Algérie

LES CHOSES DE LA VIE


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Je suis seul dans l'appartement. C'est au moment o? j'entre dans le s'choir pour actionner le bouton du moteur alimentant le r'seau domestique d'eau, qu'une douce voix f'minine m'interpelle. Au d'but, je pense que c'est un coup d'une des filles qui passe son temps ? me jouer des tours. Mais la voix est 'trange. Elle parle en fran'ais, avec un accent bizarre. Je me concentre : c'est un accent canadien !
Je le reconnais parce que je regarde beaucoup d?'missions du Qu'bec qui passent sur TV 5, la cha'ne francophone mondiale. Je cherche la source de cette 'nigmatique voix. Dans le coin, il y a un meuble de rangement en plastique, vous savez ces bacs en 'tages qui servent g'n'ralement ? caser les l'gumes. De plus en plus bizarre ! Je m'approche : la voix sort d'un petit filet contenant des pommes de terre ! Je l'avais achet? la veille, chez un vendeur qui a eu la g'niale id'e de s'installer ? un carrefour strat'gique de la route que j'emprunte deux fois par semaine pour aller superviser les travaux de ma petite maison dans la prairie. Je m?'tais arr't? pour acheter de l'ail dont les grappes s'duisantes attiraient beaucoup de monde. Et voil? que je tombe sur une montagne de sacs de pommes de terre vendues ? 40 DA le kilogramme. J'ach'te un sac de dix kilos et poursuit ma route. La voix est plus nette : 'approchez, monsieur ! Le vendeur est un menteur. Je ne suis pas une pomme de terre de chez vous. Je me pr'nomme B'atrice et je viens du Canada !? Il faut vous dire qu'en quarante ann'es de m'tier, j'en ai vu des vertes et des pas m'res, mais c'est la premi're fois que je tombe sur une pomme de terre qui parle ! Ma premi're r'action est de balancer le sac du quatri'me 'tage. Mais, ma curiosit? professionnelle l'emporte. Et si je faisais l'interview de B'atrice ' Bon, je sais. A la r'daction, ils vont me prendre pour un barjot, mais ce n'est plus un scoop ! Dans ce boulot, il faut 'tre un peu fou pour oser, innover, sonder des chemins nouveaux et originaux. Je vois le titre en pleine premi're page : 'une pomme de terre venue du Canada se confie au Soir? ou 'b'atrice, la belle patate qu'b'coise ouvre son coeur ? notre chroniqueur?? Bon, tr've de plaisanterie : voyons voir ce qu'elle veut la B'atrice venue de si loin? Je la sors du sac, la nettoie et la d'pose sur la table de cuisine. Je me pr'pare un bon caf? express et j'ouvre mon calepin. B'atrice me demande d'ouvrir la fen'tre. Je m'ex'cute. Elle lance un cri qui me donne la chair de poule : 'oh ! Quel massacre ! Vous avez des architectes dans ce pays '? Elle avait re'u en pleine gueule le spectacle horrible de cette cascade de maisons appel'es pompeusement 'villas? et qui font ressembler la colline qui fait face ? notre immeuble ? une nouvelle Casbah ! Je rappelle ? B'atrice qu'il y a certainement autre chose qu'elle doit me raconter en priorit?, bien avant ses pr'occupations 'architecturales?. Elle s'ex'cute. Mon stylo court sur la feuille blanche. Voici son histoire : 'je suis B'atrice De la Patate, de descendance noble. On dit que mes a'eux ont 'migr? au Canada, fuyant la r'volution. Dans les soutes du navire qui les transportait, ils avaient pris le soin d'emmagasiner quelques plants des meilleurs fruits et l'gumes de leurs domaines. Les tubercules de la lign'e De la Patate 'taient soigneusement rang's dans un coffret. Une fois au Canada, ces pr'cieuses racines furent rapidement plant'es et donn'rent de belles patates qui firent la renomm'e de la r'gion de la C'te de Beaupr? ! Si un jour vous partez au Qu'bec, n'oubliez pas de rendre visite ? cette r'gion si agr'able o? vous pourrez passer des moments intenses de contemplation de la nature, avec l'imp'rial Saint- Laurent s'offrant ? la vue entre la ville du Qu'bec et le cap Tourmente. Arr'tez-vous dans notre ferme et profitez des produits du terroir. Les propri'taires ne sont pas racistes : ils nous traitent avec le m'me 'gard qu'ils r'servent aux belles pommes c'l'bres pour leur go't raffin?. Ils ne font aucune diff'rence entre les pommes et les pommes de terre ! Bien plus, pour cette derni're cat'gorie, ils traitent celles destin'es ? la table et celles r'serv'es aux animaux avec le m'me 'gard !? Je l'arr'te net. Je lui dis que j'avais lu dans le quotidien El