Algérie

Les cadres de Deloitte Algérie au « Le Quotidien d'Oran » et «MAGHREB EMERGENT»:  «Les investisseurs sont demandeurs de règles précises et claires…»



L'économie algérienne reste attractive. Le recul sensible des IDE en Algérie n'est pas dû aux dispositions de la loi de finances complémentaire 2009, mais plutôt aux retards pris dans l'adoption des lois et des directives qui réglementent ces décisions. C'est ce que nous expliquent, dans cet entretien, Rémy Le Moigne et Pierre-Marie Martin, associés chez Deloitte Algérie,

et leur partenaire d'AMS Audit, Saïd Kdyem.

• Depuis quand êtes-vous en Algérie et comment a évolué votre activité ici ?

Rémy Le Moigne : Deloitte Algérie a été créé en 2007, avec un partenaire algérien qui est AMS Audit. Celui-ci a la charge des activités d'expertise comptable et de commissariat aux comptes tandis que Deloitte Algérie intervient sur les missions de conseil (conseil juridique et fiscal, conseil en management…).

 Au démarrage, nous avons beaucoup travaillé pour nos grands clients présents en Algérie, des groupes internationaux qui nous demandaient de les accompagner ici, comme on le fait en Chine, au Canada, en Tunisie et ailleurs. Beaucoup d'entreprises étrangères envisageaient aussi d'investir ici et nous demandaient comment cela fonctionnait et quelles étaient les contraintes réglementaires. Très rapidement, nous avons été amenés à travailler pour des entreprises algériennes, publiques, particulièrement le secteur bancaire; ou privées, avec qui nous travaillons dans le cadre de missions d'audit mais aussi de conseil, notamment de mise en Å“uvre de systèmes d'information par exemple.

Saïd Kdyem : Deloitte a eu à intervenir aussi dans le cadre de projets d'investissements et de rachat d'entreprises.

• L'équipe Deloitte Algérie compte combien d'employés ?

Rémy Le Moigne : Nous sommes 45 employés, dont 3 expatriés. Et nous prévoyons de doubler les effectifs d'ici deux ans. Notre volonté est de développer rapidement une " firme " multidisciplinaire nationale dirigée par nos partenaires et associés algériens.

Saïd Kdyem : Une bonne partie des objectifs du partenariat sont atteints, en termes de transfert de savoir-faire, de formation, de méthodologie. D'ailleurs, le cursus de formation de nos collaborateurs algériens est calqué sur celui de Deloitte France.

Pierre-Marie Martin : Et ils bénéficient chaque année d'une période de formation en France. On veut intégrer les jeunes diplômés recrutés en Algérie avec leurs pairs de Deloitte France. Cela leur permet aussi d'avoir des contacts et de bénéficier de l'organisation mondiale de Deloitte.

• D'où puisez-vous vos recrues algériennes ?

Pierre-Marie Martin : Des universités et des écoles de commerce essentiellement. On a, par exemple, beaucoup recruté auprès de l'ESAA, du MDI et de l'ENSSEA (ex-INPS).

• Vous êtes parmi les «Big Four», et 1er au monde parmi vos concurrents. Quelle place occupez-vous en Algérie ?

Rémy Le Moigne : On est 1er mondialement, en 2010, en terme de chiffre d'affaires et de nombre d'employés.

Saïd Kdyem : Il n'existe pas de tel classement en Algérie.

Pierre-Marie Martin : Il n'y a pas de données qui permettent ce type de classement. En Algérie KPMG a une taille supérieure aux autres sociétés du secteur en raison de sa présence de 10 ans. Ils ont pu construire un cabinet plus important que le nôtre ici.

• Qu'est-ce qui vous caractérise par rapport aux autres cabinets ?

Rémy Le Moigne : Ce qui nous caractérise particulièrement, c'est notre pluridisciplinarité. Nous ne voulons pas nous développer sur un seul métier comme l'audit ou le conseil, mais proposer l'offre de service la plus complète et intégrée possible (audit, conseil, conseil fiscal, conseil financier, expertise comptable).

• Quels sont les besoins des entreprises algériennes ?

Rémy Le Moigne : La gestion de la chaîne logistique (supply chain), les achats, la finance ou encore la mise en place de systèmes d'information sont des domaines sur lesquels nous sommes régulièrement sollicités. Il y a aussi des demandes dans le domaine du management des ressources humaines mais c'est assez nouveau.

Saïd Kdyem : Il y a aussi une forte demande en matière d'externalisation de tout ce qui est comptabilité.

Pierre-Marie Martin : Sur l'aspect système d'information, il y a un vrai besoin aussi bien chez les entreprises publiques que privées. Il y a des groupes privés familiaux qui se structurent, qui se développent, et à un moment donné ils expriment le besoin de mettre en place leur système d'information.

• Combien d'entreprises comptez dans votre portefeuille client ?

Rémy Le Moigne : Elles ne sont pas moins d'une centaine et de tous les secteurs. Par exemple, nous avons beaucoup de demandes de groupes étrangers qui souhaitent investir en Algérie et mieux comprendre ce marché.

• De quels secteurs sont-elles ?

Rémy Le Moigne : De tous les secteurs. Mais dans certains secteurs, comme la pharmacie, on voit de plus en plus d'entreprises qui sont intéressées par le développement de leurs activités en Algérie.

• Quelles sont les questions les fréquemment posées par vos clients étrangers ?

