Les rares personnes de nationalité algérienne avec lesquelles nous nous sommes souvent retrouvés dans les balcons de Ghoufi ont prononcé les mêmes exclamations : «fantastique !», «féerique !» «dantesque !» Tout cela est vrai, mais il faudrait être sur place pour mesurer toute la dimension des qualificatifs formulés et surtout la magie des lieux. Or, le circuit touristique est désespérément désert, exception faite en fin d’après-midi quand les habitants des villes de Biskra ou de M’chounèche, toutes proches, viennent y faire un tour. Sinon, les restes de bouteilles de vin et de canettes de bière donnent une lecture précise des habitués des lieux. Depuis le tassement du terrorisme, les pouvoirs publics ont procédé à l’aménagement d’une série de petits locaux commerciaux, histoire de donner une animation à l’endroit mais également de fournir une activité plus ou moins rémunérée aux heureux bénéficiaires. Toutefois faudrait-il encore qu’il se trouve des acheteurs d’autant que les prix ne sont pas à la portée des bourses de nos compatriotes. Les autorités locales ont donc créé des commerces et, encore une fois faudrait-il que les touristes auxquels ils sont destinés se bousculent sur les lieux. Ce qui n’est pas le cas et ce qui, à juste titre, est déploré par les derniers habitants des masures érigées sur le plateau. Des personnages atypiques qui donnent l’impression d’avoir évolué avec le décor. Autrement dit, qu’ils sont demeurés figés comme le seraient la roche, les palmiers, les galets immuables de l’oued et cela ne peut être que tout bénef dans la mesure où ce sont également ces mêmes personnages qui n’arrêtent pas de se battre pour que soit valorisé le site. Azzouz, un soudeur à l’imagination des plus fertiles, et Messaoud, autoproclamé guide touristique et tout autant protecteur de l’endroit, hantent les lieux et permettent à tout visiteur aux réelles velléités de les apprécier d’en connaître un bout. Même si ce bout n’est pas proche de la réalité mais l’essentiel étant qu’ils parviennent à expliquer selon leurs connaissances l’histoire des balcons, leur passé florissant, c’est-à-dire du temps où ils ne désemplissaient pas de visiteurs venus de toute l’Europe et en toute saison. D’un temps où chacun des habitants y gagnait au change.Messaoud n’hésite pas à se déplacer jusqu’à Alger pour se rendre au ministère de la Culture et plaider la cause du site. Il nous parle, sans grande précision, puisqu’il n’ânonne que des prénoms et rarement des fonctions, des gens qu’il rencontre sur place et qui prennent tant d’engagements lui permettant de rentrer au bercail réconforté et portant la bonne parole à ceux parmi ses voisins qui l’attendent pour connaître les résultats de ses démarches. «Mon rôle ici ? Beaucoup de choses… les traditions, le terroir, la culture, parce qu’en fait il faut d’abord connaître particulièrement la culture de la région avant d’évoquer son attrait touristique. Il n’est pas question de négliger l’environnement et enfin l’évacuation inconditionnelle de toute approche mercantiliste de l’exploitation des lieux. Je considère que la première protection dont a besoin le Ghoufi est d’éluder cette éventualité, sinon nous nous acheminerons directement vers un pillage désastreux.»Messaoud et son compère Azzouz ont été immortalisés dans une œuvre documentaire majeure primée plus d’une dizaine de fois à travers le monde en 2009. Il s’agit du film La Chine est encore loin réalisé par Malek Bensmaïl et dont le tournage dans la région (Arris, T’kout, Ghacira, Ghoufi, M’chounèche) a duré près d’une année dans la région. Un film dont la sortie en salles en France est prévue au mois d’avril prochain.Ils ont été immortalisés justement parce qu’ils sont, en quelque sorte, l’âme des lieux et que, malheureusement, toutes les démarches qu’ils n’arrêtent pas d’effectuer pour polariser l’intérêt du monde extérieur via les pouvoirs publics ne sont jamais payées en retour. A la limite, ils sont presque considérés comme des gens qui dérangent. Par ailleurs, bien des promoteurs immobiliers nous ont souvent fait part de leur désir d’investir dans la région, plus particulièrement sur le site. Bien évidemment, en s’engageant à ne pas dénaturer l’endroit ou porter atteinte à son authenticité. Par la Tribune
Posté Le : 02/05/2014
Posté par : patrimoinealgerie
Source : Benfatah Boudarsa