Algérie

Les Algériens ne veulent plus mourir... de rire !



Les Algériens ne veulent plus mourir... de rire !
«Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer.» BeaumarchaisEntre les Algériens et le rire, il y a une sorte de désamour. Les sociologues expliquent ce phénomène par le mal-être, une vie stressante, l'absence d'exutoire comme les loisirs et un environnement bouillonnant de nervosité. Les humoristes et les bédéistes, en abordant cette situation, tentent de l'édulcorer. C'est la protestation constante de l'esprit contre l'enlisement dans la routine, car l'ironie est toujours une bonne garantie d'hygiène mentale. «C'est aussi une façon de résister», confie Slim, 69 ans, auteur du fameux Zid ya Bouzid qui nous revient avec DZ 2, une autre fresque à la fois ironique et grave.Le préambule du livre est-il un v?u pieux '«Vers une autre Algérie plus sympa, moins compliquée, sans régime autoritaire, sans bureaucrates, sans corrompus. Une Algérie comme on l'a rêvée à l'indépendance, réellement démocratique. Cette Algérie existe. Elle s'appelle DZ 2. Mais pour y aller, il faudra d'abord passer le mur?».C'est cette soif de liberté qui constitue la trame de cet ouvrage, qui dénonce, encore une fois, les censeurs et autres directeurs de conscience qui n'ont de cesse de mettre les bâtons dans les roues de la création. Déjà, au lendemain de l'indépendance, on avait interdit carrément la bande dessinée, en mettant l'embargo sur les publications qui ont bercé notre enfance. Ce n'était, selon eux, que des «Mickey», en voulant dévaloriser ce mode d'expression. En réponse, la réplique du quidam a été cinglante en qualifiant tout le pays de «Bled Miki».Tintin et Milou, Mickey, Astérix, Tarzan et Bouzid sont autant de fenêtres qui permettent de humer l'air frais du dehors pour des adeptes asphyxiés par la pollution ambiante. Slim a su rendre proche le vécu de tout un chacun avec ironie, parfois avec dérision, mais toujours avec tendresse.Anti-bourgeoisSlim a certainement bien participé au lancement de la BD algérienne. Il continue bon gré, mal gré, en dépit d'un environnement culturel désertique et peu engageant à user de son coup de crayon pour nous sortir des «cartons» qui résistent au temps et dérident notre mélancolie. Grâce à sa pugnacité avec d'autres animateurs du 9e art, Slim a réussi à maintenir le cap en nous dévoilant, tels que nous-mêmes avec nos travers, nos espérances, nos petites lâchetés et notre volonté d'aspirer toujours au meilleur. Pour en savoir plus sur ce dessinateur iconoclaste, voici son portrait : «Je suis né les yeux fermés. A l'époque, il y avait le trachome, mais je n'étais pas affecté par cette maladie. C'était naturel et le médecin ne me les a ouverts que trois semaines après ma naissance, que j'ai perdues bêtement.»La famille de Slim vivait à Sidi Ali Benyoub, une bourgade réputée pour ses thermes. Les Merabtene déménagèrent à Sidi Bel Abbès, où Slim a fait le lycée. Le 14 septembre 1964, il «monte» à Alger. «J'ai pris le bus de Ben Aknoun. Les gens parlaient d'une drôle de manière. Je postulais pour devenir cinéaste. Il y avait une école de cinéma qui, hélas, n'existe plus. C'est mon père, Mokhtar, arrêté en 1957 et emprisonné jusqu'à l'indépendance qui m'avait orienté. L'interruption de mes études du fait de l'OAS m'avait ébranlé, mais je me suis repris. A Ben Aknoun où je résidais, j'ai fait la connaissance d'artistes qui deviendront des gens célèbres, comme Merzak Allouache, Ifticène, Moussa Haddad? Moi qui aimais le cinéma, je me suis rendu compte que c'était un travail collectif. Je ne l'aimais plus du fait que je suis un être solitaire. Avec la fermeture de l'institut pour des raisons obscures en 1966, je me suis reconverti dans le film de dessin animé. Il existait une structure à la télé. Je suis parti en Pologne, en 1966, dans une petite ville, non loin d'Auschwitz. C'est là que j'ai effectué ma formation, mais, au retour, ma déception fut grande. Le pays n'en avait pas besoin, ce n'était pas sa préoccupation. J'ai ainsi tourné en rond. Comme dit l'adage : ??L'humour est une façon de se tirer d'embarras sans se tirer d'affaires''».Dans le studio où il travaillait, Slim a rencontré d'autres dessinateurs comme Maz, Omari, Aram et ils ont eu l'idée de créer un magazine qui n'a jamais abouti. «J'avais des amis dans la presse, dont Bachir Rezzoug, qui a bouleversé mon trajet. Il m'a demandé de faire une BD ; l'offre était alléchante, mais quoi dire aux Algériens ' Je me suis dit que je ferai ce qui me plaira à moi et à ma génération. C'est ainsi qu'est sorti Zid ya Bouzid dans le quotidien gouvernemental El Moudjahid. Cela a été la grande surprise et les lecteurs ont vite adopté mes personnages.»Rien ne ressemble plus à quelque chose que sa caricature, Slim en était conscient. «Je voulais parler de l'immédiat parce que mes lecteurs et moi-même vivions les mêmes problèmes, les mêmes tracasseries. Il a fallu un deal avec la direction du journal. Je fis une semaine de planches, je vivais auprès des gens et je prenais ainsi