Algérie

Les Conseils de presse sont-ils une solution'



Les Conseils de presse sont-ils une solution'
Pour aborder cette question, notre référence est, bien sûr, constituée des textes législatifs en vigueur en Algérie et les instructions de Monsieur le président de la République. Cette contribution se veut une «analyse» juridique comparative des systèmes de régulation «échantillons-modèles», si l'on peut dire, et pourrait constituer une plate-forme juridique de réflexion à enrichir.La loi organique n° 12-05 du 18 Safar 1433 correspondant au 12 janvier 2012 relative à l'information traite dans ses articles 40 à 51, de l'autorégulation de la presse écrite. Elle traite de la profession de journaliste, de l'éthique et de la déontologie dans ses articles 73, 75, 76, 80, 84, 92, 93, 94 à 99.
Donc la loi algérienne relative à l'information institue deux entités ou institutions, chargées de la régulation de la presse écrite et les deux entités peuvent prévoir et prononcer des sanctions à l'encontre des contrevenants aux règles d'éthique et de déontologie. Ces deux entités font, à notre avis, double emploi du point de vue de la régulation et de l'autorégulation. Mais il faut, cependant, appliquer la loi organique d'une part, et l'instruction de Monsieur le président de la République, qui a rappelé, à l'occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, la nécessité de mettre en place l'autorité de régulation de la presse écrite.
Origine, motivation, rôle, composition, mode de fonctionnement, influence des Conseils de presse varient d'un pays à l'autre. Une constante demeure: depuis la crise de crédibilité qui frappe la profession de journaliste, ils sont de plus en plus sollicités par le public, comme par les professionnels des médias inquiets pour l'avenir de leur métier.
Le succès des Conseils de presse est incontestable. Cette dernière décennie le montre clairement: le nombre de plaintes enregistrées et de cas traités n'a jamais été aussi important.
Si la raison d'être des Conseils de presse se confirme de jour en jour, leur efficacité, en revanche, est souvent remise en question.
Un rapide retour historique nous permettra d'abord de revenir aux différents «socles»déontologiques de la profession, pour ensuite dresser un état des lieux avec l'un des meilleurs connaisseurs des instances de régulation des médias, le professeur Claude-Jean Bertrand, pionnier dans ce domaine.
Si l'expansion des Conseils de presse est indiscutable, de quelle instance s'inspirer lorsqu'on est à la recherche d'un modèle idéal pour la régulation de la presse'
Nous nous attarderons sur deux modèles francophones, qui ont inspiré ces dernières années la création de plusieurs instances similaires: le Conseil suisse de la presse (CSP)et son homologue, le Conseil de presse du Québec (CPQ).
Tous deux ont été fondés au milieu des années 1970. Tous deux sont connus et globalement respectés pour le sérieux de leurs prises de position. Plusieurs observateurs, qu'ils soient journalistes ou extérieurs à la profession, émettent cependant des réserves quant à leur réelle aptitude à veiller au respect des règles déontologiques de la profession.
Quels sont les points forts de ces deux organismes de régulation des médias' Leurs lacunes' Le fonctionnement du modèle suisse a encore été remis en cause lors de deux importantes réunions de concertation organisées en septembre et novembre 2007 sous l'égide de la Fédération suisse des journalistes, Impressum, organisation faîtière de la profession (chapitre III). Concernant le modèle québécois qui distribue des«blâmes», une incursion outre-Atlantique montre que lui aussi peine à faire publier ses recommandations dans la presse écrite concernée.
Faut-il confier plus de pouvoir et davantage de moyens financiers aux Conseils de presse' Mieux intégrer les représentants du public' Faire participer des représentants de l'Etat' Le débat est ouvert.
Les codes et chartes déontologiques
L'activité du journaliste est une activité apparemment très libre, laissant passablement d'initiatives, tant dans le choix des sujets que dans leur traitement. En réalité, cette liberté est certainement moins étendue que ne l'imaginent ou ne le prétendent les journalistes eux-mêmes, qui vivent leur métier comme une profession libérale alors que la plupart d'entre eux ont un statut d'employés.
