Algérie

Les belles moissons d'avril



L'autre mérite des militants pour l'amazighité est leur audaceLe mouvement berbère a été expurgé de toute référence religieuse dans un pays où la recette de l'islamisme politique fait des miracles en termes de mobilisation.
En rétablissant une injustice historique, l'Algérie s'est affranchie d'un tabou. Maintenant que tamazight est consacrée langue nationale et officielle, maintenant que Yennayer est devenu une fête nationale, que reste-t-il à faire' Il s'agit de rentabiliser au plan social et d'en tirer les leçons de ce combat exemplaire. Les péripéties du mouvement culturel berbère depuis les premiers soubresauts en 1949 jusqu'à aujourd'hui, ses tâtonnements et ses moments forts peuvent constituer en effet, une clé de lecture pour mieux saisir la complexité de la lutte identitaire. Si l'on excepte la crise berbériste de 1949 et la mise sous le coude de cette cause pour des raisons tactiques, en attendant de libérer le pays du joug colonial, le combat pour l'amazighité mérite d'être scruté de plus près. Au moins trois particularités retiennent de prime abord l'attention. La première particularité est l'uniformité des lieux qui ont porté et couvé cette cause. La quête identitaire ne s'est pas limitée au monde universitaire et aux intellectuels. Elle a mobilisé avec la même ferveur le simple ouvrier de l'usine, le simple manoeuvre qui arborait avec fierté le sigle amazigh que l'intellectuel et l'universitaire le plus accompli. Il y avait une unité tacite pour un combat qui tranche avec l'émiettement généralisé qui caractérise aujourdhui la classe politique. Le combat a été non pas la conclusion de dissertations de salons, mais le fruit d'une rencontre de terrain. Tamazight était alors «le Smig syndical». L'esprit de militantisme et d'engagement avait imprimé toute la génération du début des années 70 jusqu'à la fin des années 80. La deuxième particularité tient au fait que les événements d'avril 1980 échappaient à toute tutelle politique. Certes, les principaux animateurs du printemps amazigh faisaient partie du FFS, du PRS, voire même quelques-uns du Pags, mais la révolte a été menée en dehors de toute structure politique. Ce qui était à la fois nouveau et intrigant pour le système de l'époque. La troisième leçon à relever de longue lutte est la possibilité d'un combat pacifique même face à un système le plus répressif qui puisse exister. Parce que le pays n'a tiré aucune leçon de cette incroyable action pacifique qu'il a payé un lourd tribut quand a sonné l'heure de l'ouverture démocratique en octobre 1988' C'est une piste à creuser car à l'exception de la révolte des Allemands qui a conduit à la chute du mur de Berlin en 1989 sans effusion de sang, on n'a pas vu au XXe siècle de révolte pacifique aussi accomplie que celle du combat culturel amazigh. On passe outre le fait que le mouvement a été expurgé de toute référence religieuse dans un pays où la recette de l'islamisme politique fait des miracles en termes de mobilisation. L'autre mérite des militants pour l'amazighité est leur audace: en voulant se réapproprier leur identité, ils ne se battaient pas contre le système algérien, mais ils étaient, sans le savoir, face au glacis du panarabisme à ses heures de gloire. Il fallait une bonne dose de témérité pour s'atteler à cette tâche qui consistait à remettre en cause un modèle identitaire imposé et la répression qui régnait à l'époque. A leur corps défendant, ils affrontaient un bloc géopolitique qui avait ses repères et ses traditions de lutte: l'arabo-baâthisme auquel l'Algérie a été arrimée. Ayant d'abord misé sur l'essoufflement d'une jacquerie sans lendemains, les tenants de l'unicisme culturel, ont fini par épuiser un argumentaire aussi farfelu qu'inefficace.
Tamazight n'existe pas puisqu'il recèle des mots en arabe. Les promoteurs de cette thèse font mine d'ignorer que les emprunts lexicaux sont un phénomène linguistique universel. Fallait-il dès lors demander aux Arabes d'abandonner leur langue au profit de l'hébreu' Ensuite, nous serions venus du Yémen, donc nous sommes des Arabes. Cette hypothèse impossible à vérifier scientifiquement, par ailleurs assimilable à une superposition de mouvements migratoires ce que ne saurait justifier une répression linguistique. Et la marche continue. On sert l'ultime argument selon lequel on a été arabisés par l'Islam. Voyons donc: la vocation de l'Islam se réduit-elle à l'arabisation ou à prêcher la bonne parole et la diversité des populations' Ce n'est que l'écume des choses car le problème de fond n'était pas une question de pur sang arabe ou berbère, mais de diversité culturelle et linguistique. Elle est aujourd'hui une réalité et tout le reste est littérature pour paraphraser Mouloud Mammeri, le chantre de l'amazighité.


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