Algérie

Les anciens berbères appelaient les Arabes « Iserghinen »



Les anciens berbères appelaient les Arabes « Iserghinen »
Document. Selon un ancien manuscrit ibadite appelé « Kitab el Barbariyya » rédigé entre les onzième et quatorzième siècle, les Arabes étaient appelés «Iserghinen», et la langue arabe «Taserghint ». Il est probablement l’un des plus anciens manuscrits amazighs encore disponibles.

Ce manuscrit n’existerait plus qu’en quatre exemplaires, dont un est la propriété du linguiste italien Vermando Brugnatelli. Il est considéré comme étant l’un des plus érudits et plus grand spécialistes de la langue amazighe. D’ailleurs, il dirige à Milan, le Centre d’Etudes Chamito-sémitiques et préside «l’Associazione Culturale Berbera», tout en participant activement à la rédaction de la publication «Awal n tmazight» et en supervisant l’édition de Wikipedia en langue berbère. Edition à la création de laquelle il a d’ailleurs participé.

Ce manuscrit aurait longtemps circulé dans les milieux ibadites de Tunisie, de Libye et d’Algérie. Il est d’ailleurs assez volumineux, puisqu’il contient près de neuf cents pages, rédigées en tamazight et transcrits en caractères arabes. Il est considéré comme étant probablement le plus ancien manuscrit berbère connu jusqu’à présent. C’est ce que confirmait déjà le linguiste orientaliste français Adolphe de Calassanti Motylinsk qui avait aidé Charles de Foucault dans sa traduction de la langue Targuie et dans l’édition du Dictionnaire Touareg-Français. Ce spécialiste des langues berbères a longtemps séjourné chez les Mozabites et y a appris leur langue.

L’origine de ce manuscrit appelé «Kitab El Barbariyya» remonte aux périodes d’après l’arrivée des arabes en Afrique du Nord. Il aurait été rédigé entre la Libye, la Tunisie et l’Algérie par un érudit du nom d’Abu Zakariya Yahia El Yafrini. Son objectif était d’expliquer le point de vue ibadite de la religion et faciliter la pratique religieuse conformément à ce rite. Selon le site chaoui Inumiden, le manuscrit avait été rédigé à l’intention du grand public, dans le but d’être enseigné aux étudiants berbérophones. A l’époque, la connaissance de la langue arabe était réservée à quelques rares érudits, et la population était entièrement amazighophone. L’utilisation du mot «Aserghin» dans ce manuscrit montre que ce vocable était largement connu des Berbères et désignait réellement les Arabes. D’ailleurs, les Amazighs de Libye et ceux de Siwa en Egypte continuent encore à les appeler ainsi, même de nos jours.



Vocables disparus

La langue amazighe de ce manuscrit «Livre du Berbère» nous révèle des vocables qui ont disparu et qui ne sont plus usités de nos jours. Mais dans l’ensemble, estime Moubarek Belkacem dans Inumiden, «elle reflète la langue Zénète en usage encore aujourd’hui en Afrique du Nord, de la Libye au Maroc, en passant par la Tunisie et l’Algérie». On y trouve, outre les mots berbères anciens, des noms intéressants que les anciens amazighs donnaient pour l’Islam appelé «Aykuzen», et un des noms de Dieu «Ababay».