Mais surtout, le journalisme est une activité encadrée par un certain nombre de règles. Ces règles opèrent à trois niveaux: au niveau du droit;au niveau de l'entreprise médiatique; au niveau de la profession 4».
Cette définition du professeur de journalisme et médiateur Daniel Cornu pose d'emblée le fond du problème. Jour après jour, nous constatons les dérapages d'une profession pourtant investie d'une«noble mission»: celle d'informer le public et de constituer, par là-même, un des rouages fondamentaux de la démocratie. Il existe pourtant des règles, des garde-fous.
Les premières chartes, fixant sur le papier les codes déontologiques du métier, sont apparues dès le début du XXe siècle.
Les spécialistes de la déontologie des médias insistent sur ce point: les journalistes ont tout à gagner en se fixant spontanément des règles précises concernant leurs pratiques professionnelles. En agissant à la base, ils préviennent des risques de dérapages qui pourraient leur valoir des sanctions de leur hiérarchie, ou d'un tribunal.
Il faut voir là l'origine même de la déontologie du journalisme, née de «la nécessité de protéger les journalistes et de définir leur place et leur fonction à l'intérieur de leurs entreprises.
Cette nécessité est aussi celle de«protéger les journalistes contre les rigueurs de la justice en prévenant certaines infractions, notamment les délits contre l'honneur; l'idée étant qu'il est préférable de s'imposer spontanément une certaine discipline plutôt que de subir la contrainte des lois et des tribunaux». Cette idée centrale de prévention, de protection, est intimement liée à la professionnalisation du métier de journaliste.
On la retrouve aux Etats-Unis, avec un Code éthique des journalistes américains adopté en1926 par l'association la plus représentative, à cette époque, de la profession. En Grande-Bretagne, c'est un Code de conduite des journalistes britanniques qui voit le jour en1938, adopté par le Syndicat des journalistes.Après la Seconde Guerre mondiale, les textes déontologiques tendent très vite à une dimension dépassant le seul cadre national: une Déclaration de principe sur la conduite des journalistes est ainsi adoptée en 1954 au congrès de Bordeaux par la Fédération internationale des journalistes (FIJ; Déclaration révisée à Helsingor, au Danemark, en juin 1986).
Elle a depuis été «coiffée» par la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, autrement appelée charte de Munich, parce qu'approuvée dans la ville allemande. Cette dernière a été signée par les syndicats et fédérations de journalistes des six pays de la CEE en novembre 1971, et adoptée depuis par la Fédération internationale des journalistes (FIJ), l'Organisation internationale des journalistes (OIJ) et la plupart des syndicats de journalistes d'Europe, qui s'y réfèrent de plus en plus clairement.
L'essor des Conseils de presse
«L'autorégulation peut se définir comme la création et la prise en charge par la profession journalistique, avec, comme il semble hautement souhaitable, la participation de la société civile, de dispositifs et d'instances indépendantes propres à définir des règles de conduite du journalisme sur la base d'une éthique professionnelle, puis à en assurer le respect.»
Il semble logique que les journalistes aient voulu prendre eux-mêmes en main les règles de celle-ci et, en même temps, l'affirmation de leur identité. Dans la mesure aussi où leur activité exige indépendance et liberté, l'autocontrôle semble aussi la voie susceptible d'offrir le plus de garanties.»
L'Histoire montre en fait qu'en Europe, la création d'un Conseil de presse n'ouvre pas la voie à un contrôle accru par l'Etat. Au contraire. «La grande justification de l'autorégulation est qu'elle permet de laisser l'exercice de leur liberté aux médias hors du contrôle de l'Etat. Lorsque, durant la seconde moitié du XXe siècle, ce système s'est développé dans les démocraties, il a souvent été préconisé, par exemple en Suède, en Finlande ou en Grande-Bretagne, pour écarter les menaces d'une intervention du gouvernement.
