Algérie

"Les avantages fiscaux ne sont jamais évalués"



Président de l'Association nationale des conseillers fiscaux algériens, Boubekeur Sellami aborde la complexité du système fiscal national, avec beaucoup de taux d'imposition et trop d'avantages fiscaux qui ne font pas l'objet d'évaluation.Liberté : Vous avez affirmé, à plusieurs reprises, que le régime fiscal algérien est lourd et très compliqué. Voulez-vous nous donner plus de précisions sur ce constat '
Boubekeur Sellami : Notre fiscalité fait partie d'un ensemble de systèmes hérités de la période coloniale, et ce n'est pas cela le mal, du moment que c'est le cas de tous les pays colonisés, d'autant plus qu'à l'indépendance, le système fiscal jouait bien son rôle d'outil de régulation de l'économie et, surtout, sa mission principale d'ordre budgétaire, qui est le financement des dépenses publiques de l'Etat.
Malheureusement, nous n'avons pas pu maintenir le même niveau d'attractivité, d'efficience et d'efficacité de notre système fiscal, qui a perdu, au fil du temps et avec la prédominance du caractère social de la politique économique post-indépendance, les principes universels de l'impôt. Cette situation a créé un dysfonctionnement entre un système fiscal basé à 90% sur la fiscalité ordinaire contre 10% de fiscalité pétrolière (1970) et une réalité politico-socio-économique basée sur la rente pétrolière qui a inversé la situation pour que la fiscalité pétrolière se taille la part du lion avec un taux proche de 2/5 dans la LF 2021. C'est à partir de cette réalité qu'une simple lecture de nos codes fiscaux laisse apparaître les effets de ce dysfonctionnement qui a rendu notre système fiscal très compliqué et complexe si ce n'est le plus compliqué.
Un système qui se ressource du système fiscal français, d'un côté, et d'un besoin et d'une réalité algérienne, d'un autre. Et entre les deux, nous avons perdu la démarche. Un système fiscal avec beaucoup de taux d'imposition, de modes de calcul et de modalités d'abattement, trop d'avantages fiscaux illimités et jamais évalués, un système de contrôle fiscal qui ne garantit pas les droits du contribuable, des vides juridiques qui ouvrent la porte à l'interprétation, de la lenteur dans le traitement des contentieux... Cette situation a joué un grand rôle dans la délocalisation des activités vers l'informel.
Malgré les différentes actions entreprises par les instances concernées, le niveau de recouvrement de la fiscalité reste faible. Pourquoi '
Pour le taux de Recouvrement du reste à recouvrer (RAR), ce n'est que l'un des résultats d'un système fiscal dépassé par les événements et qui n'arrive pas à jouer son rôle.
Une partie de cette dette fiscale est constituée d'une partie des impôts et taxes irrécouvrables inscrits au nom des entreprises publiques dissoutes, des prête-noms, des personnes décédées, des personnes inconnues et non localisables, des personnes n'ayant aucune source ou moyen de paiement. Et l'autre partie représente des montants des rôles et impositions qui sont soit contestés par les contribuables, soit en attente de recouvrement pour faute de moyens de l'administration fiscale. Dans ce sens, les motifs du niveau très faible de recouvrement sont multiples. Il s'agit notamment du taux élevé des impositions à tort entachées d'un vice de forme et erreurs d'imposition et/ou à la suite d'une mauvaise interprétation des textes de loi souffrant de beaucoup de vides juridiques et, dans certains cas, par manque de compétence et de formation des agents.
Ces impositions sont contestées par les contribuables, soit au niveau des services du contentieux, des commissions de recours ou des tribunaux. Il s'agit aussi de la lenteur dans le traitement des contentieux par les services concernés qui trouvent des difficultés à exercer leur souveraineté en tant que juge entre le service taxateur et le contribuable. Ces services n'ont pas encore atteint le niveau de séparation entre leur rôle principal d'arbitrage et la notion de sauvegarde des intérêts du Trésor au détriment des droits du contribuable.
