«Y' el meqnine ezzine» (Ö chardonneret élégant), la chanson écrite et interprétée par le regretté Mohamed El Badji est l'hymne dédié aux condamnés à mort du FLN par la France coloniale. La muse de l'artiste était son compagnon d'infortune, Boualam Rahal, le plus jeune des guillotinés. À 18 ans, il n'avait pas l'âge légal, selon la loi française de l'époque (21 ans) pour être exécuté. Pourtant, il fut décapité le 20 juin 1957 avec trois autres compagnons martyrs, Saïd Touati, Radi Ahmida et Belamine Ahmed.Hier, au centre de presse d'El Moudjahid, à l'initiative de l'association Machaâl Echahid, un hommage a été rendu à ces quatre martyrs. Mahmoud Arbadji, compagnon d'infortune de Belamine Ahmed dans la cellule 12 de la prison de Serkadji à Alger, lui-même condamné à mort, raconte le quotidien de ces détenus pas comme les autres. À la torture physique s'ajoutait celle morale. Plus marquante. Indélébile. «J'ai vu 39 personnes se faire exécuter. Dans nos geôles, on ne dormait pas. Chaque matin, à l'aurore, heure des exécutions, les gardiens se mettaient devant les portes des cellules et agitaient les clés pour nous faire croire qu'ils étaient venus pour nous mener à la guillotine. Ces moments étaient très éprouvants», se remémore-t-il. Les condamnés à mort de la guerre d'indépendance, ce dossier épineux, secret et lourd sur le passif de la colonisation française, livre des indices profonds sur le traitement de la Révolution algérienne par la France. Me Fatma-Zohra Benbraham, avocate, est revenue sur les différentes étapes. Plus de deux ans après le déclenchement de la guerre de libération, François Mitterrand prend ses fonctions de ministre de la Justice dans le gouvernement de Guy Mollet, le 2 Février 1956. Très rapidement, ces deux hommes avec le président Français de l'époque, René Coty, signent un décret le 12 mars pour écarter les autorités civiles d'Algérie en créant les tribunaux pénaux des forces armées. «La loi pénale générale est remplacée par la loi pénale spéciale. La première chose introduite était l'exécution de tout fellaga», explique Me Benbraham. Dans l'article intitulé «Les guillotinés de Mitterrand», publié le 31 août 2001, dans le magazine hebdomadaire français Le Point, le journaliste François Malye, qui a consulté les archives françaises des dossiers des condamnés à mort exécutés durant la guerre d'Algérie, écrit : «Le 17 mars 1956 sont publiées au Journal officiel les lois 56-268 et 56-269, qui permettent de condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main, sans instruction préalable.» Pourtant avocat de formation, François Mitterrand accepte d'endosser ce texte terrible : «En Algérie, les autorités compétentes pourront [...] ordonner la traduction directe, sans instruction préalable, devant un tribunal permanent des forces armées des individus pris en flagrant délit de participation à une action contre les personnes ou les biens [...] si ces infractions sont susceptibles d'entraîner la peine capitale lorsqu'elles auront été commises.» Les autorités françaises de l'époque, avides de messages subliminaux, ayant compris qu'un mouvement de révolte populaire était en cours, attendront la date symbolique du 19 juin -le même jour en 1830, où a eu lieu le formidable élan populaire de lutte contre l'invasion : la bataille de Staouéli- pour commettre le premier «crime» sur des condamnés à mort par cet instrument morbide : la guillotine. Au-delà de l'exécution en elle-même, la guillotine était réservée aux rebus de la société, aux auteurs de crimes crapuleux. Le 19 juin 1956, Zabana et Ferradj sont les premiers guillotinés de la cause nationale. S'ensuivront des centaines. 220 en cinq ans selon le journaliste du Point. L'arrivée du général de Gaulle au pouvoir, la création du Gouvernement provisoire algérien en 1958 et l'internationalisation du mouvement de libération fera adopter au niveau du président français de nouvelles démarches tactiques. Il fera transférer les élites des prisonniers algériens détenus dans des camps de concentration vers des prisons françaises. «Dans une lettre secrète du général de Gaulle, il dit : nous tenons ici la prochaine élite de l'Algérie indépendante», relève Me Benbraham, manière de prendre les devants pour négocier l'après-indépendance. Cette même année, de Gaulle gracie 7 000 condamnés à mort internés dans les camps de concentration. En 1961, il dissout les tribunaux des forces armées, libère 6 000 détenus du FLN le 20 mai, puis 2 500 le 12 décembre. À partir de 1958, les moudjahidine algériens changent de statut, ils sont considérés comme des combattants après avoir été traités de terroristes. Les exécutions ne se font plus à la guillotine mais par balles. «Le commissariat de Cavaignac, à Alger, était le siège de l'ancien tribunal des forces armées. Dans le jardin du centre culturel français, on a déterré des cadavres datant de cette ère. Là où les prisonniers algériens étaient torturés et assassinés devant les procureurs», informe l'avocate. La guillotine, cette autre atrocité commise par la colonisation française, n'a pas livré tous ses secrets, car le dossier des condamnés à mort reste un dossier secret. Mais qui pourra faire toute la lumière sur ce dossier ' Les accords d'Evian comprennent bien une clause d'amnistie, mais la barbarie de l'occupation ne s'est pas limitée du 1er novembre 1954 au 5 juillet 1962. Auparavant, il y a eu les enfumades, les événements de mai 1945, les bombardements au napalm et au phosphore'Après, il y a eu les essais nucléaires de Reggane. Mais y a-t-il un collectif national d'avocats pour déposer ces dossiers de crimes contre l'humanité devant le Tribunal pénal international '! Comme chantait le regretté Mohamed El Badji : «Ô joli chardonneret aux joues rouges, aux ailes jaunes et aux beaux yeux noirs. Depuis longtemps que tu es triste dans une cage. Tu chantes avec une voix mélodieuse mais personne ne prête attention à ton chant. Qui n'a pas subi de lourdes épreuves ! Ne se souci guère de ton amertume. Qui ne connaît pas ta valeur O bel oiseau ! Tu grilleras sur un feu ardent».
S. A.
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Posté Le : 20/06/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Samir Azzoug
Source : www.latribune-online.com