Une expansion internationale
Ceux qui critiquent les Conseils de presse ne doivent pas oublier que la majorité de ces instances est récente, et cherche encore sa voie. C'est particulièrement vrai des pays où la liberté de la presse a longtemps été muselée. Les exemples abondent. En mars 2006, l'on comptait plus de 110 «instances non gouvernementales de régulation des médias» dans le monde, qu'il s'agisse de Conseils de presse ou d'observatoires des médias, devenus courants en Afrique subsaharienne. L'augmentation est constante, et particulièrement nette sur cette dernière décennie. On trouve ce type d'organisme de régulation des médias dans la plupart des démocraties occidentales, tout comme au Chili (1991), en Tanzanie (1997), en Estonie (2001) ou au Togo (Observatoire togolais des médias-OTM, association à but non lucratif, créée en 1999).
L'utilité de tels organismes de régulation est aujourd'hui largement reconnue, même s'il faut garder des réserves quant à sa mise en pratique, surtout dans des pays où la liberté de la presse est notoirement bafouée. Dans bien des cas, leur indépendance et leurs activités réelles ne sont pas toujours clairement établies. Le processus est long à mettre en place, les connaisseurs préviennent que condamner d'office ce type d'initiative serait une erreur. Beaucoup de ces instances sont de mieux en mieux organisées, documentées, mises en réseau, voire fédérées, pour le meilleur et pour le moins bon. Sur le plan régional, il existe ainsi un Eastern Caribbean Press Council. Sur le plan continental, une Alliance of Independent Press Councils of Europe - Aipce, ou le Réseau des instances africaines d'autorégulation des médias-Riaam, lancé en juillet 2000 et couvrant des pays francophones d'Afrique de l'Ouest. Sur le plan international, une World Association of Press Councils-Wapc.
Enjeux en Afrique
La décennie 90 a débuté en Afrique sous le signe du réveil démocratique qui a jeté à bas les systèmes monolithiques post coloniaux. L'une des premières conquêtes de ces révolutions a été la libéralisation de l'espace médiatique.
Prenant la mesure des défis imposés par la nouvelle donne, le législateur, voire dans certains cas le constituant, a institué, dans la plupart des cas, bon gré mal gré, des autorités autonomes dites de régulation. Organismes administratifs indépendants aux attributions diverses et variées, ces entités ont vu leur place et leur légitimité se renforcer au fur et à mesure que leur crédibilité s'affirmait.
C'est que dans un contexte où la liberté d'information est d'emblée posée comme un droit inaliénable parce que consubstantiel de l'Etat de droit,encadrer l'exercice de l'activité d'informer ne peut être une prérogative du politique.
Le désengagement des pouvoirs publics a été à l'origine d'un véritable boom médiatique. Celui-ci a été plutôt lent à se mettre en place dans le domaine de l'audiovisuel pour d'évidentes raisons tenant aux coûts élevés des équipements, mais également à la relative rigidité de la réglementation en vigueur.
En revanche, pour la presse écrite, témoin sinon actrice de ces grands bouleversements, la mue a été automatique.
Forte de son statut de pionnier, elle s'est imposée à la faveur de l'abandon du régime d'autorisation administrative préalable comme le porte-voix de l'opprimé, auquel s'identifiait volontiers le citoyen lambda.
Les autorités de régulation sont fondées à s'interroger sur l'adéquation des instruments classiques mis à leur disposition par la loi avec les spécificités liées à l'encadrement de la presse écrite.
Ces données inclinent à penser que le glaive de la justice étatique peut suffire à maintenir la presse dans les sillons tracés par la loi et on peut présumer que c'est la position des militants de l'autorégulation.
Dans certains pays, c'est l'opinion inverse qui a toutefois prévalu avec l'extension du domaine d'intervention du régulateur institutionnel aux activités de la presse écrite. C'est notamment le cas au Bénin, en Côte d'Ivoire, au Burundi en République Démocratique du Congo ou encore au Mali.
Cette option prise pour une régulation de la presse écrite n'est pas sans difficultés.
