«C'est pour la
première fois dans l'histoire des peuples qui luttent pour leur indépendance,
que le colonisé porte la guerre sur le sol du colonisateur. Le colonialisme, ce
mauvais élève, n'apprend pas ses leçons» (général Vo Nguyen Giap).
Dans son avertissement
au lecteur, au début de son livre : «Cinquantenaire du 17 octobre 1961 à
Paris», Mohammed Ghafir, restitue dans une sorte de
profession de foi faisant référence à un verset de Sourate «El Baqara» (la génisse» du Saint Coran qui édicte le témoignage,
une des pages les plus glorieuses d'un peuple qui a fait l'événement au cÅ“ur du
XXé siècle. L'auteur de cette épopée historico-mémorielle espère, ne pas lasser le lecteur par
la redondance, chose qu'il a admirablement, réussie. La trame narrative, dénuée
de l'intrigue dont seule la fin, généralement, dénoue les écheveaux, puisque le
commun des mortels sait comment s'est conclu le drame colonial algérien, coule
telle l'eau limpide et sereine d'une source. Guenzet
des Béni Yala, berceau de l'auteur, n'évoque-t-elle
pas l'eau que l'on a découverte ici ? Rien d'étonnant aussi que Si Ghafir, jeune, s'inscrive dans cette déferlante
nationaliste des années quarante, où son propre fief a enfanté des hommes et
des femmes illustres: de Arezki Kahal, à Si M'Hamed Bougara, Malika Gaid et Youcef Yalaoui. L'ouvrage dense
et aéré à la fois, permet au lecteur une relative liberté pour suivre le cours
des évènements, sans l'appréhension de rupture du charme. On peut même faire
digression à l'ordre chronologique des 15 chapitres dès lors qu'on a lu,
l'avant propos et la préface historique du Pr Jean
Luc Einaudi et la préface bibliographique du Pr Boualem Aidouni.
Comme toute la
jeunesse algérienne de l'époque et dont l'appétence pour l'indépendance était
aiguisée par le dernier conflit mondial armé, le jeune Ghafir
conscrit à l'âge de 21 ans à la caserne Bizot de
Blida, fait les voiles à l'issue d'une permission, un certain 15 aout 1955, pour se retrouver à Marseille et de là à Paris
Clichy- la -Garenne. C'est ainsi que naîtra sur les bords de Seine, un homme
surnommé : Moh Clichy. Arrêté en 1958 par les
services de la Direction
de la Surveillance
du Territoire (DST) ce qui augure, déjà, de la «dangerosité» du prévenu, il
majore l'arrêt de la première instance qui l'a condamné à deux ans de prison
ferme par une déclaration politique lors de son procès en appel devant la 10è
Chambre de Paris le 6 octobre 1958. Il ne faisait qu'exaucer le vœu des cinq
leaders du FLN détenus depuis octobre 1956, date de l'arraisonnement de leur avion
par les forces militaires coloniales. Le premier piratage d'avion dans le
monde, se faisait non pas par des terroristes, mais par un Etat.
Il passera donc,
trois ans au lieu de deux précédemment infligés, dans de nombreuses prisons
dont celle de Fresnes et le camp de Barsac d'où il bénéficiera, en 1961, d'une
libération médicale suite aux préjudices corporels subis. Cet intermède
carcéral, ne mettra pas, pourtant, fin à cette fougue militante. Au lendemain
de sa libération, il reprendra langue avec l'organisation pour assurer les
fonctions de chef de zone dans la wilaya I Paris Rive gauche. Cette rive gauche
foisonnante d'artistes peintres, d'intellectuels, de comédiens et de cinéastes
de Saint Germain des Prés, du Quartier Latin ou de la Sorbonne eut l'insigne
honneur d'abriter «les tueurs du FLN» et de les soutenir politiquement et
parfois même, matériellement. Moh Clichy en parle
avec profusion et reconnaissance. Il évoque, à ce titre, le procès des
«porteurs de valises»du réseau Francis Janson ouvert le lundi 5 septembre 1960
devant le Tribunal permanent des forces armées à Paris. A situation
d'exception, instance judiciaire d'exception ; le pays des droits de l'Homme,
ne déroge pas à la règle. Il y avait dans le box des accusés : 6 responsables
FLN et 18 sympathisants français. Et à c'est en cette mémorable occasion que
Jean Paul Sartre, déclarait solennellement ceci : «Si Janson m'avait demandé de
porter des valises ou d'héberger des militants algériens, et que j'ai pu le
faire sans risque pour eux, je l'aurai fait sans hésitation». La messe était
ainsi dite. La
Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre
d'Algérie appelée «Manifeste des 121» dont Simone de Beauvoir, Simone Signoret,
Alain Resnais, Pierre Vidal Naquet, François Maspero,
Jean Pouillon et J.P. Sartres en furent les
principaux signataires se concluait en ces termes : «La cause du peuple
algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la
cause de tous les hommes libres». La messe était ainsi dite. Le FLN venait de
remporter une bataille historique en regard de l'une des trois missions
assignées à l'émigration, par le Congrès de la Soummam dans son plan de
bataille du 20 août 1956.
