Les «cadeaux»

Si le vol ou la rapine ou même la dilapidation de l'argent public peut être vite établi par un contrôle, la corruption malheureusement est difficile à prouver dans la mesure où elle ne laisse aucune trace. Sa dénonciation peut être calomnieuse si elle n'est pas avérée et laisse souvent la porte ouverte à tous les dépassements. Le problème qui se pose a donc tout de la quadrature du cercle : comment prouver qu'il y a corruption puisqu'elle ne peut jamais être prouvée et comment produire ses traces puisque par essence elle n'en laisse pas ' Harcelées par des demandes d'argent souvent à répétition, formulées aussi bien par des fonctionnaires que par des contrôleurs, certaines victimes ont peut-être trouvé la parade, la solution radicale pour guérir ce mal. Elles ont procédé en quatre phases très simples : dans un premier temps, elles ont feint d'accepter le marché et ont fait croire aux commis véreux qu'elles paieraient selon les termes du contrat et qu'il leur fallait du temps pour réunir la somme demandée. Dans une seconde étape elles ont fixé avec leurs maîtres chanteurs les détails de leur rencontre, son lieu et sa date pour la remise de l'argent. Dans une troisième étape, elles ont prévenu les services de police du chantage auquel elles étaient soumises non sans leur donner les photocopies des billets qui allaient leur servir de preuve irréfutable. Enfin dans la quatrième et dernière étape, elles se sont rendues à leur rendez-vous avec la somme convenue et le reste n'a été qu'un jeu d'enfant. Coincés en flagrant délit de corruption par la police, les fonctionnaires indélicats ont été arrêtés et confondus sur-le-champ. Certains, pour la petite histoire, étaient à quelques mois de leur retraite. Et c'est ainsi, grâce à ce stratagème facile à monter, que des dizaines, voire des centaines de corrompus ont été arrêtés dans notre pays. Mais beaucoup opèrent encore à l'abri, en toute impunité, sachant pertinemment qu'ils sont inaccessibles et intouchables. Le piège pour ces requins, ces gros morceaux, sera un jour ou l'autre parfaitement mis au point. Pour l'instant, le législateur n'a qu'une seule arme entre les mains. Le contrôle, le contrôle à tous les niveaux, qu'il soit de routine ou spécial, qu'il soit de jour ou de nuit. Le contrôle par exemple de la stricte conformité des textes, notamment dans la passation des marchés, le contrôle des nouvelles fortunes et de l'enrichissement rapide de certains citoyens. Certains signes ostentatoires de richesses devraient mettre la puce à l'oreille.
Mais on a tort de croire que la corruption est une histoire d'argent seulement. Certains corrupteurs paient les services des corrompus, surtout lorsqu'il s'agit d'affaires ou des centaines de milliards sont en jeu, par des cadeaux. Pas n'importe quels cadeaux. Il s'agit dans la plupart des cas de villas somptueuses ou de résidences en Espagne ou sur un grand boulevard parisien telle l'avenue Foch. Et là, malheureusement, rien ne peut être prouvé.