Ces mots oubliés aujourd’hui reflètent une partie de l’histoire amazighe, puisque «AyKuzen» est dérivé d’une divinité nord-africaine pré-islamique appelée Yakouch. C’est d’ailleurs l’origine du nom de la ville marocaine Marrakech dont le nom berbère est «Amour N Yakouch» qui veut dire la part ou la terre de Yakouch. D’un autre côté, que l’un des noms de Dieu ait été Ababay indique l’influence chrétienne sur cette civilisation, puisque les chrétiens sont les seuls à appeler Dieu leur Père, ou Abba, comme stipulé dans la Bible. Ce manuscrit contient donc, outre des informations sur le rite ibadite, des indications précieuses sur des éléments importants de la langue et de l’histoire amazighes. On y trouve ainsi plein de mots qui ont quelque peu disparu comme Youch (Allah), baba Ennegh (Notre Père, Seigneur ou Maître), Iser (Prophète), Adaymun (Démon), Tifellas (Les gens du Livre, Juifs et Chrétiens), etc. D’un autre côté, le mot Aserghin vient directement du vocable «Sarrazin». Les Arabes ont toujours été considérés comme sarrazins en Afrique du Nord, du fait que c’était Damas qui dirigeait à cette époque l’empire islamique et les invasions arabes. D’ailleurs, la tête de la Kahina avait été transportée à Damas pour prouver sa mort au Khalife de l’époque. Dans le manuscrit «Kitab El Barbariyya», le mot «arabe» ou un de ses dérivés ne figure à aucun moment. Ce nom devait être complètement inconnu des Amazighs de l’époque, en dehors des rares érudits ou des voyageurs. Les mots «Aserghin», «Taserghint» et «Iserghinen» étaient quant à eux largement répandus, puisqu’ils étaient en usage dans la vallée de Siwa en Egypte, et à Figuig au Maroc. Le mot «arabe» et ses dérivés ne se sont imposés qu’avec le temps, au fur et à mesure de la généralisation de la religion et son enseignement dans les mosquées et zaouias.



La Plante Taserghint

Il est également à noter que le grand voyageur Ibn Battuta a utilisé ce mot «Taserghint» pour désigner une plante odoriférante utilisée comme une sorte d’encens. Elle avait la particularité de ne délivrer son parfum qu’une fois brûlée.

D’où le nom «Taserghint», c’est-à-dire la brûlée. Y aurait-il un lien avec le nom affublé aux Arabes, eux qui, en venant en Afrique du Nord ont tout brûlé sur leur passage, comme l’a raconté Ibn Khaldoun ? En tout cas, la Tribu appelée «Iserghinen» qui se trouve au sud du Maroc a été attribuée par Ibn Toumert à une descendance du Prophète Mohamed, donc arabe. Qu’en est-il alors de la région de «Messerghine» dans la wilaya d’Oran ? Il y a également au Maroc une ville appelée «Aserghin», et à Béjaia le village de «Tiserghin», comme près de Tiaret également. Auraient-elles été des lieux de campement d’Arabes à un certain moment ? Ou bien leurs noms font-ils référence à cette fameuse plante odoriférante ? En tout cas, on peut se poser plein de questions sur ces résidus de vocabulaire qui ont presque disparus, et que la science est encore capable de ressusciter.



Imazighen

Dans ce manuscrit, il y a également la preuve irréfutable que les anciens berbères se donnaient pour nom «Imazighen», et appelaient leur langue «Tamazight». Aucune trace du mot «berbère» (en dehors du titre du livre lui-même) n’y figure.

Les Amazighs étaient très certainement fiers de leur nom et s’en réclamaient de tout temps.

Ce sont des étrangers qui les ont affublés d’autres noms : berbères, maures, etc.

Le manuscrit peut être trouvé sur certains sites, avec des études détaillées dessus. On peut le trouver notamment surhttp://www.academia.edu/1702492/etudes_sur_le_Kitab_al-Barbariya_manuscr…, et sa version PDF disponible en téléchargement. . Ne serait-il pas temps de s’intéresser à ce manuscrit et de le diffuser, du moins sous forme numérique, afin de permettre aux lecteurs amazighs de le découvrir et d’en profiter ? Combien de manuscrits du genre «Kitab El Barbariyya» existent encore ? Ce patrimoine si fragile mais si précieux devrait être recensé, et protégé, pour constituer une vraie bibliothèque amazighe, à la fois protégée par les Etats berbères d’Afrique du Nord, et par la communauté amazighophile, jalouse de ses origines et de son patrimoine, soucieuse de transmettre aux générations futures, ce que la nôtre n’a que très mal réussi à sauvegarder.


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