Qu'est-ce qui a motivé la création des Aswak El Fellah au début années 70', donc de l'avènement de la Révolution agraire ' Etait-ce une opération de propagande du «système socialiste» 'Coup de propagande au départ, je ne le pense pas. Nous étions à l'époque de l'amorce des grandes réformes pompeusement appelées Révolutions (industrielle, agraire et culturelle ). La vision était, je pense, honnête, mais assez volontariste. Le pouvoir de l'époque baignait en pleine économie planifiée de type soviéto-bloc de l'Est.Pour asseoir de telles politiques, il fallait évidemment se donner les moyens. Nos circuits de distribution devenaient en ce temps-là obsolètes et confinées au petit commerce de détail (épicerie, mercerie, etc.) ou à quelques grandes surfaces (500m2 en moyenne) disséminées dans les centres urbains et héritées de la période coloniale.L'ambition de la Révolution agraire était que la production agricole devait et allait opérer une crue importante et qu'il manquait un réseau dense de grande distribution. L'Etat, il faut le dire, a fait l'effort d'essaimer près de 2500 supermarchés dénommés souk El Fellah qui ont fait plus ou moins le bonheur des populations.Avec le recul, quelle en a été la portée au sein des populations ' Efficacité ou populisme 'Chacun peut interpréter cette question à sa manière. On peut être pour ou contre, apprécier les services ou critiquer leur efficacité. Il y avait certes des lacunes tels que des produits de moyenne qualité, mais à bas prix également. Certains pouvaient acheter un costume au Souk El fellah quand d'autres raillaient les rayons de prêt-à-porter. En plus, le Souk El Fellah est rentré dans les m?urs des Algériens. On y faisait un tour sans rien acheter parfois.On prenait plaisir à se promener dans ses dédales. Populisme, dites vous ' Sincèrement en quoi ' Les prix étaient bas, notamment les produits de large consommation parce que subventionnés. Ils étaient plus élevés à l'extérieur. A ce niveau-là, sans doute que la tendance populiste a pris le pas sur la rentabilité. Vers la fin, la plupart de ces structures sont rentrées dans une crise financière aiguë.A une certaine période, les Aswak géraient les innombrables pénuries de produits et s'adonnaient parfois à une pratique non commerciale dénommée «la vente concomitante». Les étals étaient souvent vides?Les ventes concomitantes ont réellement existé. La plupart des Aswak avaient des problèmes de trésorerie du fait du stockage de certains produits peu sollicités par la demande.C'était un peu une manière de déstocker, donc de reintégrer cet argent dormant dans le circuit commercial pour qu'il puisse de nouveau générer l'offre. Mais beaucoup d'Aswak El Fellah ont imposé la vente concomitante aux pauvres gens seulement. Pour les privilégiés bien en vue dans les structures de l'Etat ou les connaissances, servis seuls dans l'arrière-salle, la mesure n'était généralement pas appliquée?Les Aswak ont effectivement souffert de l'approvisionnement pour des raisons diverses, dont l'absence d'efficacité de l'activité, et les problèmes de liquidités financières internes n'en sont pas des moindres.Le fonctionnement interne du Souk El Fellah (clientélisme, corruption, réseaux d'influence, réseaux mafieux d'écoulement des produits etc.) n'a-t-il pas servi à discréditer le régime qui voulait en faire sa vitrine 'Effectivement, cela a entamé assez nettement, à un moment donné, la bonne image de l'Etat, mais il n'y a pas que le souk El Fellah qui ait contribué à cela. Dans et autour de l'unité se créaient et s'incrustaient toutes sortes d'activités parallèles.Escroquerie, «tchipa», achat et revente au prix fort, souvent par les employés eux-mêmes, acquisition par le Souk El Fellah et écoulement de produits de mauvaise qualité, etc.Des produits acquis chez le privé (la boîte de concentré de tomate par exemple) par l'Office national de commercialisation (Onaco) nous était confiée au tiers de son prix car subventionnée. Le producteur industriel, par différentes filières, la rachetait au Souk El Fellah, puis la revendait de nouveau à trois fois le prix à l'Onaco.Cette pratique impliquait évidemment de nombreuses complicités. La même pratique concernait d'autres produits, comme la viande par exemple qui passait également par le système de compensation. Des spéculateurs achetaient de grandes quantités de viande subventionnée et la revendaient le jour-même à un autre souk El Fellah ou l'écoulaient au niveau des boucheries locales.Donc, les statistiques relatives aux produits subventionnés ont de tout temps été faussées par la mafia des spéculateurs en tout genre.Quel bilan faites-vous, à l'avènement de Chadli, du programme anti-pénurie (PAP) géré par les Aswaks ' Le pouvoir de l'époque cherchait-il à redorer l'image d'un Etat en pré-déliquescence 'Il y a deux aspects dans la question. Premièrement, ça a servi à contenter les populations trop longtemps privées et à nous redonner une certaine fierté vis-à-vis de nos voisins qui se moquaient de nos difficultés en approvisionnement et de quelques pays étrangers qui nous caricaturaient, à l'instar des pays de l'Est d'ailleurs, en rapport avec notre mode de production et de gestion socialistes. Deuxièmement, de nombreux effets négatifs.D'abord, les spéculateurs et les mafias locales notamment au niveau des frontières en ont fait une activité juteuse. Une bonne partie de ce PAP a servi nos voisins tunisiens et marocains par l'accentuation fulgurante de la contrebande. Des produits subventionnés achetés en Algerie étaient vendus à Oujda, Fes, Meknes, Casablanca, Tunis, Beja, Jendouba, etc.Quand on donne des quotas de moteurs hors-bord aux wilayas de Ouargla, Tamanrasset et Béchar, cela veut dire quoi ' Le pouvoir cherchait naïvement à se redonner une tendance plus humaine par une action libérale ponctuelle et sans fondement. Cela nous a menés à la catastrophe, bien marquée quelques années plus tard par le soulèvement du 5 octobre.Le 5 octobre 1988 et les jours suivants de nombreux Aswak ont été incendiés à travers le pays. Qu'est-ce qui a suscité le courroux de la population contre ces établissements, symboles du régime par excellence et a commencé à précipiter le déclin des Aswak El Fellah 'Il y a deux aspects.Effectivement, les grandes surfaces sont très fragiles face aux émeutes. Le feu y prend rapidement du fait de la vente de produits inflammables et de la proximité des stands.Donc, il y avait sans doute des jeunes gens en colère disons contre ces «symboles du régime» et pour les humiliations y afférentes. Mais il y en avait aussi beaucoup d'autres qui ont créé ces incidents pour le pillage et le vol.La courte histoire des Aswak El Fellah étatiques reflète l'image, bonne ou mauvaise, de l'Algérie du début des années 70' à nos jours.
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Posté Le : 19/11/2015
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Omar Kharoum
Source : www.elwatan.com