La présentation du statut de la presse écrite en Afrique nous permettra d'aborder avec plus d'aisance la question des enjeux et des défis de sa régulation.
La difficile régulation de la presse
Il faut affirmer très fortement que la régulation est avant tout l'option pour le maintien de l'équilibre et du fonctionnement correct d'un système pluraliste complexe qui caractérise désormais l'espace médiatique africain.
A lire ces mots, on pourrait penser que la régulation est le remède à tous les maux qui minent la presse écrite. Cependant, dans une majorité de pays, on lui préfère l'autorégulation moins suspecte aux yeux des professionnels des médias.
Que faut-il en penser' La régulation, dans les pays où l'expérience est menée, obtient-elle des résultats satisfaisants' Permet-elle d'envisager des lendemains qui chantent pour les médias et leurs consommateurs'
L'autorégulation soulage l'Etat et augmente la flexibilité en matière d'adaptation des règles et normes(auto-définies)aux changements des conceptions morales et des valeurs au sein de la société. Les avantages de l'autorégulation des médias par rapport à une régulation exercée par l'Etat résident en outre dans une plus grande sécurité des entreprises quant à leurs planifications et dans une réduction de la distorsion de la concurrence susceptible d'être provoquée par les consignes étatiques face au dynamisme des développements dans les médias.
On cite souvent l'Angleterre en exemple quand on évoque cette démarche. En tout cas, l'idée que la production, l'établissement et l'application des règles déontologiques, doivent être laissés à la discrétion des professionnels a de quoi séduire.
CONCLUSION
Dans les pays où la sphère de compétence des instances de régulation est élargie à la presse écrite, on peut noter qu'une majorité des décisions-sanctions concernent les journaux et périodiques.
Les attributions classiques des instances de régulation:
-garantir et protéger la liberté de la presse conformément à la loi
(Constitution et loi sur la presse);
-veiller à l'objectivité et au respect de l'équilibre et du pluralisme dans le traitement de l'information;
-veiller à l'égal accès des partis politiques aux médias de service public et, en période électorale, fixer les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions réglementées (ou parrainées);
-favoriser, promouvoir la libre et saine concurrence entre les médias et éviter toutes formes de concentration; contrôler la publicité;
-veiller à ce que l'activité médiatique soit respectueuse de l'ordre public, de la sécurité de l'Etat et des bonnes moeurs;
-délivrer les autorisations d'exploitation;
-délivrer la carte de presse;
-assurer la gestion de la subvention annuelle de l'Etat à la presse;
-proposer la nomination des responsables des médias publics;
-veiller au respect de l'éthique et de la déontologie par les entreprises de presse;
-établir et maintenir un niveau qualitatif des journalistes, notamment par la formation.
On s'aperçoit que ces attributions peuvent être regroupées en cinq catégories:
1.des attributions normatives qui leur permettent de suppléer au silence de la loi pour toutes les questions qui concernent la protection de la liberté de la presse;
2.des attributions administratives qui ont pour l'essentiel trait à la gestion de l'espace médiatique privé et public;
3.des attributions financières qui font d'elles le grand argentier de la presse admise à recevoir des subventions publiques;
4.des attributions académiques puisqu'elles doivent veiller au renforcement des capacités des hommes des médias;
5. des attributions déontologiques qui permettent de sévir à l'égard des médias et journalistes indélicats.
Il va sans dire que ces pouvoirs constituent la matière même de la régulation de la presse en général et de la presse écrite en particulier.
En conclusion, l'approche la plus indiquée pourrait consister en la coexistence des deux systèmes de régulation et d'autorégulation en la forme institutionnelle de «conseil de la presse écrite»avec des prérogatives d'éthique et de déontologie ainsi qu'un pouvoir de réprimer la transgression des règles éthiques et déontologiques. Ceci peut être atteint, transitoirement, par l'application de la loi relative à l'information et des textes subséquents;ce qui permet,à mon avis, la cohabitation des deux entités prévues par la loi.


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