- Organiser
l'émigration algérienne en France
- Soutenir
financièrement l'effort de guerre
- Eclairer
l'opinion publique française et étrangère.
L'auteur, par la magie de mots simples,
emprunts d'humilité et sans haine stigmatise plus l'élément musulman des «Harki
de Paris» (Force auxiliaire de police) qui brime ses congénères que le flic
raciste chauffé à blanc par son préfet, le sinistre Maurice Papon marqué
durablement, par une tare génocidaire. Il s'est singularisé déjà, en 1941/44,
quand il exerçait la fonction peu enviable de collaborateur en sa qualité de
Secrétaire général de la préfecture de Gironde Aquitaine. Persécuteur
historiquement reconnu des Juifs, il est sollicité en 1958 par Michel Debré,
ministre de l'Intérieur pour nettoyer Paris du FLN. Pour cette fois ci, il
n'avait pas, tout à fait, tord. Raymond Muelle dans
«7 ans de guerre en France, quand le FLN frappait en Métropole», évoque cette
sentence prophétique qui disait «La situation militaire se rétablit en Algérie
où le FLN, chez lui, étouffe. Mais il transporte la guerre chez l'ennemi, c'est
de là qu'il la gagnera».
Rapatrié de
Constantine où il exerçait les fonctions d'Inspecteur Général de
l'Administration en Mission Extraordinaire (Préfet IGAME), Maurice Papon
voulait sa Bataille de Paris à l'instar de Massu qui a eu sa Bataille d'Alger.
Il s'y employa dès lors que son supérieur hiérarchique, en l'occurrence Debré,
l'instruisait sous la forme péremptoire qui ne souffrait d'aucune équivoque :
«Il faut me nettoyer Paris des tueurs du FLN. La capitale du FLN c'est Paris,
ni Tunis, ni le Caire !». L'ordre, se muait dans la bouche de Papon en appel au
meurtre à ses sbires: «Réglez vos comptes personnels avec les Algériens, vous
êtes couverts par le pouvoir.» Responsable zonal, le matricule 121 ne cesse de
jauger les capacités de nuisance de l'Inquisition policière et le comportement
digne de sa communauté bien structurée. Le rapport qu'il établira en juillet
1961 sur la répression dans lequel, il anticipe sur les événements et qu'il
dénommera lui-même : «le tournant» sera le signe avant coureur dans, ce que d'aucuns
n'hésiteront pas à qualifier de nouvelle «Saint Barthélemy». Des lieux, des
noms et des hommes écriront, un soir d'octobre, une page des plus sanglantes
que la ville des Lumières aura inscrite sur le fronton de la honte. Plus de 300
morts, 400 disparus et 16.000 détenus. La France de Papon est mise à nu par la Communauté
internationale. De Gaulle, contraint et forcé rouvrira au lendemain de cet «Ouradour», une ultime fois, les négociations avec le FLN
qui seront menées tambour battant jusqu'à la conclusion de la paix, le 18 mars
1962.
L'émigration,
cette fille aînée de la
Révolution, a non seulement, été la principale pourvoyeuse
financière de l'effort de guerre, mais encore la première à consentir le
sacrifice suprême, un certain 14 juillet 1953 à Paris. Ils furent 6 jeunes âgés
de 15 à 32 ans à être, lâchement abattus. Leur tord mortel a été de brandir,
lors des festivités commémorant la prise de la Bastille, l'étendard de
leur pays subjugué. Et ce ne sera pas la liesse d'une souveraineté retrouvée qui
mettra un terme à l'activisme de Mohammed Ghafir. Il
mettra toute son énergie, bien plus tard, tout en assurant des charges dans
l'appareil de l'Etat souverain, pour entamer, avec d'autres anciens compagnons
de lutte, le combat de la reconnaissance. L'une de ses plus flamboyantes
victoires, fut la reconnaissance tardive(1993) mais officielle du 17 octobre
comme «Journée nationale de l'Emigration» et le rapatriement, en 2006, de la
dépouille mortelle de Fatima Bedar, la collégienne de
15 ans martyrisée et jetée dans le canal Saint Denis en octobre 1961. L'hommage
qui est lui rendu par ses adversaires d'hier, aurait pu être l'armistice de son
combat contre l'oubli. Mais, c'est méconnaître cette génération, pétrie par les
valeurs de l'Etoile Nord Africaine, du PPA /MTLD et qui généra les fils de la Toussaint qui firent de
la fête des morts, la fête des vivants. Il vient, par cet ouvrage de plus de
400 pages, édité par «Encyclopédia», d'entamer dans
l'épaisseur du voile qui a tenté de masquer à la vue, cette page glorieuse de
l'histoire communautaire. Truffé de dates, de noms, d'événements et de
documents inédits «Cinquantenaire du 17 octobre 1961 à Paris- Droit d'évocation
et de souvenance» marquera durablement la littérature historique de l'année
finissante. Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître… Monsieur Ghafir.
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Posté Le : 15/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com