Khabarqu'une grande quantit? des pommes de terre import'es du Canada 'tait impropre ? la consommation parce que destin'e aux porcs ! Elle me dit d'attendre la suite : 'oui, effectivement, nous sommes des pommes de terre de la deuxi'me classe. La noblesse de nos origines n'est plus qu'un souvenir ! Nous ne finissons jamais dans les assiettes des humains. On nous r'serve pour la bouffe des animaux. L'autre jour, alors que je faisais ma cure de rajeunissement dans une chambre froide de la ferme, j'ai entendu l'un des agents deviser avec une dame. Il 'tait question de ventes massives ? un pays dont je n'avais jamais entendu parler : l'alg'rie. Ils disaient que le voyage allait se faire en bateau. Ils parlaient d'importateurs aid's par l'etat de ce pays qui avait un grave probl'me avec la patate. Ils 'taient tellement press's qu'ils voulaient beaucoup de pommes de terre imm'diatement. Ils avaient le Ramadan, qui est un mois o? les gens je'nent mais, chaque soir, mangent le triple de ce qu'ils ont l'habitude de bouffer. C'est comme No'l chez nous ! Il ne faut surtout pas rater les ventes ! Mais, au Canada, certains malins se sont mis ? exporter de la patate r'serv'e aux cochons. Et c'est ainsi que je fus mise, avec mes s'urs, dans un bateau voguant vers l'afrique du Nord. Toute ma vie, j'avais r'v? de voir la M'diterran'e ! Mais, c'est quoi cette Casbah qui n'en a pas l'air que je vois de votre cuisine ! Quelle horreur ! Fermez la fen'tre, s'il vous pla't ! ? B'atrice vient de me dire que j'ai d'bours? 400 dinars dans l'achat de pommes de terre impropres ? la consommation ! Ou, plut't, de la patate pour cochons ! Je me pose la question : 'qu'est-ce qui peut nous arriver si nous bouffons un l'gume r'serv? aux porcs '? Certainement pas plus de mal que si nous mangeons de la viande d?'ne ! Oui, je suis s'rieux, une association de bouchers a publi? un communiqu? dans lequel elle attire l'attention des Alg'riens sur la vente de viande d?'ne. Et quand vous achetez un kilo de viande rouge pour votre pot-au-feu, comment savoir si ce n'est pas une 'paule d?'ne ' Vous pouvez faire la diff'rence ' C'est bien, bravo ! Et si c?'taient des merguez, hein ' Vous donnez votre langue au chat ! Tiens, le chat, vous savez que son anatomie ressemble ? celle du? lapin ' La prochaine fois que vous commanderez un civet de lapin, faites bien attention ! Comment le savoir ' Comment savoir que telle patate est r'ellement pour les humains, que la viande vient effectivement du mouton et que le civet n'est pas celui du matou du coin ' Faites comme moi : r'servez un petit lopin de terre h'rit? de vos parents, plantez-y des l'gumes et fruits bio, construisez une petite 'table pour une vache, quelques moutons, des lapins, des poules, des canards, des dindes et ne bouffez que ce que vous produisez ! Faites du pain complet avec la semoule du bl? entier que vous aurez r'colt? sur votre propre terre, r'cup'rez le lait et le formage de votre 'table, 'gorgez un beau coq pour un repas entre amis, bouffez des œufs frais cueillis le matin m'me, mangez de belles pommes de terre bio et utilisez ? profusion les herbes de votre potager ! Tout cela est encore au stade de projet, mais je m'y mets s'rieusement. Et c'est pour cette raison que je vais au bled deux ? trois fois par semaine, en passant par ce vendeur de patates qui m'a refil? B'atrice et ses copines pour 400 dinars. On sonne ? la porte. Je m'empresse de ramasser B'atrice et la mets rapidement dans son sac. J'ouvre la porte. Je ne dis pas mot de ce que je viens de vivre. D'ailleurs, personne ne me croirait, ? commencer par ces fut's lecteurs qui doivent penser que je d'raille. Peut-'tre. Ne vivons-nous pas dans un immense asile ' Et d'ailleurs, dans un asile qui se respecte, on ne donne pas aux pensionnaires de la patate pour cochons, ni de la viande d?'ne d'ailleurs ; ni un programme aussi d'bile que celui de l'eNTV?
M. F.
P. S. : un petit repos de quelques jours. L'occasion de d'couvrir ou red'couvrir d'anciennes chroniques. Celle que vous lisez ici a 't? publi'e le jeudi 1er novembre 2007, en pleine p'riode de p'nurie de pomme de terre. Signalons que l'exportateur canadien de ces pommes de terre, recherch? par Interpol suite ? une plainte de l'alg'rie, a 't? arr't? r'cemment au Liban.
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