Algérie

Les arabisants et la France : Bel, Alfred (Salins, Jura, 1873 – Meknès, 1945) – directeur de la médersa de Tlemcen



Après des études au lycée de Besançon et le baccalauréat ès sciences (1890), il est maître répétiteur au collège d’Auxerre, à celui de Blida (1891), puis au lycée d’Oran (1892) où son frère aîné enseigne la physique. Moyennement noté par le proviseur, il obtient le brevet d’arabe (1897) et passe au lycée d’Alger, ce qui lui permet de mieux préparer le diplôme (1899). Il remplace alors Doutté* comme professeur de lettres à la médersa de Tlemcen et se fait apprécier par son directeur, W. Marçais*. En 1902, il passe avec succès son DES et publie dans le Journal asiatique son étude de « La Djâzya, chanson arabe, précédée d’observations sur quelques légendes arabes et sur la geste des Beni-Hilâl ». L’année suivante, c’est son travail historique sur Les Benou Ghânya, derniers représentants de l’empire almoravide, et leur lutte contre l’empire almohade qui est publiée dans la collection du Bulletin de correspondance africaine, publication de l’école des Lettres d’Alger. Un an après son mariage avec Aline Person, la fille d’un cultivateur de Mansourah, il succède en 1905 à W. Marçais (qui a été promu à la tête de la médersa d’Alger) et participe au XIVe congrès des orientalistes organisé à Alger (avec une communication sur « Quelques rites pour obtenir la pluie en temps de sécheresse chez les Musulmans Maghribins » – I. Goldziher, dans le compte rendu qu’il en fait pour la Revue de l’histoire des religions, loue sa méthode comparative, les rapprochements ethnographiques généraux qu’il fait avec des rites en usages chez les primitifs ou avec des survivances populaires en Europe). Bel s’inscrit entièrement dans la dynamique lancée à Alger par R. Basset* et E. Doutté : la connaissance de la langue et des textes ne doit pas seulement permettre d’éditer des textes littéraires et historiques, mais ouvrir à une connaissance ethnographique vécue comme une avancée scientifique, qui doit éclairer et orienter la dynamique de conquête coloniale. Membre de l’Institut ethnographique de Paris, il collabore en 1908 à la Revue d’études ethnographiques et sociologiques d’A. Van Gennep avec un article sur « La population musulmane de Tlemcen », ville où il exerce de nombreuses fonctions sociales (juge titulaire au tribunal répressif ; membre des commissions administratives au bureau de bienfaisance musulman et à la caisse d’épargne communale…). Pressenti en 1909 pour prendre la direction de la médersa d’Alger, il préfère rester à Tlemcen, la mort successive de sa femme et de son beau-père l’engageant à veiller aux intérêts de ses deux jeunes enfants et de sa belle-mère. Remarié en 1910 avec Marguerite Sabot, professeur à l’école normale de Miliana (c’est une ancienne élève de l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses passée par les écoles normales d’Oran et d’Aix), il ne quitte finalement plus Tlemcen, objet principal de son attention. Il publie ainsi en 1911-1913 avec Ghaoutsi Bouali le texte et la traduction d’une Histoire des Beni Abd-el-Wâd, rois de Tlemcen par le frère du grand Ibn Khaldoun, ‘Abd ar-Raḥmān. En 1913, avec Prosper Ricard, il enrichit la collection d’études sur les industries indigènes de l’Algérie avec un Travail de la laine à Tlemcen. Il prend soin des collections du musée archéologique de Tlemcen, à partir desquelles il publie des notes dans le Bulletin archéologique. Seul un épisode marocain interrompt entre mars 1914 et septembre 1916 son attachement aux choses et aux hommes de Tlemcen. Il a en effet été appelé par Lyautey pour organiser et contrôler l’enseignement des indigènes dans les régions de Meknès et de Fès où il prend la direction du collège musulman. Il estime qu’il faut renoncer à réformer l’ancienne mosquée-université al-Qarawiyyīn et la laisser mourir doucement. Mais il se heurte rapidement au directeur de l’enseignement Gaston Loth, venu de Tunis, qui s’oppose à l’application au Maroc du modèle des médersas algériennes et décide de faire de l’arabe la langue exclusive d’enseignement dans les deux collèges musulmans de Fès et de Rabat – orientation qui ne sera abandonnée qu’en 1918. Bel applique cependant à Fès sa démarche d’inventaire historique et ethnographique en publiant des « Inscriptions arabes de Fès » (JA, 1917-1919), un Catalogue des livres arabes de la bibliothèque de la mosquée d’El-Qarouiyîne à Fès, un tableau des Industries de la céramique à Fès (1918), un recueil biographique (Takmilat es-Sila d’Ibn el-Abbâr, avec la collaboration de M. Ben Cheneb*, 1920) et une histoire de la ville par un contemporain des Mérinides, la Zahrat al-âs [La Fleur du myrte] (1923). De retour à Tlemcen où il avait été suppléé par Georges Marçais*, il poursuit avec sa femme, nommée inspectrice de l’enseignement indigène artistique, professionnel et industriel en Algérie (1921), ses recherches (« Les Beni-Snous et leurs mosquées, étude historique et archéologique », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1920) et son action de sauvegarde et d’adaptation de l’artisanat traditionnel en même temps que de promotion d’un tourisme culturel (en témoigne son Guide illustré du touriste : Tlemcen et ses environs, plusieurs fois réédité). La contribution qu’il donne pour le premier tome des Annales de l’Institut d’études orientales de la faculté des Lettres d’Alger, « Le sûfisme en Occident musulman au xiie et au xiiie de J.-C. » (1934-1935), témoigne de son intérêt pour l’islam. En 1936, tout juste retraité, il fonde une société des « Amis du Vieux Tlemcen » et accueille comme président le 2e congrès de la fédération des sociétés savantes d’Afrique du Nord où il défend le projet d’une vaste enquête sur les industries traditionnelles des indigènes, sans succès semble-t-il. Après avoir assuré pendant la guerre l’intérim de Philippe Marçais*, mobilisé, à la direction de la médersa, il s’installe vers 1942-1943 à Meknès chez son fils Lucien (1908-1975), contrôleur civil, pour y travailler au second volume de sa Religion musulmane en Berbérie, esquisse d’histoire et de sociologie religieuse (le premier, intitulé Établissement et développement de l’Islam en Berbérie, du viie siècle au xxe siècle, a été publié en 1938). Il meurt avant d’avoir achevé l’ouvrage. Le fonds de sa bibliothèque aurait été acheté par l’Inalco et inventorié vers 1977. Son étude sur « Les Beni-Snous et leurs mosquées » et sa Religion musulmane en Berbérie ont été traduites en arabe.

Sources :
ANF, F 17, 23.198, Bel (répétiteur) ;

ANOM, 14 H, 45, Bel ;

Archives de l'Académie des sciences de Budapest, Fonds Goldziher, correspondance avec I. Goldziher (1903-1913) ;

Bulletin de la Société de géographie d’Oran, 1944, p. 66-77 (notice par É. Janier) ;

Hespéris, 1945, p. 15-17 (par H. Terrasse) ;

BEA, 1945 (par H. Pérès, avec une liste des travaux par É. Janier) ;

RA, 1er et 2e trim. 1945, p. 103-117 (par G. Marçais) ;

Tlemcen d’hier et d’aujourd’hui. Bulletin de la Société Les amis du vieux Tlemcen, 1952, p. 5-6 (avec photo.).


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