectueux sur des âmes en peine et inonde leur égarement d'un bleu assombri.

 D'autres êtres, perturbés, aux visages embrasés par un rouge en feu, gesticulent pour prouver leur attachement à la vie. Une vie que l'artiste ne conçoit qu'en couple et parfois en couple dans le groupe comme pour montrer que l'échange est au souffle humain ce que le frottement est à l'étincelle. Et si les contours filiformes laissent libre cours à l'exercice de l'imagination, une profusion de couleurs vives et soutenues vient toujours à la rescousse de la pudeur.

 L'imbroglio des formes des corps et des gestes prend des tonalités acidulées et capiteuses pour communiquer au regard son insoupçonnable énergie. Des têtes interchangeables affublent des corps anguleux toujours en mouvement et ne devant leur équilibre qu'à l'harmonie d'un orange bienveillant adouci par des percées jaunes.

 Des silhouettes inquiétantes peuvent, aussi, surgir d'une atmosphère en houle dont le bleu, même éclairci, n'arrive pas à cacher la violence. Les lettres voyagent à la place des hommes, mais ne peuvent se poser dans des cités cossues, jalouses de leur histoire qui s'ennuie dans les palais.

 Rien ne semble pouvoir arrêter les envolées chaudes et dynamiques qui jaillissent du trio de saxophones dressés vers le ciel. Alternant l'alto et le baryton, les ténors solidement campés sur des échasses croisées dénotent, par leur application, dans un milieu enjoué et insouciant.

 Leurs complaintes savamment dosées se diluent très vite dans un bleu ondoyant piqué d'un rouge indolent, imperméable à la mélancolie.

 La nature luxuriante s'amuse à inscrire ses couleurs dans des formes géométriques que lui souffle à l'oreille un soleil à peine réveillé.       Des colombes blanches, insensibles aux notes soutenues qui leur disputent les airs, enchaînent leurs vols sur un rythme venu d'ailleurs. Le sol, joliment habillé par un tapis dont les couleurs langoureuses atténuent la rigueur et la discipline des motifs, tient à rappeler au ciel qu'il est le gardien de sa mémoire.

 Tiraillé entre le cÅ“ur et la raison, Chegrane nous rappelle savoureusement qu'il ne suffit pas d'être audible pour être crédible. La mélodie non incarnée peut s'entendre mais ne s'écoute pas. De toute façon, la nature a des munitions que l'art incantatoire n'a pas.

 Dès lors si l'art peut aider l'homme à échapper à sa finitude, ce n'est pas par l'évasion, mais par la possession. Et Chegrane s'y applique avec bonheur.








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