Rémy Le Moigne : Des questions classiques : la taille du marché algérien, son potentiel, les concurrents.

Saïd Kdyem : Et aussi tous les aspects pratiques en relation avec la fiscalité, le droit social et le droit des sociétés.

• Expriment-elles, par exemple, des craintes en matière de rapatriement ?

Pierre-Marie Martin : Je ne dirai pas des craintes, mais elles veulent être sûres des règles à suivre (quelles soient pérennes), du processus de constitution du dossier de transfert et notamment des délais.

• Est-ce qu'elles n'ont pas peur que ces règles changent du jour au lendemain ?

Pierre-Marie Martin : Il y a eu la loi de finances complémentaire 2009 qui a créé des soucis, notamment avec le crédit documentaire, mais une fois que le processus a été intégré les choses reprennent leur cours, même s'il est plus contraignant, notamment pour PME. Le sous-jacent économique est clair. Comme tout pays, l'Algérie est souveraine dans l'établissement de ses règles économiques. Pour ne parler que du 51/49%, il y a beaucoup de pays qui suivent ce principe. Par exemple, si on veut investir en Chine on ne peut être que minoritaire. Le problème actuel, vécu comme une contrainte par les investisseurs potentiels, réside dans le décalage entre la sortie d'un texte législatif, loi de finances complémentaire en particulier, et les textes d'application. Les investisseurs étrangers, et même nationaux, sont demandeurs de règles précises, claires et dans des délais courts. On observe sur certains textes que les décrets d'application sont parfois publiés avec retard. C'est cette période là qui est difficile à gérer et contribue à créer un attentisme. Dans le cas de la LFC 2009, cela a notamment été le cas avec les conditions d'exercice du droit de préemption de l'Etat.

• Quelles difficultés rencontrez-vous en tant qu'entreprise ?

Pierre-Marie Martin : Le point clé, c'est de connaître les règles et les appliquer. Il est vrai que certaines règles et procédures sont différentes de ce qu'on a l'habitude de voir en France, par exemple. Ainsi toute décision d'investissement en Algérie doit aussi être analysée au regard de la règlementation sur le contrôle des changes, étape aussi importante que la prise en compte des aspects juridiques et fiscaux.

• Le recul des investissements en Algérie n'est-il pas dû à ses règles ?

Saïd Kdyem : Les investisseurs ont mis un certain temps à comprendre dans un premier temps les changements intervenus en Algérie, puis à les intégrer dans un second temps.

Pierre-Marie Martin : La baisse des IDE est probablement conjoncturelle. Les nouvelles règles émises par l'Algérie ont certes ralenti les investissements, mais les fondamentaux qui font que l'économie de ce pays reste attractive sont toujours là. Parmi ces fondamentaux, il y a aussi la richesse des ressources humaines. Nous n'avons pas de problème de recrutement de jeunes diplômés en Algérie, compte tenu de la diversité et de la qualité des écoles d'ingénieurs, écoles de commerce et universités.

• Rencontrez-vous des problèmes de bureaucraties, ou autres ?

Saïd Kdyem : Quelques ralentissements subsistent encore, mais nous constatons des améliorations au fil de l'eau.

Rémy Le Moigne : L'un des problèmes que je voudrais soulever concerne le marché du conseil. Il est beaucoup moins développé en Algérie qu'il ne l'est dans d'autres pays comme le Maroc ou la Tunisie pour ne citer qu'eux. Ici il y a très peu de sociétés de conseil en management, et beaucoup d'acteurs sont de taille assez limitée. Ce qui est à mon sens un vrai problème. Il y a des entreprises algériennes, publiques ou privées, qui ne peuvent pas s'appuyer sur des consultants pour leur développement. Il y a un vrai décalage entre la taille de l'économie algérienne et le marché des cabinets conseils. Pour développer le marché du conseil il faut recruter des jeunes diplômés puis les former aux méthodologies, aux outils. Il faut également organiser des transferts de compétence avec des consultants internationaux expérimentés. Ces transferts de compétence sont souvent réalisés en mettant en place des équipes mixtes, consultants algériens et internationaux, dans le cadre de grands projets.

 Aujourd'hui, ce que l'on constate depuis un an ou deux, c'est qu'il y a beaucoup moins de gros projets et d'appels d'offres internationaux que par le passé. Et donc moins d'occasions d'organiser ces transferts de compétence. Ce qui constitue un obstacle pour le développement des cabinets conseils. Il y a, en Algérie, des cabinets algériens, la plupart sont de petites tailles, et très peu de cabinets internationaux. Il y a les " Big Four " (PricewaterhouseCoopers, Deloitte, Ernst & Young et KPMG, ndlr), par contre les gros cabinets de conseil internationaux ne sont pas présents en Algérie.

• Pourquoi ?

Rémy Le Moigne : Tous regardent le marché algérien. Certains préfèrent cependant répondre ponctuellement à des appels d'offres internationaux plutôt que de s'installer ici.

• L'affaire «Djezzy» et l'introduction du droit de préemption n'ont-ils pas créé de réticences chez les étrangers ?

Pierre-Marie Martin : Comme on l'expliquait plus tôt, il y a eu trop de temps entre l'adoption de la règle du 51/49% et la diffusion d'informations plus précises quant à son application, en particulier sur l'exercice du droit de préemption. Concernant Djezzy, nous n'avons pas relevé le cas d'investisseurs potentiels qui prennent exemple de cette situation pour évoquer des problèmes pour venir s'installer en Algérie.




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)