Il y a, également, le manque de moyens mis à la disposition des services de recouvrement en matière de poursuite (personnel qualifié et formé, matériels, rémunération, protection, informatiques, etc.). S'ajoute à ces motifs, l'absence d'un système d'information permettant aux services de recouvrement d'avoir toutes les données relatives aux contribuables concernés (biens, activités, comptes bancaires, valeurs, etc.) auprès des différentes institutions et structures détentrices de ces informations.
Vous avez pris part aux assises nationales sur la réforme fiscale organisées en juillet dernier. Qu'en est-il de la mise en ?uvre des recommandations émises '
Dès son arrivée à la tête du ministère des Finances, et parmi les premières et bonnes décisions prises par Aymen Benabderrahmane, le lancement du chantier des réformes fiscales promues par le président de la République. Le ministre des Finances avait annoncé que les réformes à moyen et long terme n'ont pas de place dans sa stratégie, et qu'il ne connaît que les réformes à très court terme. Cette déclaration nous a donné beaucoup d'espoir de voir les réformes tant attendues et longtemps souhaitées et réclamées par tous ceux qui connaissent la situation de notre système fiscal. Dans ce cadre, le ministère des Finances et la DGI ont organisé du 20 au 22 juillet 2020 des assises sur la réforme fiscale avec la participation de la grande majorité des acteurs économiques, des organismes et organisations, associations, ministères et administrations. Les participants ont fait, chacun selon son point de vue, un diagnostic de la situation, en mettant le doigt sur le mal avec des propositions et recommandations pour une refonte de notre système fiscal de A à Z.
Ces assises ont permis aux participants de partager leurs points de vue avec les cadres de la DGI et du ministère des Finances qui n'ont épargné aucun effort pour que rien ne reste dans l'ombre, et que tout soit dit clairement et en toute transparence, et ont reconnu, à travers les discussions, le caractère urgent et le degré de gravité de la situation et la nécessité d'une solution radicale. Toutefois, après près de 5 mois de la clôture des assises, il s'est avéré que le ministre des Finances est obligé de revoir sa déclaration et la stratégie qu'il doit adapter aux aléas du terrain qui n'est pas toujours en adéquation avec ses intentions et sa volonté de faire des réformes à très court terme.
La Direction générale des impôts a porté, récemment, à la connaissance des personnes dont la valeur du patrimoine, appréciée au 1er janvier 2020, est supérieure ou égale à 100 millions de dinars qu'elles sont soumises à l'impôt sur la fortune. Dispose-t-elle d'outils et de moyens suffisants pour le recouvrement de cet impôt '
Cet impôt qui a changé de dénomination n'est pas nouveau, au même titre que beaucoup d'impôts, taxes, amendes et pénalités qui n'ont jamais trouvé le chemin de l'application, soit par manque de moyens, soit par insuffisance dans les textes d'application ou autres motifs que nous ignorons.
En effet, la mise en ?uvre de cet impôt a rencontré auparavant une certaine résistance de la part des personnes situées dans son champ d'application (fortunés), d'autant plus que l'absence de communication de la part de la DGI a laissé le doute planer sur cet impôt (les biens soumis à l'impôt, la méthode de calcul de la valeur vénale, les exonérations, les déductions, la procédure de déclaration et de paiement, etc.).
Mais ce qui est sûr, c'est le caractère positif de la décision prise par la DGI de mettre le paquet pour la mise en ?uvre de cet impôt. L'ISF peut constituer une source importante au budget de l'Etat à condition de mettre à la disposition des services concernés tous les moyens, et en particulier la protection et la formation des agents, d'une part, et que, d'autre part, toutes les personnes qui remplissent les conditions d'impositions paient l'impôt.
Il faut reconnaître qu'en l'état actuel, l'administration fiscale est loin d'avoir les moyens d'une bonne prise en charge (mise en ?uvre, recouvrement et contrôle) de cet impôt, mais cela n'empêche pas de faire démarrer la machine et de l'entretenir au fur et à mesure (l'appétit vient en mangeant).

Réalisé par : MEZIANE RABHI


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