le pouls de la société». La mayonnaise avait pris, Bouzid venait du fin fond de l'Algérie pour mettre de l'ordre à Alger. La grande nouveauté, c'est que c'était écrit dans la langue populaire. «Par la suite, il y a eu des étapes dans le pays qui ont bouleversé les choses, comme Octobre 1988 qui, hélas, nous a laissés sur notre faim?»L'itinéraire de ceux qui flirtent trop avec les libertés agace les pouvoirs en place. «Les pouvoirs publics, au lendemain de l'indépendance, avaient décidé d'interdire la BD. L'accord avec le Parti communiste français avait permis d'importer Pif le chien? Maigre consolation ! Une décision inique, car les illustrés, on a vécu avec, et ça nous a sauvés en échangeant nos Blek le Rok, Textone, Akim, Zembla? Malgré cela, il y avait des initiatives osées. Maz avait créé le premier Tarzan algérien, mais cet illustré n'a pas survécu. Slim se rappelle des rencontres de Bordj El Kiffan sur la bande dessinée au milieu des années 1980.L'humour, une thérapie«Il y a eu deux festivals faits artisanalement avec peu de moyens, car l'Etat ne s'était pas investi, mais l'impact était grand auprès des gens. On s'est rendu compte qu'il existe un attrait, une demande, surtout chez les jeunes. Quand c'est bien fait, ça marche. A l'étranger, la télé, les jeux et les nouveaux moyens de communication n'ont pas fait tomber la BD. Ici, il n'y a pas de supports pour les jeunes. Des gens sont venus me voir, vu mon statut d'ancien. J'essaie de les orienter, je constate qu'il y a beaucoup de journaux qui ont des espaces, mais qui ne sollicitent pas les bédéistes. Dans un autre registre, il manque des éditeurs, surtout en arabe, langue qui englobe la majorité des lecteurs. En ce qui me concerne, je viens de terminer une BD avec la Croix- Rouge concernant les millions de mines antipersonnel abandonnées aux frontières et qui continuent à semer la mort. Cette bande dessinée a été faite en arabe. J'ai voulu proposer mes personnages au ministère de l'Education, mais ils n'en veulent pas. Peut-être sont-ils beaucoup mieux inspirés par les personnages moyen-orientaux...».Slim, à l'instar d'autres intellectuels algériens, a connu sa traversée du désert durant la décennie sanglante. «Je suis parti, car j'avais senti que la sécurité était inexistante. Je me suis dit qu'on ne peut pas faire confiance à un Etat qui ne garantit pas la sécurité de ses citoyens, alors il vaut mieux se casser. Je suis parti au Maroc, mais je n'ai pas dessiné, car le c?ur n' y était pas. Tout n'était que drame. Il a fallu attendre 1994. J'ai commencé à redessiner avec comme principale cible le terrorisme et ses immenses dégâts. En janvier 1995, j'ai été en France, j'ai travaillé à l'Humanité, Le Canard enchaîné, Le Monde, Jeune Afrique, le Courrier international. En 1997, j'ai sorti Retour d'Ahuristan, un recueil de dessins dédié à mes deux amis bédéistes assassinés : Gueroui et Dhorban».Bouzid, l'intemporelSlim est-il satisfait de son travail ' «Pas tout à fait, car la société évolue et il faut évoluer avec. Vous aurez constaté que j'ai gardé la même ligne avec Le chat, Zina avec son haïk et seroual loubia, Bouzid bien sûr. Graphiquement, on ne peut changer les personnages au risque de dérouter les lecteurs. J'ai rajouté le personnage d'Amzian. Quand j'ai été au volontariat aux Ouadhias en 1966, j'ai découvert cette belle région de Kabylie où, du reste, j'ai de nombreux amis?». La BD et la politique ' «Le rapport n'est pas toujours serein. Les autorités ont essayé de donner un nouveau souffle à la BD, mais en mettant la charrue avant les b?ufs. En 2007, la ministre m'avait nommé commissaire du Festival international de la bande dessinée. Quelques mois après, j'ai claqué la porte. Je sentais que c'était superficiel. Mais après, je constate que c'est une éditrice, sans aucun rapport avec la BD, qui gère ce festival qui est devenu une sorte de kermesse. Sans plus?».Désabusé, Slim jette aussi un regard critique sur son ?uvre qui, selon lui, reste toujours inachevée. «Dans ma tête, ce sont des thèmes récurrents. Il y a une dizaine d'années, j'avais fait Bouzid à Paris. J'ai égratigné mon personnage, qui avait échangé de l'argent avec un émigré. Ce dernier devait lui remettre des devises là-bas pour acheter une Lada. Malheureusement, le type a disparu? j'ai vécu à peu près la même histoire?».Que raconte Slim dans son nouvel ouvrage ' Bouzid, quand il a pris un taxi clandestin s'est retrouvé devant une autre Algérie. Une Algérie dont on a tous rêvé, débarrassée de l'autoritarisme, de la dictature, de la corruption. Mais ce n'était que des rêves. DZ 2 parle de supercherie du pouvoir qui lance une sorte de promotion bidon : offrir aux Algériens la possibilité de vivre dans une Algérie qui s'appelle DZ2. Dans cette Algérie, il y aura des loisirs à gogo, pas de problèmes, des logements à profusion, pas de chômage, ni de violence. Il n'y aura pas de police. Tout le monde va se précipiter vers DZ2 et se retrouvera piégé et pris comme des rats?




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