Algérie

Les bons et les mauvais coupables Point Net


Il ne sait pas dire «présomption d'innocence», mais Nacer sait très bien de quoi il s'agit. Il se rappelle l'avocat qu'on lui commettait d'office parce qu'il n'avait jamais de quoi payer. Il était commis d'office mais il savait parler de la présomption d'innocence.
A force de défendre toutes les têtes brûlées des menus larcins, il avait fini par en de venir le «spécialiste». C'est que Nacer et ses acolytes du quartier, comme des milliers d'autres de même «condition», en ont vu, en la matière. De quoi forger une expérience très consistante.
En matière de connaissances générales, de jurisprudence ou d'expérience, ils pouvaient faire école. Fiché chez la police, loup blanc dans la ville et pestiféré du quartier, Nacer était désigné dans tous les coups tordus. Un vol à la tire, un cambriolage ou une agression, et voilà la police qui débarque devant son immeuble.
Les voisins ont même fini par arrêter de poser des questions. Ils ont remisé leur curiosité maladive et légendaire au placard, parce que depuis le temps, ils «savaient» que les policiers venaient toujours chercher «Nacer Errougi», quand ce n'est pas «Errougi » tout court. Ils le «montaient», le cuisinaient sans modération au commissariat dans des gardes à vue sans limite, puis le présentaient au tribunal qui l'envoyait systématiquement en prison.
Oh, Nacer Errougi n'était pas toujours innocent. Ce n'est pas un enfant de ch'ur et il le savait. «Mais il arrivait quand même que ce ne soit pas moi», aime-t-il plaisanter encore aujourd'hui en brave et paisible père de famille «rangé». Mais s'il est apaisé, Nacer n'oublie pas. Il n'est pas convaincu que quelque chose a vraiment changé dans le fond, mais Nacer n'aime pas trop les comparaisons entre hier et aujourd'hui.
D'abord parce qu'il n'a pas l'habitude de diminuer de ce que lui et ses compères ont enduré. Ensuite, même s'il est rangé, il lui reste suffisamment de ranc'ur dans le c'ur et la tête à transformer en indignations, à conjuguer au présent.
C'est fou, ce que la présomption d'innocence est à la mode aujourd'hui. Du temps de ses folies de jeunesse et de ses démêlés avec la justice, personne n'en parlait en dehors de son avocat commis d'office. En ces temps-là parler de la présomption d'innocence revenait à chercher d'autres coupables que les «bons» qui, en plus, étaient toujours à portée de main. Aujourd'hui, on en parle parce que sont les' mauvais coupables qui sont mis à l'index. On n'a pas l'habitude. Il faut faire quelque chose ou alors retarder l'échéance.
«Un accusé est présumé innocent jusqu'à ce que la justice le déclare coupable», a dit Ghlamallah, le ministre des Affaires religieuses sur les affaires de corruption et de détournement dans son département. On a déjà entendu ça pour Khelil et Bejaoui. On a même entendu demander à la justice de faire son travail. Mais c'est parce qu'elle a fait son travail' en Italie qu'on en est là ! Bien sûr, pour que la justice «fasse sont travail», il faut que la presse arrête de faire le sien ! Vive le droit et les grands principes, vive la découverte.
Elle est belle, la présomption d'innocence quand elle sert à si haut et si' cher. Des centaines de millions de dollars. Il paraît que ça va bientôt se compter en milliards. Nacer Errougi se souvient. Même à son époque, il y avait des Ghlamallah, mais aucun d'eux n'avait sorti la présomption d'innocence. C'est lui et tous ceux de sa condition qui se faisaient ramasser à chaque fois, se faisaient cuisiner et se faisaient envoyer au trou. Il arrivait quand même que ce ne soit pas lui. Ceux d'aujourd'hui, ceux qui ont pris des centaines de millions de dinars, ce n'était jamais «eux». Est-ce que ça va changer ' Errougi sourit.
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)