Diffusé dimanche
soir sur France 2, le film-documentaire «Guerre
d'Algérie, la déchirure» a réuni près de trois millions et demi de
téléspectateurs en France (*). Un chiffre modeste au regard d'autres audiences
mais qui démontre tout de même qu'il existe une demande du savoir et du mieux
comprendre en ce qui concerne la période coloniale et la guerre d'indépendance
algérienne. Il faut dire, et je l'ai déjà relevé dans une chronique précédente,
que le passé algérien de la France
est actuellement à la une de l'actualité culturelle hexagonale. Il suffit de se
rendre dans une librairie pour s'en rendre compte. La production livresque que
l'on y découvre donne le tournis et l'on ne sait quoi acheter ni quoi lire.
Le film a aussi été très suivi en Algérie et
au Maghreb. Peut-être même plus qu'en France mais en l'absence de statistiques,
il est difficile de se faire une idée précise de son audience exacte. Une chose
est sûre. A lire la presse et à parcourir la blogosphère
et les réseaux sociaux, on peut dire que l'accueil a été plus que mitigé.
Certes, quelques Algériens y ont vu une volonté manifeste d'équilibre et
d'objectivité du document. D'autres, plus nombreux, ont tout de même accusé
France 2 de parti pris pro-Algérie française, voire
de révisionnisme pro-colonial. Il faut dire qu'il est
difficile de contenter deux parties toujours tentées par la crispation et la
revendication de son bon droit. C'est ce qu'a d'ailleurs montré le débat - à la
qualité inégale - qui a suivi la projection même si on peut aussi saluer le
fait qu'il a été courtois pour ne pas dire cordial.
Pour ma part, et au-delà de la grande
attention avec laquelle j'ai regardé ce film, je n'ai pas pu m'empêcher de
penser que là aussi, comme dans tant d'autres productions audiovisuelles, le
FLN et le mouvement nationaliste en étaient les grands absents. Que l'on me
comprenne bien. Il ne s'agit pas d'une critique. «Guerre d'Algérie, la
déchirure» n'avait pas vocation à raconter toute la guerre, entreprise impossible
même lorsqu'on dispose de 180 minutes de temps. Réalisé en France pour un
public et des diffuseurs français, on ne peut exiger qu'il réponde à une
attente strictement algérienne et qu'il comble une frustration qui, pour moi,
est grandissante.
Bien sûr, il faut relever le fait que nous
avons eu droit à des archives inédites comme ces images de Krim
Belkacem au milieu des djounoud
ou, plus important encore, celles de Messali Hadj
dont je dois avouer que c'est la première fois que j'entends la voix (!). Mais
il n'empêche. Il reste encore des questions, des attentes, des envies
d'éclaircissements qui concernent la geste révolutionnaire algérienne. Bien
entendu, il ne s'agit pas de nier l'importance de l'aspect franco-français de la Guerre d'Algérie. L'agonie
de la
Quatrième République, l'avènement de la Cinquième. Le
retour ourdi – comme un complot car le général a bel et bien manœuvré dans
l'ombre – de Charles de Gaulle, la montée en puissance de l'OAS, ses réseaux et
ses complicités, les déchirements de la droite française, la mauvaise
conscience de la gauche (ah, le rôle si longtemps occulté de Mitterrand…), tout
cela est fondamental et doit interpeller les jeunes générations en France.
Mais nous autres Algériens, il nous reste tant
de questions sans réponses. Et nous attendons encore les documentaires, les
films, les enquêtes et les livres qui nous en donneront quelques-unes. Comment
vivait-on dans les maquis ? Comment y montait-on ? Comment étaient organisés
les réseaux de soutien ? Comment les armes arrivaient-elles ? Comment, tout
simplement, a été préparée l'insurrection du 1er novembre 1954 ? Surtout,
comment a été organisée celle du 20 août 1955 dont on comprend bien qu'elle a
été vitale pour la suite des événements ? On aimerait entendre des témoignages,
lire des analyses, prendre conscience des enjeux, des rivalités et des
divisions car il est temps de sortir de l'image manichéenne imposée par
plusieurs décennies d'histoire officielle. Quelles étaient les relations entre
les wilayas et l'extérieur ? Quelles furent les raisons des combats fratricides
? Est-il vrai que des maquis non-FLN se battaient eux
aussi contre l'armée française ? Il y a tant de choses à raconter, à éclaircir
et à découvrir. Que se passait-il au Caire ? Pourquoi le GPRA s'est-il installé
en Tunisie et dans quelles conditions ? A quel moment le clan d'Oujda a-t-il
commencé à tirer les ficelles ? Autre question: comment le FLN a-t-il négocié
avec l'OAS en juin 1962 ? Que s'est-il vraiment passé à Oran après
l'indépendance ? Que s'est-il passé pour les harkis ? Comment les responsables
du FLN, ceux qui vivent encore aujourd'hui, ont-ils vécu ces événements ? Que
s'est-il passé durant ce fameux Congrès de Tripoli où
est morte l'idée d'une Algérie pluraliste ? Que s'est-il vraiment passé durant
l'été 1962 ?
Bien sûr, il y a des livres, des thèses, des
articles. Mais tout cela n'est pas suffisant. Il faut des images, des voix, des
récits et des histoires à hauteur d'homme. Journalistes, écrivains, artistes,
cinéastes, éditeurs, nous sommes tous responsables de ce vide béant qui nous
fait découvrir notre histoire par une production venue d'ailleurs. Voir et
entendre dire sa propre histoire par d'autres est chose dramatique. Certes,
cela permet d'en apprendre plus, de se colleter avec les tabous, les non-dits.
Mais c'est aussi frustrant et humiliant. Cela démontre qu'en cinq décennies
d'indépendance, les Algériens ont encore du mal à capturer leur propre mémoire
et à la transmettre aux générations futures. C'est l'un des enseignements de cette
année du cinquantième anniversaire de l'indépendance. Du non-anniversaire
de l'indépendance, devrais-je écrire. Il est temps que les Algériens racontent
leur propre histoire. Pour cela, il faudrait peut-être que leur pays renoue
avec les idéaux de l'indépendance mais ceci est déjà une autre affaire...
(*) Documentaire de
Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 15/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid: Paris
Source : www.lequotidien-oran.com